Je pensais que la victoire de Syriza était indispensable.
J'avais des doutes sur la réalité de la volonté de changer vraiment les choses et sur l'aptitude à exercer le pouvoir.
Mais l'intelligence et la résolution d'Alexis Tsipras sautent aux yeux depuis deux jours. Pour moi, tous les signaux sont positifs et, je l'avoue, je suis bluffé.
La journée de la prise de fonction a été superbe et habile.
La première séquence fut la rencontre menée tambour battant avec le patriote souverainiste de droite Panos Kamménos qui entre au Gouvernement, réalisant ainsi l'union des patriotes des deux rives dont nous avons tant besoin en France. Je me réjouis donc que Nicolas Dupont-Aignan ait dit hier, avec intelligence et responsabilité, qu'il ne l'écartait pas. Ceux qui se disent encore gaullistes à l'intérieur du ramassis néoconservateur, néolibéral, atlantiste et eurolâtre qu'est l'UMP seraient bien avisés d'en faire autant s'ils tenaient à un minimum de cohérence entre leurs soi-disant convictions et leur positionnement. Quant à moi, gaulliste de gauche depuis toujours, je me souviens avoir été choqué du traitement indigne réservé à N. Dupont-Aignan par les militants "de gauche", lors des premières manifestations antiaustéritaires de soutien au peuple grec devant l'ambassade de Grèce, et avoir essayé alors, en vain, d'expliquer à mes amis "de gauche" que le souverainisme dit "de droite" est l'allié naturel face à Merkel et aux gnomes de Bruxelles, que les vieux clivages sont morts et que le seul qui vaille, dans la situation actuelle qui exige le salut public et la récupération de la souveraineté abandonnée par des Gouvernements de rencontres, depuis quarante ans, aux oligarques européens exige ce rapprochement, cette alliance des patriotes face aux capitulards. Ensuite reprendra le débat sur les options politiques, sociales, écologiques, sociétales, dans le cadre d'une souveraineté populaire restaurée et d'une Europe des oligarques et des lobbys détruite jusque dans ses fondations viciées pour pouvoir être reconstruite ensuite, par et pour les peuples.
La deuxième séquence fut la rencontre avec l'archevêque Iéronymos, hommage au rôle de l'Eglise orthodoxe dans l'identité du peuple grec, qui reste fondamental, pour l'informer qu'il ne prêterait pas serment entre ses mains et sur les Evangiles. Elle déboucha sur la troisième : pour la première fois depuis 1830, une prestation de serment laïque sur la Constitution (mais en même temps les ministres qui le veulent pourront prêter serment selon le rite traditionnel). Ainsi Tsipras envoyait-il deux messages : l'Orthodoxie est et reste un élément de notre identité nationale ; un Etat moderne n'est pas un Etat confessionnel et doit séparer les affaires de l'Etat de celles de l'Eglise. A ce geste, à la fois fort - de volonté politique - et respectueux - de la tradition -, l'archevêque Iéronymos, homme de dialogue, qui a déjà montré qu'il n'était pas hostile à une prise de distance temporel/spirituel, et qui a une sensibilité sociale qu'on peut qualifier sans excès "de gauche", que l'Eglise serait plus que jamais au côté des pauvres. Même si l'épiscopat n'est pas, loin de là, dans sa totalité, sur les mêmes positions (mais les Occidentaux devraient comprendre une fois pour toutes que l'Eglise orthodoxe, en Grèce comme ailleurs, n'est pas pyramidale et disciplinée comme la catholique, elle est horizontale et collégiale, pour ne pas dire démocratique), cette réaction du premier d'entre ses collègues dans l'Eglise de Grèce est l'assurance que Tsipras n'aura pas à faire face à une fronde ecclésiastique généralisée, ce qui, dans les batailles à venir avec Berlin et Bruxelles, aurait pu être un handicap. Au demeurant, l'Eglise grecque a une longue tradition de résistance et de patriotisme et ne s'est jamais caractérisée, c'est le moins qu'on puisse dire, par son enthousiasme européen. Sa fraction la plus réactionnaire, notamment, qui pourrait être tentée par une guerre antisyriziste est franchement antieuropéenne : elle se trouvera donc en porte-à-faux si Tsipras mène une politique de restauration de la dignité nationale face au gouvernement colonial de la Troïka, aux insultes et aux humiliations que Berlin et Bruxelles n'ont pas ménagées aux Grecs depuis cinq ans et qui ont été, à l'évidence, un des éléments déterminants du scrutin de dimanche qui est aussi un sursaut patriotique contre la mise en tutelle, les ingérences des Merkel, Schaüble, Juncker et autres Moscovici. Pour les réactionnaires de l'Eglise, il sera quand même très difficile de devenir les défenseurs de l'ordre merkelojunckerien face à un gouvernement Syriza ! D'autant que le très orthodoxe et très utile Kamménos est justement là pour les calmer.
La quatrième séquence fut le dépôt de roses rouges au champ de tir de Kaisariani, où les Allemands ont fusillé des centaines de résistants communistes. Le message s'adressait à la partie de la société, héritière de cette mémoire, exclue de la communauté nationale jusqu'en 1981 et qui, pour partie, vote encore KKE, ce vieux parti stalinien qui s'acharne à répéter en boucle que la droite et Syriza c'est du pareil au même. Le message était aussi adressé à l'autiste et amnésique Merkel qui considère qu'avoir mis à feu et à sang l'Europe deux fois dans un siècle qualifie l'Allemagne pour dicter ses politiques stupides et criminelles (les mêmes politiques de déflation qui ont transformé le parti nazi de groupuscule en parti de masse et l'ont amené au pouvoir) aux Européens, une Allemagne qui a martyrisé et détruit la Grèce de fond en comble (c'est le pays où les pertes humaines ont été proportionnellement les plus fortes après la Russie et la Pologne) sans avoir jamais ni indemnisé les victimes, ni puni les criminels de guerre qui ont sévi en Grèce, ni remboursé l'emprunt forcé imposé à la Banque de Grèce, ni payé ses dettes.
Puis, hier, Tsipras a constitué son Gouvernement, un Gouvernement qui m'apparaît fort bien composé : rien n'est improvisé, tout a manifestement été pesé de longue date, les compétences sont éclatantes.
Kamménos (Grecs indépendants) a, comme je le pensais, comme je l'ai écrit et comme je le souhaitais, la Défense, où il est flanqué de Nikos Toskas, surnommé le "général rouge" et de Kostas Ischos, gréco-argentin, qui, précise Stathis Kouvélakis, est une "figure de proue de la plateforme de gauche, un internationaliste et un anti impérialiste convaincu, qui entretient des liens étroits avec la gauche radicale d’Amérique latine ".... L'avocate des femmes séropositives persécutées par le précédent gouvernement prend en charge le dossier des immigrés. Nikos Kotzias, aux Affaires étrangères, universitaire spécialiste des relations internationales qui a écrit sur la dette et sur la Troïka...
Surtout, au ministère des Finances, la nomination de Iannis Varoufakis, économiste hérétique, est d'excellent augure. Elle indique clairement que ce n'est pas la ligne du Guépard : "on change tout pour que tout reste comme avant" qui a le dessus. Ceux qui lisent régulièrement ce blog peuvent comprendre combien l'analyse du nouveau ministre peut me ravir !
"En tant qu'ancien conseiller de Papandréou, j'étais un des seuls à dire : il ne faut pas accepter le plan de sauvetage, il aura des conséquences catastrophiques; mieux vaut laisser l'Etat faire défaut. Dès lors, j'ai commencé à être considéré en Grèce comme un "agent du mal", celui qui voulait que le pays fasse faillite. (...) Notre premier devoir, c'est de conceptualiser les problèmes que nous rencontrons. Prenez, par exemple, le changement climatique. Vous observez des inondations en Australie, un dégel en Sibérie, des ouragans à New York ou à La Nouvelle-Orléans. Si vous considérez ces phénomènes séparément, vous n'avez aucune chance de résoudre le problème. C'est pourtant ce que l'on a fait avec la zone euro, alors que la pauvreté en Grèce, le chômage en Espagne, les minijobs en Allemagne, le déficit de compétitivité de la France sont tous liés aux dysfonctionnements de l'architecture de la zone euro. On a voulu résoudre ces difficultés par des politiques d'austérité généralisées, avec le succès que l'on sait. "
Bref, contrairement à ce dont essayent de se persuader tous les Quatremer, Guetta, Couturier, Leparmentier et autres chiens de garde, cela ne ressemble pas à un gouvernement de capitulation face à Merkel, qui gesticulera puis s'écrasera pour maintenir le peuple dans la soumission à la politique odieuse, stupide et criminelle que ces messieurs défendent avec tant d'idiots utiles, de cyniques et de gens qui ne connaissent rien ni à la Grèce, ni à son peuple, ni à son histoire, mais bien à un gouvernement de combat ! Et c'est tant mieux.
Quant au Parlement grec, il est désormais présidé par une femme, Zoï Konstantopoulou, avocate spécialiste dans les droits de l'Homme (il l'avait déjà été, par une criminologue, Anna Benaki-Psarouda, de 2004 à 2007, sous le second gouvernement de Karamanlis-le-petit, ou le gros... enfin le neveu du vrai Karamanlis).
Restent les bonnes âmes et les éternelles consciences morales qui s'indignent - l'inénarrable Cohn-Bendit vient, bien sûr, d'ajouter sa voix à ce choeur de vierges vite effarouchées, alors qu'il aurait, une fois de plus, mieux fait de se taire... Il y a des gens, comme ça, comme Quatremer, comme Guetta, comme Couturier, comme Leparmentier, la liste n'est pas exhaustive, dont je serais inquiet qu'ils soient d'accord avec moi, tant ils sont toujours, invariablement à côté de la plaque - ou feignent de s'inquiéter de l'alliance des patriotes résistants des deux rives. A leur intention, je répète que la Grèce est aujourd'hui dans une situation de salut public et que l'on ne mène pas une politique de résistance et de salut public avec des collabos et des capitulards. On la mène avec d'autres résistants, même si on n'est pas d'accord sur le projet de ceux-ci.
La seule question qui importe aujourd'hui en Grèce, la seule, c'est la sortie de l'administration coloniale imposée à la Grèce grâce à l'aide des collabos de la droite dite classique (qui depuis 2012 est en fait devenue une droite autoritaire et a absorbé une partie du FN grec, le Laos) et des socialistes du PASOK qui ont donc gouverné, sous Papadémos et Samaras, avec le FN grec, sans qu'on entende beaucoup les vierges à la Cohn-Bendit s'effaroucher : forcément, c'était bien, puisque c'était pour et au nom de l'Europe !
Mais voilà... Les communistes, confits dans leur idéologie d'un autre temps, refusent toute alliance. Et le Potami, dernière ruse du système, créé de toutes pièces par les oligarques des médias, est également un parti collabo qui prône la soumission à Merkel et aux gnomes conservateurs-socio-démocrates de Bruxelles.
En revanche les deux partis, Syriza et Grecs indépendants, sont les deux partis patriotes de l'arc démocratique (je rappelle à ceux qui feignent de l'oublier que, à l'assemblée de Strasbourg, nommée bien à tort Parlement, les Grecs indépendants ne siègent pas même avec l'UKIP, comme je l'ai peut-être écrit par erreur, mais dans le groupe des conservateurs britanniques qui, comme chacun sait, sont une menace pour la démocratie parlementaire !... peut-être, de temps à autre, peut-on rester sérieux), et ils sont d'accord sur l'essentiel du moment : la rupture avec la politique imbécile et criminelle de Merkel et de l'UE. Peu importe leurs désaccords sur le reste pour l'instant.
De Gaulle et les communistes n'avaient pas exactement le même projet de société en 1944, ils siégeaient néanmoins ensemble dans un gouvernement de salut public.
L'alliance a, en outre, l'immense avantage de couvrir Tsipras sur sa droite et de lui assurer de précieux réseaux, dont Syriza ne dispose pas, dans l'armée, la police, l'Eglise. Enfin, c'est un signal fort à la Turquie, engagée dans une dérive islamiste, autoritaire et mégalomaniaque d'Erdogan, sans que, jamais l'Europe - aussi autiste sur ces dérives qu'elle s'acharne à ignorer que sur les autres problèmes - manifeste de soutien à la Grèce face aux perpétuelles menaces et provocations turques à Chypre et en Egée (configuration permettant aux marchands d'armes allemands et français de se goinfrer en fourguant toujours plus d'armements à la Grèce... et en augmentant sa dette), qu'un gouvernement Syriza ne sera pas un gouvernement faible.
Ensuite, quand on sera sorti de cette situation de salut public, les autres clivages réapparaîtront et le débat normal reprendra entre des partis qui n'ont pas les mêmes options, la même vision de la société. Mais avoir su, de part et d'autre, les mettre de côté pour l'instant, parce que c'est nécessaire, indispensable au salut de la nation, est une preuve, de part et d'autre, de grande maturité, de sens des responsabilités.
Grâce à cette alliance, une union nationale des patriotes résistants a ainsi pu remplacer au pouvoir une union nationale des collabos capitulards.