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mardi 30 septembre 2008

"A qui appartenaient ces tableaux ?" : un ratage exemplaire ? (1)

Sans doute attendais-je trop de cette exposition présentée au Musée d’art et d’histoire du judaïsme et que je suis allé visiter jeudi soir avec Frédéric et Chantal. En tout cas j’en suis sorti singulièrement déçu. Et avec des questions plein la tête : à quoi peut servir pareille expo coproduite par le ministère de la Culture, celui des Affaires étrangères, la Direction des Musées de France et la Réunion des Musées nationaux ? Quel est son propos ? Quelle est son utilité pédagogique ? Comment justifier l’utilisation de fonds publics au vu d’un contenu aussi médiocre, d’une mise en perspective aussi indigente ? Comment peut-on, en mettant ensemble des institutions de cette nature, sur un sujet aussi passionnant, complexe, si méconnu, sur lequel il y a tant à expliquer au public, aboutir à un résultat aussi piteux ?

« Cette exposition, précise le document qu’on distribue à l’entrée, veut contribuer à éclairer l’histoire de la spoliation. » Eh bien c’est raté !

« Nous souhaitons insister sur le fait que l’inventaire des œuvres dit « MNR », pour Musées nationaux récupération, dans sa composition, ne peut donner une vision exacte de la spoliation. » Exactement !

Autrement dit, en deux phrases qui se suivent : l’exposition que nous vous proposons ici est exactement antithétique de ce que nous désirons montrer.

Et c’est bien l’impression qu’on a lorsque, sortant de cette expo, on se demande ce qu’ont pu en tirer les visiteurs qui ne connaissaient pas la question en y entrant.

1 - On y voit quelques tableaux seulement, dont quatre cinquièmes de très médiocres : on n’a aucune idée ni de l’ampleur ni de la qualité des razzia qui ont été opérées par l’ERR (l'organisme chargé par Hitler de spolier les collectionneurs juifs), et l’impression dégagée par l’expo est l’exacte contraire de ce qu’elle aurait dû produire.

Réflexion naturelle du visiteur ne connaissant pas le dossier : ça n’est que ça, ils n’ont donc spolié que des croûtes, ce n’est pas si grave…

Si l’on voulait vraiment « éclairer l’histoire de la spoliation » aux yeux du public, il fallait emprunter à des collectionneurs privés de réels "trésors" spoliés durant la guerre et restitués depuis, présenter des photos d'avant guerre de ceux qui n’ont jamais réapparu.

2 – L’appareil de spoliation est lui-même présenté de manière tellement allusive qu’un visiteur non averti ne peut avoir aucune idée ni de sa nature, ni de son efficacité redoutable. Mieux, ou pire, la plupart des toiles présentées ont été… achetées et, même si on nous explique dans quelles conditions, forcées, grâce au cours surévalué de la monnaie allemande, on est loin de rendre compte de la réalité de la spoliation.

Réflexion naturelle du visiteur ne connaissant pas le dossier : spoliation, spoliation, oui, enfin ils ont tout de même acheté.

Et là encore on aboutit au résultat à la fois exactement inverse à celui qu’on recherchait et exactement contraire à la réalité historique, car l'immense majorité des objets d'art spoliés entre 1940 et 1944 a bel et bien été confisquée, non pas achetée.

3 – Rien ne montre non plus la dimension idéologique de la spoliation et de la conception de l’art qu’avaient les nazis.

Une conception qui les conduisirent à classer les œuvres spoliées par catégories : celles correspondant aux canons nazis, destinées aux collections des dignitaires du Reich ou à rejoindre les cimaises du grand musée que Hitler voulait créer à Linz ; celles qui dérogeaient à ces canons, qui furent malgré tout jugées dignes d’être vendues en Suisse ou dans d’autres pays neutres pour rapporter des devises ; celles qui, jugées trop « dégénérées » même pour cet usage, représentant des juifs ou produites par des artistes juifs (parmi lesquelles des Picabia, Klee, Miró, Ernst, Dali, Masson, Léger, Picasso) furent lacérées et brûlées avec des ordures le 27 juillet 1943.

Là encore, occasion manquée d’expliquer ce qu’était le rapport à l’art de cet État totalitaire et raciste. Réflexion naturelle du visiteur ne connaissant pas le dossier : ben oui, quoi, Göring (montré en train de faire son "marché" au Jeu de Paume, avec un commentaire lapidaire) et les autres, ils aimaient les belles choses et ils ont profité de la situation… comme Napoléon et les Français un siècle et demi auparavant en Italie.

Echec une fois encore - échec intellectuel, dans la conception même de l'expo - à faire comprendre ce que fut la radicale différence des spoliations nazies par rapport aux pillages "classiques" accompagnant toute guerre depuis l'aube de l'humanité.

4 – Rien non plus, ou presque (une phrase ou deux dans un cartel !), sur la Résistance dans les musées : je ne vais pas raconter ici, ce qu’ont fait Jacques Jaujard, directeur des Musées de France, et Rose Valland au musée du Jeu de Paume (vous n'avez qu'à lire L'Or d'Alexandre, na!), mais enfin se borner à citer le nom de l’un et afficher une vague photo de l’autre est totalement inacceptable. Dérisoire ! presque insultant pour leur mémoire et celle de tous ceux qui ont tenté de s'opposer, avec leurs moyens, là où ils étaient, à l'ignoble politique de spoliation nazie.

Une telle expo se devait de consacrer une section à leur action, à ses résultats, aux nombreuses œuvres qui ont été préservées, cachées dans les collections publiques, souvent par donations bidon, avec la complicité de dizaines de conservateurs qui ont parfois risqué leur vie pour la protection de ces œuvres.

Car non ! décidément, contrairement à la vulgate en vogue depuis quelques années, la France ne fut pas, entre 1940 et 1944, un pays peuplé de lâches, de veules, de plus ou moins antisémites et plus ou moins collabos. Et ce ne fut certainement pas le cas non plus dans les musées.

5 – Rien sur le milieu du marché de l’art qui s’est tellement enrichi, à Paris, en Suisse et ailleurs, ni sur les fortunes colossales "d'honnêtes" marchands qui se sont alors bâties dans la commercialisation des œuvres spoliées.

6 – Rien, encore et toujours, sur la découverte des entrepôts (sinon une carte et quelques photos laconiquement légendées) où les nazis concentrèrent le produit de leurs rapines, ni sur les collecting points où les rassemblèrent les Alliés, ni sur les procédures de restitution après guerre…

Bref, au total, on a l'impression d'une expo faite de bric et de broc, sans réflexion sérieuse sur ce qu'elle avait à dire, sur les moyens pour le dire. Une espèce d'abdication de l'intelligence face au sujet à traiter. Et l'on se demande vraiment, en sortant, à quoi sert une exposition aussi mal conçue et aussi mal réalisée. À rien.

La clé est peut-être dans la dernière phrase du papier qui nous est proposé à l’entrée. « De façon troublante, l’histoire de ces peintures porte la trace de la déréliction et du malheur où furent jetés, parce qu’ils étaient juifs, des dizaines de milliers de citoyens français et d’étrangers accueillis par la France. » Et voilà bien la marque de la politique culturelle et mémorielle de la France sarkozyste : substituer le pathos et l’émotion à la pédagogie et à la réflexion.

Cette exposition ne montre rien, n’explique rien, renonce à faire comprendre ; mais elle autojustifie son abdication à expliquer et faire comprendre quoi que ce soit au visiteur par « la trace » portée « de façon troublante » « de la déréliction et du malheur ». Comme il suffit sans doute de verser une larme en écoutant la lettre de Guy Môquet (choix stupidissime : rappelons que GM fut arrêté pour avoir distribué, à l’heure du pacte germano-soviétique, des tracts contre la guerre impérialiste… franco-anglaise) pour comprendre ce que fut la Résistance.

"A qui appartenaient ces tableaux ?" : un ratage exemplaire ? (2)

Excusez-moi encore de me citer mais voilà, pour ma part, l’expo à laquelle je rêvais, sur ce sujet, dans L’Or d’Alexandre.

« Marion avait déjà établi un précatalogue des oeuvres dont elle espérait pouvoir obtenir le prêt ; elle avait aussi travaillé sur la structure de l’exposition qui aurait dû comprendre quatre sections. La première aurait retracé le déménagement des collections nationales et leur acheminement plus ou moins rocambolesque vers une multitude de châteaux — comme celui de Montal, en Quercy, où la Joconde séjourna quelque temps sous le lit de son conservateur —, de musées ou d’abbayes du sud de la France.

La deuxième aurait été dédiée aux grands collectionneurs juifs d’avant-guerre : Rothschild, Alphonse Kann, Wildenstein, Edmond Obadia-Nassi, David-Weill, Berheim-jeune…, à la genèse et à la composition de leurs collections.

Quant à la troisième, elle aurait été consacrée au système de spoliation allemand. Marion désirait y présenter des pièces destinées au gigantesque musée dont Hitler avait décrété la création dans sa chère ville de Linz, et pour lequel il avait choisi l’honorable Doktor Hans Posse, ancien directeur du musée de Dresde, comme receleur en chef, avec droit de préemption sur les chefs-d’oeuvre razziés dans toute l’Europe. Elle souhaitait également montrer le rôle des prédateurs « privés », avec des œuvres illustrant le goût de ceux qui, chacun selon son rang, étaient habilités à prélever une part du butin : Göring en tête, mais aussi Bormann, Ribbentrop, Speer, le sculpteur Arno Breker… Sans oublier les marchands d’art, indispensables intermédiaires des nazis pour leurs opérations sur le marché international, indicateurs des planques de collections trop bien mises à l’abri, charognards profiteurs de l’aryanisation ou acheteurs à vil prix aux persécutés pour revendre à prix d’or aux bourreaux (1941-42 furent, à Drouot, les meilleures années depuis le début du siècle) — tous s’étant réunis en conclave, courant janvier 1945, pour décider de ne fournir aucun renseignement à l’administration française, afin d’obvier à toute velléité de poursuite, saisie ou sanction financière.

C’est aussi dans cette partie centrale de l’expo qu’on devait faire comprendre au visiteur le rôle qu’avait joué Rose Valland, seule face à la machine de l’ERR. Marion avait prévu que des toiles récupérées après guerre grâce aux fiches de la conservatrice espionne seraient accrochées en fonction de la nomenclature établie par l’ERR: celles, classiques, que les nazis s’appropriaient ; celles qu’ils jugeaient « dégénérées » (Courbet, Manet, Renoir, Degas, Monet, Matisse, Braque, Dufy, Laurencin, Bonnard, Vuillard…) mais néanmoins dignes d’être échangées contre des toiles de la première catégorie, ou bien vendues sur le marché international — principalement en Suisse — au profit des finances du Reich millénaire ou de comptes à numéros qui pourraient se révéler utiles si jamais ledit Reich venait à ne pas durer tout à fait mille ans. Et puis celles de la dernière catégorie (plus d’un demi-millier), pour lesquelles il n’existe plus que des documents de seconde main puisque, trop juives ou trop dégénérées, les nazis avaient estimé qu’elles ne méritaient même pas d’être négociées et les avaient détruites en juillet 1943.

La dernière section de l’expo devait être consacrée aux milliers d’œuvres artistiques disséminées dans une Europe à feu et à sang, entre retraite allemande et avance alliée. Il y avait les trésors dont la sauvegarde dépendit en dernier ressort du courage des conservateurs qui en avaient la charge : André Chamson, Germain Bazin, Michel Martin, René Huyghe, philosophe de l’art devenu officier FFI, ou Gérald Van der Kemp qui, fleur à la boutonnière et canne à la main, parvint au dernier carat à empêcher un capitaine de la division Das Reich (celle des pendaisons de Tulle et du massacre d’Oradour) de brûler le château de Valençay, sauvant ainsi la Victoire de Samothrace, quelques dizaines d’autres chefs-d’oeuvre et sa propre vie. Il y avait ceux que Rose contribua à préserver en indiquant au commandement allié où se trouvaient un certain nombre des dépôts de l’ERR vers lesquels les pièces passées par le Jeu de Paume avaient été dirigées et qui, grâce à cela, ne furent pas bombardés. Les dizaines de milliers d’objets d’art, de peintures, statues, livres précieux, meubles anciens, bijoux, etc. que, au fur et à mesure de l’avance alliée à travers le Reich dévasté, la MFAA découvrit dans une infinité de caches : châteaux de Louis II de Bavière, couvents ou mines de sel du Salzkammergut autrichien.

Enfin, il y avait ces centaines de merveilles qui n’ont jamais reparu. Ici un Titien, là un Vinci, ailleurs un Raphaël ou le cabinet d’ambre de Leningrad, tant d’autres : détruits ? ou « entrés » discrètement dans des collections privées dont ils ne sont plus ressortis ? Les toiles de la collection Bernheim-jeune : brûlées, en mars 1944, dans l’incendie du château de Rastignac en Dordogne ? ou entassées juste avant dans des camions par les SS ? Celles du Jeu de Paume que l’ERR avait déposées au château de Nicolsbourg /Mikulov, en Moravie : anéanties par l’artillerie soviétique en avril 1945 ? ou emportées par l’Armée Rouge, on ne sait où, comme prise de guerre ? "

À part cela j’ai passé un excellent ouiquende au premier salon du livre de Béziers : le soleil était de la partie , et il n’est pas donné à tout le monde d’avoir un éditeur qui fait le cassoulet aussi bien qu’Olivier Tourtois ! Merci à mes nouveaux lecteurs rencontrés là et, pour leur patience, à ceux qui m’ont écouté présenter L’Or dimanche après-midi.

mercredi 24 septembre 2008

En France aussi la justice tue

Cette nuit, la Cour suprême étazunienne a suspendu l'injection létale qui devait assassiner légalement Troy Davis en Géorgie. Troy Davis est noir et a été condamné pour le meurtre d'un policier blanc. L'ordre des choses est donc respecté. Sauf que sept des neuf témoins sur la seule foi desquels il fut condamné, sans preuve, se sont rétractés depuis le procès, indiquant que leur témoignage n'avait été acquis qu'au terme d'intenses pressions policières.

Je vous rappelle au passage que nous sommes dans ce qu'il est convenu d'appeler la plus grande démocratie du monde... où un président peut être élu avec une minorité des voix des citoyens, à la suite d'une fraude massive, déclencher un conflit sur des mensonges et pour le plus grand profit des forces économiques qui bénéficient de la privatisation de la guerre, ne pas financer ledit conflit quitte à plonger le monde entier dans la merde, organiser la détention arbitraire et justifier la torture, etc. - ce qui lui vaut logiquement la fervente admiration de notre Caligula national.

La peine de mort est une monstruosité. Elle l'est d'autant plus quand il y a le plus léger doute. Lorsqu'elle est prononcée non sur des preuves irréfutables mais sur des critères raciaux.

Pourtant, il ne faudrait pas que l'alibi américain nous empêchât de voir ce qui se passe chez nous.

En plus des vies blessées ou détruites de ceux qui ont résisté, Outreau a fait un mort : François Mourmand, suicidé à 32 ans, mort de l'embastillement que constitue, aujourd'hui en France, la détention provisoire de citoyens d'une démocratie présumés innocents.

Car si la peine de mort est une monstruosité, la manière dont en France on emprisonne pour un oui ou un non, dans des prisons abjectes qui sont une honte pour notre République, en est une autre.

Il y a eu, après Outreau, une commission d'enquête, un grand battage, des excuses et des indemnisations... mais rien n'a changé. Rien que des gadgets et quelques caméras vide tombées en panne faute de crédits pour la maintenance.

La procédure judiciaire, elle, celle qui génère les Outreau, est toujours la même. Aucun encadrement sérieux de la détention provisoire n'a été institué autrement que sur le papier (c'est-à-dire qu'on n'a pas défini précisément ce qui peut vous envoyer en taule, qu'on a juste rajouté quelques juges dans le circuit, quelques juges qui, par solidarité de corps, ratifieront de toute façon la décision de leur "cher collègue" dans 90 % des cas). Aucune limitation de l'arbitraire de la violence inouïe qu'est une garde à vue n'a été introduite. Trop de lieux de privation de liberté demeurent des endroits immondes, totalement indignes d'une réelle démocratie.

Chez nous, la peine de mort a été supprimée en 1981 mais elle s'applique chaque année sur les plus faibles de nos concitoyens, souvent avant même qu'ils aient été jugés, à cause de la manière dont est "organisée" notre procédure pénale et notre système pénitentiaire.

4 août 2008 : un homme de 30 ans, condamné à huit mois de prison, est ranimé de justesse après avoir été retrouvé pendu dans sa cellule au centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier, près de Lyon ;

9 août 2008 : un jeune homme de 21 ans, en détention provisoire, donc présumé innocent, se pend à Fleury-Mérogis ;

15 août 2008 : un jeune homme de 21 ans est retrouvé pendu dans sa cellule à la maison d'arrêt de Caen et meurt quatre jours plus tard ; il n'avait pas été jugé, il était donc présumé innocent, son casier judiciaire était vierge et il venait d'apprendre la prolongation de sa détention provisoire ;

25 août 2008 : un détenu de cinquante ans est retrouvé mort dans sa cellule du centre de détention de Caen ;

10 septembre 2008 : à la maison d'arrêt de Rouen, un détenu de 26 ans, emprisonné pour conduite en état d'ivresse (est-ce vraiment en foutant les gens au trou qu'on leur apprend à ne plus conduire bourré ?) est assassiné par son "compagnon de cellule" de 20 ans, en détention provisoire, immédiatement placé en hôpital psychiatrique ;

19 septembre : un professeur se suicide après avoir subi une garde-à-vue à la gendarmerie d'Hirson dans l'Aisne...

Plutôt que de se demander qui coller en taule, encore plus, encore plus longtemps, Sarkozy et Dati feraient mieux de réfléchir à la manière de garantir les droits élémentaires de l'homme face à un système judiciaire qui tue autant.

Pourquoi ne pas chercher à comprendre comment les Canadiens ont fait pour bâtir un des systèmes pénitentiaires les plus humains et les moins criminogènes du monde, alors que le nôtre génère la misère, la récidive, et le meurtre légal par suicide des détenus ?

Comment peut-on ne pas se poser la question de savoir s'il est bien nécessaire, normal, admissible de placer en garde-à-vue un professeur, avec tout ce que cela implique de violence psychologique, d'atteinte à l'honneur, à l'image de soi, d'interrogations sur ce qu'il va falloir ensuite affronter dans le regard des autres, seulement parce qu'un sale gosse arrivé en retard l'a accusé de lui avoir collé une torgnole - peut-être bien méritée ? La garde-à-vue, dans un tel cas, n'est-ce pas comme utiliser un pilon pour tuer une mouche ?

Le professeur était dépressif, croit s'exonérer le procureur. Mais comme à Outreau, la question n'est pas seulement l'inhumanité des acteurs de la procédure judiciaire, c'est l'abus de pouvoir permanent que permet la loi sur la vie de citoyens, encore une fois, en principe, mais en principe seulement, présumés innocents. Un abus de pouvoir qui, lorsqu'il s'exerce sur des personnes en état de faiblesse psychologique peut conduire au pire. La responsabilité n'en revient pas à la faiblesse psychologique, elle revient au système qui permet l'abus de pouvoir, qui permet l'inhumanité des acteurs de la procédure.

Il paraît qu'il y a dans ce pays une secrétaire d'Etat aux droits de l'homme. Je lui suggère donc, plutôt que de jouer les potiches décoratives lors de la réception en grande pompe des dictateurs qu'aime tant recevoir son patron, de reprendre les conclusions rendues en 1991 par la commission "Justice pénale et droits de l'homme" dirigée par Mireille Delmas-Marty, sur une réforme qui soit enfin autre que cosmétique du Code de procédure pénale, une réforme qui garantisse enfin autrement qu'en théorie les droits du citoyen face à une machine policière, judiciaire et pénitentiaire qui broie et qui tue, sans même à avoir à injecter quoi que ce soit ; je lui suggère aussi de faire en sorte qu'on n'emprisonne plus au lieu de soigner.

Car aujourd'hui, si tant de personnes meurent dans les prisons de la "patrie des droits de l'homme", c'est aussi qu'elles n'ont rien à y faire ; qu'elles sont MALADES, qu'on les colle en taule parce qu'on a coupé les crédits de la médecine psychiatrique qui se débat aujourd'hui dans une scandaleuse misère. Et que Melle Dati ferait mieux de se préoccuper de cela que de faire passer en jugement des gens que la médecine a reconnus irresponsables, au nom du "droit des victimes", qui s'apparente de plus en plus à la résurrection de pratiques aussi barbares que bibliques, dans le genre loi du Talion.

Il y a aussi une opposition, paraît-il, dans ce pays ; pourquoi ne s'indigne-t-elle pas face à une telle succession de morts qui ne peut être fortuite ? Où sont ses propositions en une matière tellement capitale au regard des principes fondateurs de notre Etat de droit ? Quelles sont ses réflexions sur une question qui devient critique pour la réalité-même de notre démocratie ? Est-ce moins important que de s'étriper pour savoir qui va devenir concierge rue de Solférino ?

Cinq morts en un mois et demi ! Mais enfin dans quel pays vivons-nous ?! et comment une telle répétition de scandales immondes ne provoque-t-elle pas une indignation démocratique au moins semblable à celle qu'a suscitée Edvige ? Attention, nous sommes tous menacés, tous susceptibles, un jour, à tort ou à raison, d'être happés dans cette broyeuse de vies ! Où sont les Mauriac de notre époque ? Comment peut-on s'indigner des injections létales outre-Atlantique et fermer les yeux et les oreilles sur les meurtres légaux qui se pratiquent ici ?

Et comment peut-on répercuter sans rigoler les rodomontades démagogiques de Caligula appelant à la punition des responsables de la crise financière ?! Des responsables... mais il en est, non ? avec Reagan, Thatcher, Bush, tous les économistes libéraux, les dérégulateurs de Bruxelles, demain les privatiseurs de la Poste, ses chers amis multi-millionnaires, les bénéficiaires du paquet fiscal, tous ceux qui ont pu vader comme des fous avec ce qu'ils n'ont pas versé au fisc grâce au bouclier sarkozien... Non ? Mais alors comment il va les trouver, Caligula, les VRAIS responsables ? Des Kerviel, c'est ça ? Et la punition ??? Il va en faire quoi de tout ce beau monde de responsables de la crise financière ? Allez hop, Rachida ! fous-moi tout ça au gnouf ! Ben mon colon ! ça va en faire de la surpopulation pénitentiaire en plus ! A moins qu'il ne songe à l'injection létale... Non mais vraiment, de la gueule de qui il se fout Caligula ?

samedi 20 septembre 2008

Euphorie dans les bourses

Je sais qu'il n'est pas très séant de se citer, mais là, franchement, je n'y résiste pas. Dans mon Or d'Alexandre, Philippe parlait ainsi de la bourse :

"Considérer la bourse comme un jeu ne signifiait donc pas que je m’y consacrasse de manière distraite. Cela supposait en revanche que j’en discernasse les règles. Les vraies, pas les apparentes. J’en dégageai quatre :

1/ les analyses rationnelles, fondamentale (de l’activité des entreprises) ou technique (des logiques mathématiques censées déterminer l’évolution d’un cours) ne sont que des pièges à gogos ;

2/ les analystes ne font jamais que justifier le lendemain les mouvements exactement inverses à ceux que, la veille, avec la même assurance, ils considéraient inéluctables ;

3/ spéculer sans vergogne ni scrupule sur la baisse d’une valeur que le marché massacre, même si on est persuadé que l’entreprise est saine et que l’action devrait monter (ou à la hausse, sur une valeur qui grimpe, même si, à l’évidence, il s’agit d’une daube sans avenir et mal gérée) ;

4/ seuls comptent l’estomac qui permet de réagir vite aux poussées d’hystérie, et le flair qui permet de sentir que les gros acteurs sont prêts à saisir n’importe quel prétexte pour inverser brutalement une tendance et tondre le petit porteur qui a toutes les raisons de la croire durable.

Ce ne fut pas simple. Mais ce renversement dialectique, en découplant le jeu de l’enjeu, me permit de commencer à vaincre les blocages logiques ou éthiques qui, dans cet univers irrationnel et amoral, ne peuvent conduire qu’à l’échec. Si bien qu’après avoir perdu juste un peu plus de 90 % de notre mise, je commençais à regagner du terrain et me trouvais psychologiquement prêt quand arriva le 11 septembre. Un œil rivé sur mes graphiques et l’autre fasciné, comme le commun des mortels, par les tours ladenisées, je vendis donc massivement à découvert ce jour-là. La v-a-d consiste à vendre des actions que l’on n’a pas préalablement acquises, avant de les « racheter » (mais le boursier dira, en bon chrétien, qu’il « se rachète »), avec de l’argent qu’on n’a pas davantage, une fois qu’elles ont suffisamment plongé. Car la baisse génère autant (parfois plus) de profits que la hausse et la bourse possède cette incomparable vertu de pouvoir transmuter des malheurs collectifs en bonheurs particuliers, des opérations terroristes bien sanglantes en occasions inespérées de booster son portefeuille, pourvu qu’on ait le cran de vader sans retenue sans même attendre l’apparition du premier cadavre à la télévision."

Eh bien, à la lumière des jours qui viennent de s'écouler, et en toute immodestie, je suis assez content d'avoir écrit cela il y a deux ou trois ans ! Hier, les autorités de marché américaines et anglaises, bien d'autres encore (mais pas les françaises !), ont ainsi interdit ces vad pour un certain nombre de valeurs et un temps limité, manifestant que la perversité intrinsèque de ces instruments financiers, comme celle des warrants et autres trackers, qu'on a laissé proliférer sans contrôle, est un des ressorts, parfaitement artificiels, de la crise actuelle.

Quant au concours de faux-culs auquel nous assistons depuis quelques jours il me fait ricaner... jaune il est vrai. Concours de faux-culs, entre politiques et journalistes s'indignant des excès du capitalisme financier et déplorant l'absence de régulation. Alors que les uns ont encensé régulièrement les autres, depuis vingt ans, d'avoir démantelé toutes les régulations existantes. Quand ils ne leur reprochaient pas amèrement de ne pas démanteler plus vite, davantage, les moyens qu'avaient mis en place les Etats, après la crise de 29, pour dompter le capitalisme, pour empêcher des excès qui ne sont pas le résultat de l'irresponsabilité d'un Kerviel ou de telle ou telle banque imprudente. Des excès qui lui sont consubstantiels.

Car ce qui est en cause, contrairement à ce que disait encore l'inénarrable Luc Ferry ce matin sur LCI (il n' y a pas de néo-libéralisme ! pour ce monsieur, c'est une invention d'esprit malade...), ce ne sont pas des excès du capitalisme, c'est sa nature. Ce qu'écrit aujourd'hui M. Soros qui, lui-même a tant participé à faire croire aux jobards que les petits peuvent aussi gagner à un jeu où ils sont toujours les dindons de la farce. Doublement, parce qu'ils y perdent leurs économies et que, comme contribuables, ils devront aussi payer les pots cassés par les capitalistes qui, eux, ne perdront rien.

Les marchés, professe Soros en substance, ne tendent pas vers l'équilibre comme on nous le répète depuis Reagan et Thatcher, avant de joindre le geste à la parole et de détruire tout ce qui retient les marchés d'atteindre naturellement ce mythique état pourvoyeur de félicité universelle. Ils tendent vers l'excès. Et quiconque suit d'un peu près la bourse ne peut avoir, honnêtement, d'autre analyse. "Les marchés" n'ont pas de nerf ; "les marchés" sont hystériques et moutonniers ; quels que soient les fondamentaux, ils perdent toute mesure, toute rationalité face à une panique (lundi) ou à une "euphorie" (hier) ; ils ne font qu'amplifier jusqu'à l'absurde, dans un sens ou dans l'autre, les mouvements une fois qu'ils se sont enclenchés.

Je n'ai jamais été marxiste ; je ne vais pas le devenir à 50 ans passés. Depuis que je suis en état de me faire une idée du monde, de réfléchir sur son histoire, j'ai toujours pensé que le libéralisme ne pouvait qu'aboutir à la crise de 29. Sous une forme ou une autre, en fonction du contexte, parce que l'histoire ne se répète jamais. Colbertisme, new Deal, keynésianisme, capitalisme rhénan, planification gaullienne, politique des revenus, protectionnisme raisonné, Etat interventionniste disposant de moyens d'action économiques... j'ai toujours cru, et je crois plus que jamais aujourd'hui, que le monde occidental, dans les années 50-60, a atteint le système économique le moins injuste, le plus humaniste auquel soit jamais parvenu l'humanité, celui qui a permis de concilier le moins inharmonieusement l'efficacité du capitalisme et l'exigence humaniste de justice.

La responsabilité de nos politiques depuis vingt ans est, sous prétexte d'Europe et de mondialisation, d'avoir démantelé ce modèle-là, en cédant à ceux qui n'avaient plus peur de la contagion communiste après la chute du Mur, et pour qui le temps était revenu de se goinfrer au dépens des pauvres et des classes moyennes qui avaient été les grands bénéficiaires du système mixte des décennies précédentes. Réaction libérale, plus que néolibéralisme - en France, Sarkozy en a toujours été un des chantres : réaction qui, aujourd'hui, comme toujours lorsqu'on lui laisse libre cours, nous conduit au bord du gouffre.

On va voir, la semaine prochaine à Toulon, si notre Caligula national peut prétendre au Nobel de ces faux culs qui hurlent au défaut de régulations après les avoir toutes éradiquées ! Mais à coup sûr il n'est pas le plus mal placé, vu sa participation, depuis vingt ans, à tous les gouvernements de droite qui ont dérégulé, vu sa campagne, vu son paquet fiscal qui prive aujourd'hui l'Etat de toute marge de manoeuvre budgétaire pour agir.

Sans compter que, personne ne l'a relevé, mais les subprimes c'est SA politique : rappelez-vous durant la campagne, ce face à face surréaliste avec une pauvre femme qui ne parvenait pas à trouver un appartement à louer parce que son salaire était trop bas : mais avec moi, Madame, vous allez pouvoir devenir propriétaire. La caméra de TF1 a vite zappé sur le regard effaré de la dame, et le journaliste qui servait la soupe, pas plus que les autres, ni le lendemain, ni après le début de la crise, ni aujourd'hui, n'a jamais mis ces propos de campagne sur la "France de propriétaires", sur les smicards qu'on voulait faire s'endetter pour qu'ils achètent leur logement, avec le mécanisme des subprimes. Et pourtant c'est bien exactement cette politique-là qui y a conduit !

mercredi 17 septembre 2008

Un moment de grâce, un authentique chef-d'oeuvre

Gérard, qui n'en manque pas une et qui sait par où me prendre - le bougre ! -, au moment où Notre Très Saint Père, comme il est désormais de coutume d'appeler le chef d'une Eglise jusqu'à nouvel ordre séparée l'Etat lorsqu'on est président ou Premier ministre d'une République dont, jusqu'à nouvel ordre la Constitution précise qu'elle est laïque, quittait le territoire d'icelle, m'a envoyé ce lien suivant.

Je me souviens bien sûr, comme tous les gens de ma génération (eh oui, je sais, ça marque... mais que voulez-vous, malgré les apparences, je ne suis plus tout jeune !), de l'apparition séraphique de la nonne chantante sur la télé en noir et blanc de mes grands-parents, et du sourire en coin de mon grand-père...

Mais je ne l'avais jamais vraiment écoutée, la soeur, ce que je fis ce soir ; et à l'évidence, il s'agit là d'un authentique chef d'oeuvre... et puis aussi qu'il y a des nuances sémantiques intéressantes : en 1963, Dominique Nique Nique combattit les Albigeois alors qu'en 1982 il ne fait plus que les convertir, le doux agneau du Dieu d'amour... les victimes des massacrés de Béziers ("Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens") et des bûchers de Montségur apprécieront.

Autre différence, le deuxième couplet, lui, disparaît purement et simplement, un couplet qui, lui aussi, vaut son pesant de d'encens :

"Certain jour un hérétique par des ronces le conduit, mais notre père Dominique, PAR SA JOIE, le convertit."

Rappelons que le bon Dominique remit à l'honneur l'Inquisition quelque peu tombée en désuétude, et que les braves frères de l'ordre qu'il fonda s'illustreront pendant des siècles, pour la plus grande gloire du Dieu d'amour, en torturant et cramant nombre d'hérétiques, de sodomites et de sorcières.

Intéressant tout de même, ces nuances entre les deux versions, non ?

Quant à Benoît qui, lui, a rappelé avant de quitter la terre où Sarko l'avait si bien reçu, que les divorcés devaient être absolument exclus de la communion - Merci, très Saint Père ! - on ne doute pas qu'il serait pour la rétablissement de la version d'origine, lui qui, par sa joie, est capable de convertir n'importe quel hérétique !!!

Allez ! Tout le monde reprend en choeur avec moi : "Dominique, mon bon père, garde-nous simples et GAY !"

mardi 16 septembre 2008

Panique dans les bourses

Depuis trente ans, la vulgate qu’on nous corne aux oreilles c’est que plus l’activité économique sera libérée de toute contrainte étatique, plus les marchés et les institutions financières seront libérés de tout contrôle, de toute entrave, plus les échanges seront libérés de toutes les barrières douanières, et plus l’humanité entrera rapidement dans les verts pâturages de la félicité universelle.

Pour atteindre ce paradis, il fallait bien sûr démanteler l’État-Providence, appauvrir les pauvres qui, on vous le promettait, deviendraient ensuite plus riches puisque le gâteau à partager serait plus gros, dépouiller les classes moyennes qui avaient perdu le goût du travail dans une fallacieuse sécurité (comme dit Mme Parizot, l'amour aussi est précaire), privatiser la Sécu, réduire les retraites à une misère, et surtout prendre moins aux riches qui le sont devenus, bien sûr, seulement parce qu’ils ont travaillé plus que la masse des feignants.

Il fallait aussi privatiser, détruire la planification, abolir le contrôle des gouvernements démocratiques sur la monnaie pour les remettre entre les mains de banques centrales prétendument indépendantes, c’est-à-dire idéologiquement favorables à un système économique qui fait de la pression sur les salaires la seule variable d’ajustement dans un monde où l’on a mis en concurrence des travailleurs ayant conquis des droits et des esclaves ; bref empêcher l’intérêt général d’avoir un quelconque moyen d’action sur l’économie.

Tout cela a été réalisé chez nous, indistinctement par des gouvernements de droite et de gauche – à certains égards d’ailleurs plus efficacement par ceux de gauche –, au nom de la modernité et sous couvert d’une construction européenne qui n’est plus depuis longtemps que le moyen le plus pratique pour des nomenklaturas politiques nationales parasitaires d’imposer aux peuples les choix dont ils ne veulent pas.

Ce discours est devenu hégémonique et, depuis vingt ans, on a assisté à une fabuleuse redistribution des richesses au détriment du travail, en faveur du capital. On a discrédité idéologiquement puis déconstruit pierre à pierre les modèles européens (capitalisme rhénan ou système mixte de la France gaullienne) d’une économie de marché tempéré par un rôle important de l’État, garant de l’intérêt général, dont le but n’était pas le profit maximum de quelques-uns mais la plus juste répartition possible des fruits de l’effort de tous.

On a dérégulé ; on a vendu au privé des entreprises qui avaient été construites par l’investissement de la nation, qui servaient l’intérêt collectif, afin d’en faire des machines à cash seulement gouvernées par l’intérêt à court terme du plus fort rendement possible pour l’actionnaire.

On a vendu Elf à Total, GDF à Suez privatisée, demain on bradera EDF à quelque autre capitaliste, on poursuivra la privatisation du nucléaire, privant l’État de tout instrument de politique énergétique à une heure où il est vital d’en avoir une, face à Gazprom, face à la Sonatrach et à des producteurs qui défendent légitimement leurs intérêts.

Aujourd’hui, on privatise la poste ; en organisant l’inefficacité de l’Éducation nationale, on privatise déjà l’enseignement ; demain on va « ouvrir » le marché des transports : Air France va pouvoir faire circuler des TGV, la belle affaire ! Et Bruxelles veut casser le monopole de la RATP paraît-il ! Et permettre aux pauvres de se ruiner en jeux et en paris au profit d’entreprises privées : priorité des priorités, on en conviendra ! Mais en ayant forcé depuis vingt ans la SNCF à se plier aux lois du marché, où en est-on arrivé ? À un sous-équipement dont les banlieusards constatent chaque jour les ravages quand ils doivent prendre le train et le RER, à des TGV cloués sur place parce qu’on a pas investi dans la structure. La logique du privé qu'on a imposée à la SNCF depuis vingt ans est en train de rapprocher insensiblement ce qui fut une des plus modernes entreprises ferroviaire du monde, de l'état lamentable des chemins de fer privés britanniques.

On a abdiqué tout moyen d’agir sur la monnaie au profit de la BCE, de dévaluer si besoin est, comme le font les Américains quand ils le jugent nécessaire ; on s’est emprisonné dans les dogmes de Maastricht qui enlèvent toute marge de manœuvre aux gouvernements en période de crise.

On a enlevé à l’État tout moyen d’action sur la sphère financière, permis toutes les dérives de banquiers irresponsables. On a inventé des produits financiers d’une perversité inouïe, transformé la bourse – dont le but est de financer des entreprises produisant des richesses – en un casino où l’on « parie », à la hausse comme à la baisse, où il n’y a plus ni bon sens, ni rationalité des choix, ni garde-fous. Où des entreprises dont la valeur n’a pas changé, dont la richesse qu’elles produisent continuent à l’être, peuvent perdre 15 % ou 30 % en deux jours. Vous avez remarqué comme les libéraux vous ont asséné, dans les années 90, que les investissements calamiteux du Crédit Lyonnais condamnaient, dans son principe, l’économie mixte, l’irresponsabilité de l’État actionnaire, etc. Mais comme ils ne vous assènent pas que la crise actuelle remet en cause, dans leur principe, les politiques libérales menées depuis vingt ans.

Non ! ils vous disent juste que, pour éviter la crise, il faut que, après avoir privatisé les profits, on nationalise les pertes.

Pendant vingt ans on a privatisé les profits au détriment des projets collectifs, en considérant l’intérêt général comme une vieillerie idéologique à ranger au musée du marxisme. On a nié qu’il existât une troisième voie entre le libéralisme et le dirigisme. On a démantelé systématiquement tout ce qui avait permis d’avancer dans cette voie-là.

Aujourd’hui, on se lamente sur la crise financière, on joue l’ahurissement, on essaye de se rassurer comme on peut. Mais cette crise n’est pas fortuite. Comme celle de 1929, elle est le résultat d’une politique, celle de Reagan et de Thatcher ; celle dont, Sarkozy, avec son paquets fiscal, son bouclier fiscal, illustre mieux encore que ses prédécesseurs la stupidité, parce qu’il est à contretemps. Une politique qui, depuis vingt ans, ne considère plus que les moyens de produire du profit. Qui a totalement oublié les fins collectives, l’idée de l’homme, que ce profit doit servir ; les mécanismes, les contrôles, les entraves, les interventions étatiques et démocratiques nécessaires qui doivent permettre d’atteindre ces fins.

Et maintenant, comme dirait le camarade Lénine : Que faire ? Comment reconstruire ce qu’on a systématiquement détruit depuis vingt ans ?

C’est peut-être ce que devraient se demander les socialistes plutôt que de s’étriper pour savoir qui sera le syndic de faillite !… À cet égard, j’ai entendu Vincent Peillon, la semaine dernière, sur France Culture. Je ne sais pas pourquoi il est derrière Ségolène, parce que ses propos m’ont semblé à l’exact opposé de l’action de la dame, mais, en l’entendant, je me suis dit que tout n’était peut-être pas perdu si certains commençaient à songer au réarmement idéologique, à la réflexion sur la manière de rompre avec la gestion des affaires courantes, en se coulant dans le moule libéral et en tâchant d’en limiter les dégâts – ce qui est illusoire –, sur la manière d’imaginer, à partir du passé, ce que pourraient être les moyens à redonner à l’État pour lui permettre de reprendre son rôle et de faire prévaloir, de nouveau, l’intérêt public sur les intérêts privés, de réorganiser une économie de marché selon d’autres normes, sociales et écologiques, que le profit.

samedi 13 septembre 2008

Nisyros, Yourcenar, Benoît XVI, saint Paul et l’éloge de la bêtise (1)

Bon, voilà, ça y est, je suis rentré. Choc thermique. Déjà ras-le-bol de la grisaille. Déjà affamé de lumière.

Parce qu’il y a déjà presque trois semaines que je suis rentré. Mais je n’ai pas pu reprendre ce blog, tout à la rédaction d’un article que je dois rendre lundi à La Documentation française, sur la Grèce depuis le début du XXIe siècle, aux mille choses à régler après deux mois d’absence, à commencer par celles que j’avais laissées derrière moi, en partant, après ce printemps où je n’ai cessé de courir après le temps.

J’aurais tant de choses à écrire sur ces deux mois à Nisyros ! Il n’est pas si courant qu’un rêve de trente ans se réalise et, grâce à mon homme, cette maison qui est désormais à nous, cette cabine de bateau échouée sur la lèvre d’un volcan avec balcon sur l’Égée, c’est bel et bien un rêve de trente ans qui s’est réalisé. Et je ne rêve maintenant que d’y retourner, pour y passer le début de l’année avec mon homme, pour écrire en mai et juin prochains, pour y vivre autant que je peux.

Donc tout fut bien. Nous en avons profité pour marcher, pour le farniente, qui, bien sûr, n’est pas ne rien faire, mais cultiver le temps qui passe avec amour, pour jouir de la mer, pour se gaver de figues et en faire quelques bocaux de confites, pour boire l’ouzo en regardant de notre balcon les côtes de l’immense Asie hostile se nimber d’un incroyable rose, s’enfoncer dans un sfumato à rendre dingues tous les maîtres de la Renaissance…

Nous en avons profité pour nous couper du monde : j’ai dû parcourir trois fois Le Monde en deux mois. Et ça fait un bien fou : on a soudain l’impression que les conneries de Sarko, les crimes de Bush ou les contorsions de Jack Lang relèvent d’une autre dimension. L’impression… Il y a Internet bien sûr, mais Internet au café Internet de Mandraki, face à la mer et un ouzo à la main (on a fait que picoler ? « que », non, mais on a bien picolé, oui et alors ?!), ce n’est plus vraiment Internet !

Bon, c’est vrai, on n’a pas coupé tous les ponts non plus, et on a arrosé dignement le passage de L’Or d’Alexandre à La Fabrique de l’histoire, sur France Culture, ainsi que l’entretien de deux pages que Marc Alpozzo a réalisé pour ''Le Magazine des livres'' de la rentrée littéraire – deux pages dont l’ami Gérard (le pacsé du trottoir) nous a immédiatement envoyé le scan.

J’en ai surtout profité pour me remettre à écrire – je suis rentré avec trente pages ; pour me remettre à lire, enfin, après tant de mois où le temps a manqué, où l’esprit refusait de se laisser circonvenir, toujours pris par les urgences, les déplacements, les soucis parasites. À dévorer. Peut-être, si j’en ai le courage, dans les semaines qui viennent, publierai-je quelques notes sur ces lectures estivales. La plus marquante, je la dois à un très cher ami, un certain Philippe-Jean : mais comment un roman de Yourcenar, le dernier, avait-il pu m’échapper jusqu’à aujourd’hui ? Je n’en suis pas encore revenu : Un Homme obscur, si vous ne l’avez pas encore lu, lâchez tout et courez l’acheter.

Ainsi des pages 53 et 54 (dans l’édition Folio) : « Oui ces paraboles nées dans les champs ou sur les bords d’un lac étaient belles ; une douceur s’exhalait de ce Sermon sur la Montagne dont chaque parole ment sur la terre où nous sommes, mais dit vrai sans doute dans un autre règne, puisqu’elle nous semble sortie du fond d’un Paradis perdu. Oui, il aurait aimé ce jeune agitateur vivant parmi les pauvres, et contre lequel s’étaient acharnés Rome avec ses soldats, les docteurs et leur Loi, la populace avec ses cris. Mais que, détaché de la Trinité et descendu en Palestine, ce jeune Juif vînt sauver la race d’Adam avec quatre mille ans de retard sur la Faute, et qu’on allait au ciel que par lui, Nathanaël n’y croyait pas plus qu’aux autres Fables compilées par des doctes. Tout allait bien tant que ces histoires flottaient comme d’innocentes nuées dans l’imagination des hommes ; pétrifiées en dogmes, pesant de tout leur poids sur la terre, elles n’étaient plus que de néfastes lieux saints fréquentés par les marchands du Temple, avec leurs abattoirs à victimes et leur cour des lapidations. »

Ah ! Marguerite… En entendant le pontifiant pontife, tout à l’heure aux infos, je me suis rué sur son Homme obscur pour relire ce passage qui colle si bien à ce vieillard engoncé dans ses surplis aussi amidonnés que sa pensée.

A l'intention de ceux qui veulent savoir pourquoi… ce billet à une suite.

Nisyros, Yourcenar, Benoît XVI, saint Paul et l’éloge de la bêtise (suite et fin)

Déjà hier, notre très catholique président (ça ne doit pas être facile tous les jours pour ce grand catholique, que l'Église qu’il aime tant et qui définit mieux que les instits le bien et le mal, d'être condamné sans appel et interdit de Sainte Table pour ses deux divorces !) m’a fait grimper au lustre avec sa laïcité, ouverte, ou rénovée, ou modernisée, on ne sait plus. Il n’y a qu’une sorte de laïcité : celle qui refoule la religion hors de la cité, celle qui lui interdit d’interférer dans l’État ; celle qui la tient étroitement cantonnée au domaine du privé. Et cette laïcité-là, depuis que Jack Lang a permis aux financements de l’enseignement confessionnel d’exploser, on l’a déjà bien trop ouverte, rénovée, modernisée… on l’a surtout bien trop violée.

Et pourtant ce matin l’inénarrable et pontifiant pontife a battu notre Sarko national dans les grandes largeurs ! Au passage, il faudrait exiger une bonne fois des médias qu’ils arrêtent de se comporter à l’égard de ce type, qui n’est ni saint ni père, comme s’il était le directeur de conscience des Français : il y avait deux cent mille Français ce matin aux Invalides, et alors ? est-ce parce que le PC est toujours capable d’organiser la Fête de l’Huma que son existence signifie encore quelque chose ?

Mais revenons à Benoît et à cette première épître aux Corinthiens du sinistre Paul de Tarse dont il fit ce jour d'hui le laborieux commentaire de texte devant une foule ébaubie. Les lecteurs de La Quatrième Révélation savent ce que je pense de Paul : il est le fondateur de tous les totalitarismes, parce qu’il a fondé le premier. Dans l’épître en question (6, 10), précision destinée à tous ces pédés qui se veulent ou se croient chrétiens, notre zélateur du Dieu d’amour et de miséricorde, dont toutes les épîtres transpirent la haine et suent l’anathème, nous informe, entre autres joyeusetés, que « ceux qui se livrent à la débauche, adorent les idoles, pratiquent l’adultère, les mous efféminés et les mâles qui se vautrent avec des mâles dans le même lit, les voleurs, les avaricieux, les ivrognes, ceux qui blasphèment et font preuve de cupidité, aucun de ceux-là n’héritera du royaume de Dieu », avant de préciser, dans celle aux Romains (I, 26-32) que lesdits mous efféminés et mâles se vautrant etc., « méritent la mort ». Dieu d’amour et de miséricorde…

Bref, ce soi-disant grand intellectuel qu’est Benoît XVI n’en avait pas après ces mâles-là aujourd’hui, mais après les idoles, ce qui, on en conviendra, est d’une actualité brûlante.

Ironie facile diront certains, car l’exégèse c’est justement de nous dire ce que Paul n’a pas dit et de cacher ce qu’il a dit mais qui gêne parce que c’est monstrueux, en faisant croire que les idoles qu’ils dénoncent en cachent d'autres, que ses prurits d'intolérance n'en sont pas et que ses élucubrations émises devant des païens généralement confondus par tant de bêtise, par un type persuadé que le Jugement dernier est pour demain ont encore le moindre sens dans le monde d'aujourd'hui. Soit. Mais alors quelle est cette actualité ? Écoutons Benoît :

« L’argent, la soif de l’avoir, du pouvoir et même du savoir n’ont-ils pas détourné l’homme de sa Fin véritable, de sa propre Vérité ? »

Autrement dit, soyez cons et ignares et vous serez sauvés. Bien sûr, tous les médias vont relever que la pape a condamné le capitalisme sauvage – l’argent et la soif de l’avoir –, aucun ne relèvera l’ironie qu’il y a à condamner la soif du pouvoir devant le très catholique Sarko.

Mais la soif du savoir qui détourne l’homme de sa Fin véritable et de la Vérité ?

On savait déjà que l’arbre de la Connaissance est à l’origine de tous les malheurs de l’humanité. On savait aussi qu’heureux les simples d’esprit… et qu’il vaut mieux chanter « des psaumes, des hymnes, des chants inspirés » (Paul, épître aux Colossiens, 3, 16-17) que se « laisser ravir par la philosophie, vaine supercherie » (Idem, 2,8), qu’il vaut donc mieux prier et croire que chercher à savoir. On savait encore que la très chrétienne Sarah Palin (elle me plaît beaucoup, celle-là aussi ! vous allez voir qu'on va regretter Bush de la même façon que Sarko est parvenu à nous faire regretter Chirac...) est une adepte du créationnisme, tellement en vogue chez les plus réactionnaires protestants comme chez les islamistes turcs promis à une entrée dans l’Union européenne, mais dont la forme cultivée, le dessein intelligent, fait sûrement son chemin dans l’Église catholique, sous la houlette de l’archevêque de Vienne, le cardinal Schönborn, et avec la bénédiction du grand intellectuel Benoît.

Maintenant on est fixé : le savoir c’est mal, et c’est Benoît qui le dit. Ça valait le coup de le recevoir en grande pompe et de réunir autour de lui deux cent mille ravis de la crèche, non ?

Bon allez, j’arrête là. Je vais encore me faire engueuler par mon homme qui trouve mes billets trop longs, qui voudrait que j’écrive plus court. J'ai bien essayé de conjurer son ire en coupant ce billet en deux, mais je sais qu'il ne sera pas dupe !

PS : message personnel à Tom Cruise : pardon de ne vous avoir pas répondu, mais je n’ai découvert qu’hier votre commentaire sur un vieux message. Je tâcherai donc de faire un court billet (pour contenter Frédéric) afin d’expliquer pourquoi, à mon avis, le quinquennat sec a totalement dénaturé les institutions de la Ve République.

PPS : je conseille à tous mes lecteurs pédés la lecture du premier ouvrage d’un très bon ami, le professeur gallois A.S. Steelcock : son ''Larry Poppers'' est franchement impayable ! Voir aussi son premier entretien accordé aux Niçois de l'association Polychromes.

PPPS : pour Fabio, dont je viens également de découvrir le commentaire sur un autre message ancien, merci de ce que vous me dites de votre lecture du Plongeon ; quant aux biscuits roses... il y a sans doute des traditions diverses : Frédéric avec qui je vis depuis bientôt 25 ans est Rémois lui aussi. Et la première fois que j'ai été reçu dans sa famille, à Reims... on m'a fait tremper mon biscuit rose dans mon champagne. Voilà, je ne peux en dire plus sur le fait que cette pratique soit ou non hétérodoxe, le fait est que les choses se passèrent ainsi, que les deux vont bien ensemble et que depuis, dès que je me trouve en présence d'un biscuit rose et d'une flûte de champagne, à tort ou à raison, je me fais ce petit plaisir... de tremper l'un dans l'autre.