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vendredi 28 juillet 2017

STX

Si je ne me félicite pas de la préemption (et non de la nationalisation comme certains se plaisent à le dire, alors que le ministre a précisé qu'il n'employait pas le mot de préemption au hasard) de STX, c'est que je ne suis pas encore certain que tout cela soit autre chose que de la gesticulation.

Si cette intention annoncée à grand renfort de coup de clairons trouve une traduction REELLE, alors je n'hésiterai pas à dire que ce président et ce gouvernement que je conchie ont eu raison et ont bien fait. Mais je me souviens de Florange et d'un Macron qui s'opposa à la nationalisation sauvetage d'un instrument industriel capital voulue par Montebourg. Et je vois dans le même temps qu'on se prépare à privatiser les aéroports de Paris. Et je sais aussi qu'il faut faire diversion sur le mauvais coup, qui ne passe pas, asséné à la défense de la nation.

Alors ? Alors on verra si cette intention affichée va au bout. Ou bien s'il ne s'agit que de moulinets destinés à brasser l'air estival pendant dix jours pour finir par dire que, grâce à cette fermeté, on a obtenu des concessions qui n'en seront pas et qui légitimeront, au nom de l'idéal européen appelé à la rescousse, le bradage.

Je connais trop l'air grec de cette chanson-là : mimer la résistance pour faire croire qu'on résiste et tout lâcher en disant que ç'aurait été pire si on n'avait pas résisté.

Qu'on me permette donc d'attendre un peu avant de féliciter une équipe qui ne se distingue que par la trahison des intérêts de la nation depuis qu'elle est au pouvoir.

jeudi 27 juillet 2017

Séismes à la grecque et retour en Macronie

Me voilà donc rentré, depuis samedi dernier, de mon premier round nisyriote 2017. Entre deux séismes : le personnel, avec la liquidation de La Différence qui a descendu mon Tigrane au décollage, et le tellurique qui a secoué toute la région deux nuits avant mon départ.

Côté livre, je suis dans les démarches et les lettres recommandées pour me faire reconnaître créancier privilégié - le liquidateur judiciaire semblant ignorer le Code de la propriété intellectuelle qui établit les auteurs à ce rang, depuis 2006, pour leurs droits d'auteur des trois dernières années. Sans trop d'illusion, mais j'ai bien l'intention de ne pas laisser ledit liquidateur en paix. Et puis il faut se battre pour obtenir un état des ventes ; et puis je viens de poster le second courrier demandant notification de la restitution de mes droits - stade indispensable avant une éventuelle réédition, probablement dans une collection de poche - alors que cette restitution m'est due de droit. Et puis encore, je tente de m'opposer à la vente du stock des Tigrane en solderie : mais là non plus, pas de réponse. Grâce soit ici rendue à la Société des gens de lettres dont je suis membre et dont le service juridique a été d'une réactivité remarquable et d'une aide aussi efficace que cordiale. Il semble ainsi que le liquidateur soit obligé de me proposer... le rachat du stock à prix coûtant !

N'est-ce pas beau ? N'est-ce pas grandiose ? Non seulement le liquidateur ne me payera sans doute pas les droits d'auteur que me doit La Différence mais, si je veux éviter de voir mon livre traiter comme un objet vendu à l'encan, au prix du papier, et ce pour rembourser l'URSSAF, ou le fisc, ou... il me faudra, moi, le racheter !

Ma question est : à quoi sert le ministre de la Culture, de surcroît, une éditrice, si elle ne lève pas le petit doigt pour trouver une solution à la reprise digne d'un fonds de 40 ans comme celui de La Différence ? A quoi sert un ministre de la Culture qui laisse les artistes dans cet état de totale vulnérabilité quant à la préservation de leur droit moral ? Je ne parle même pas des droits financiers !!!

Quant au second séisme : merci d'abord à tous ceux qui ont pris de mes nouvelles. Kos a souffert (le centre de la ville essentiellement et de manière très localisée : j'y suis passé en transit samedi matin: un minaret d'une ancienne mosquée s'est effondré sur la place centrale, le port est zébrè par une fissure plus ou moins large, l'église principale lézardée; mais un autre minaret no loin est intact, la forteresse des chevaliers de Saint-Jean, apparemment aussi et le surlendemain, la vie en ville était normale. Nulle trace de panique chez les habitants ou les touristes, mais des caméras de télé agglutinées comme des mouches sur une merde dans le périmètre des dégâts : la catastrophe euro-allemande au quotidien que vivent les Grecs les laissent muets et indifférents; le catastophisme les fait bander), mais Nisyros est indemne.

Reste que, depuis 25 ans que je viens ici, j'ai vécu pas mal de tremblements de terre, notamment lors de la crise sismique de 1997(un séisme par jour pendant près d'un mois, des maisons lézardées et évacuées, la falaise du monastère de la Panaghia spiliani, au dessus de Mandraki, ébranlée....). Mais celui-là est d'un calibre exceptionnel. Se réveiller de son premier sommeil à 1h30 avec un lit qui vogue, sentir la maison littéralement onduler, tenter de descendre du moni (lit traditionnel en hauteur de 5 marches d'escalier étroites) en sentant non pas une vibration, mais un mouvement horizontal de cisailles, et surtout entendre un bruit de vagues et de ressac dans la citerne, comme si on était au bord de la mer alors qu'on est à 400 m d'altitude est une expérience qui me manquait... sans parler de la demi-douzaine de répliques pendant le reste de la nuit - à chacune on ouvre un oeil en se demandant si l'on a rêvé. Heureusement pour nous, les Nisyriotes, cette nuit Poséidon le Kosmoseïstis nous protégeait. Merci à lui.

Quant à la situation en Grèce, elle ne cesse de se dégrader. Sur tous les plans, économique, social, sanitaire. A Nisyros, nous avons eu de longues discussions avec des amis écrasés d'impôts qui ne savent plus que faire - les commerçants notamment qui doivent parfois payer plus - en raison du système d'avance d'impôt sur les années à venir - qu'ils n'encaisseront. Car juin et le début juillet ont été encore pires que l'année précédente déjà mauvaise. Les all inclusive de Rhodes ou de Kos (avant le séisme ; après avec le catastrophisme imbécile des médias ???) semblent certes faire le plein (discours officiel sur le record d'entrées), mais ce tourisme-là ne profite en rien à la Grèce. Les hôtels sont désormais la plupart du temps propriétés de sociétés étrangères, les recettes sont encaissées dans les pays de départ, les salaires de l'hôtellerie sont des salaires de misère (quand ils sont payés : voir plus bas), et les troupeaux qui pratiquent ce genre transhumance ne font plus travailler les commerces locaux puisqu'ils ont tout gratos dans leur usine à vacances idiotes.

A Nisyros, nous avons constaté, il y a deux ans que les institutions scientifiques grecques n'avaient plus les moyens financiers de surveiller les volcans de l'Egée et que cette tâche revenait désormais à un réseau d'universités solidaires qui grattent les fonds de tiroir de leur frais de mission - chez nous des Suisses et des Anglais. A Nisyros, cette année, le musée archéologique, ouvert il y a moins de 10 ans - un superbe musée, avec une muséographie intelligente - est fermé en raison des coupures de budget exigées par les Euro-Allemands. A Nisyros, la vieille dame qui tient une petite échoppe de fruits et légumes et me vend ses oeufs du cul des poules a été obligée de s'équiper d'une machine à carte de crédit (dont elle ignore le fonctionnement mais dont elle doit payer la location) : sinon, c'est 1500 euros d'amende.

Elle n'est pas belle, l'Europe ???

Mais en Grèce, la politique de l'UE conduite par le gouvernement de gauche dite radicale est aussi un mécanisme de spoliation de la propriété privée et de transfert massif de la propriété privée et publique, en partie vers un étranger qui dépossède les propriétaires grecs, exploite les salariés grecs et exporte ensuite les bénéfices réalisés sur le dos (aéroports, rachats de terrains et de biens immobiliers à bas prix, infrastructures hôtelières et développement du all inclusive qui permet de délocaliser les recettes...).

Le bradage des infrastructures est désormais acté. Comme nombre des aéroports grecs les plus rentables, celui de Kos à été soldé à Fraport, une société allemande - par pur hasard, bien entendu. Voilà plus de 20 ans que je le fréquente. L'affichage par télévision y fonctionnait parfaitement et les toilettes étaient d'une propreté... suisse. En arrivant à la mi-juin, nous avons eu la surprise de voir l'affichage des vols au-dessus des tapis à bagage réalisés au marqueur sur de grand panneaux de papiers, et le circuit d'affichage vidéo ne fonctionnait toujours pas, en pleine saison, cinq semaines plus tard. Quant aux toilettes, elles puaient la pisse. Toute l'efficacité allemande dans le dépeçage ! Compression de personnel, absence d'investissement, rentabilité maximale. Une espèce de métaphore de l'Union européenne...

Par le mécanisme d'endettement privé qui fut encouragé de manière totalement irresponsable, dans les années d'avant crise, par les gouvernements grecs, l'UE ou l'OCDE qui y voyaient un "modèle" de développement, et les banques (alors en grande partie propriété de groupes français qui se sont dégagés depuis), dans un pays qui ne connaissait quasi pas le crédit à la consommation, on a amorcé ce processus de spoliation qui est aujourd'hui entretenu par des impôts si lourds que les contribuables ne peuvent plus payer, par la baisse des salaires et des pensions ou par le non versement des salaires par les patrons que la Cour suprême vient de légaliser (voir notamment le dernier papier de mon ami Panaghiotis Grigoriou, aidez-le si vous le pouvez, sur son indispensable blog Greekcrisis).

Juste un exemple (paratagé hier sur Facebook par mon ami Constant Kaimakis : les travailleurs du groupe « Euromedica » en Grèce du Nord, et plus particulièrement la clinique « Κυανούς Σταυρός» (Thessalonique) et « Ζωοδόχος Πηγή» (Kozani), sont en grève depuis 10 jours pour obtenir le paiement de leurs salaires non payés depuis 5 à 10 mois selon les établissements. Leur syndicat dénonce ainsi :

« L'asphyxie économique au cours des sept dernières années a eu un impact négatif énorme sur la vie quotidienne de centaines de travailleurs, niant leur dignité et leur vie normale. Le Groupe « Euromedica » continue avec impunité la même pratique courante, laissant les travailleurs non payés avec des dettes qui se sont accumulés de cliniques en cliniques, avec comme argument que l’argent a été dépensé. A l’opposé de la pauvreté forcée dans laquelle se trouve l' ensemble du personnel, on assiste à une augmentation du chiffre d'affaires de la société, qui a bénéficié du démantèlement de la santé publique. Ainsi, d’une part ils gagnent de l’argent, et de l’autre, ils ne payent pas leur personnel ! » et de préciser: « L’employeur fait tout pour arrêter les manifestations, en utilisant tous les moyens disponibles, que ce soit une autre promesse vide de paiement, soit en invoquant la fermeture de la clinique, ou en exerçant une pression sur les travailleurs pou se retirer de la grève. Mais devant eux se trouvent la détermination des travailleurs, qui continuent de lutter sans faire un pas en arrière."

Mais comment vivent les gens qui travaillent ainsi sans être payés ? Ce que, une fois encore, la Cour suprême grecque vient d'entériner (vous comprenez, j'espère, que la réforme du Code du travail de Macron, les APL et toutes ces réformes que la France a trop longtemps différées, ne sont qu'un insipide apéritif à l'aube de l'ère Macron !). Ils empruntent, aux banques, sur la base des salaires qui leur sont dus et à des taux qui les ruinent, qui les obligent, à terme...

Ainsi se multiplient les saisies, et les ventes aux enchères qui, systématiquement, au moins dans les grandes villes, suscitent des manifestations de résistance qui expulsent les acheteurs potentiel, bloquent la vente... provisoirement.

Ainsi s'opère une autre spoliation à bas bruit, que je vois à l'oeuvre à Nisyros : nombre de Grecs qui ne peuvent plus vivre de leurs revenus, notamment des retraités qui ne touchent plus que 400 euros ou moins, ou qui ne peuvent plus payer leurs impôts cherchent à vendre à n'importe quel prix terres ou maisons qu'ils ont hérités de leurs ancêtres dans un pays où, avec la France de la révolution, la réforme agraire a été la plus poussée en Europe. Pour s'acheter six mois ou un an de répit.

C'est la saison des vautours (on en a un et il est français, à Nisyros) dont j'annonçais la venue dans un post peu après la trahison par Tsipras du référendum de 2015. Ces vautours-là sont en train de déposséder les Grecs de leur pays en rachetant tout à bas prix, ils sont chinois ou européens à Athènes, où la propriété grecque fond à vue d'oeil et où certains quartiers voient leur population expulsée par ces ventes et la conversion des appartements d'habitation en locations type AirbnB.

Le tout sous un gouvernement dit de gauche radicale qui s'est fait l'instrument docile d'une administration coloniale, d'une occupation euro-allemande qui ne dit pas son nom.

Et puis après le retour, il y a eu la reprise de contact avec le monde macronisé.

J'ai d'abord appris la grogne qui agite notre Grande Muette (il faut lire cet intéressant entretien de Coralie Delaume avec le général Faugère). Comment ? vous n'êtes donc pas au courant que la géniale politique de notre chancelière à tous (celle qu'on applique désormais à l'aéroport de Kos) a conduit l'armée allemande à immobiliser des hélicos et autres matériels pour en faire des réserves de pièces de rechange pour ceux qu'on arrive à faire voler encore. Comme ce qui nous reste d'appareil militaire est notre dernier point fort par rapport au suzerain allemand, et que le vrai projet macronien est de liquider en 5 ans ce qui reste de souveraineté à la France, je ne vois pas en quoi les décisions budgétaires de Génie sans bouillir sont surprenantes. Les coupes dans le budget de la Défense nationale, car c'est de ça dont il s'agit, pas "des Armées" qui seraient un corps séparé de la nation, se font naturellement au nom "des engagements européens", au nom d'un machin ultralibéral qui s'appelle l'Union européenne. La culpabilisation de la France - dans l'affaire du Vel d'Hiv notamment (je ne saurais écrire mieux, là-dessus, que ce qu'ont publié, sur leur blog respectif, Bertrand Renouvin ou Jacques Sapir - afin de finir de déculpabiliser l'Allemagne pour son histoire monstrueuse va d'ailleurs dans le même sens : la liquidation de plus de mille ans d'histoire au service d'un projet de soumission à un ensemble apatride et ultralibéral sous domination allemande.

Car, soyons clair, le projet macronien n'est rien de moins qu'un projet de trahison des intérêts fondamentaux de la nation.

Puis je me suis étonné de l'étonnement à propos de la réduction des APL : bonnes gens, adressez-vous donc à Bruxelles ou à Berlin ! Macron et sa bande de guignols ne sont là que pour appliquer les GOPE (Grandes orientations de politique économique) élaborées par la Commission européenne. Qu'écrivais-je donc, dans 30 bonnes raisons pour sortir de l'Europe, paru en décembre dernier, à propos des GOPE 2016, p. 162 ?

"Ces recommandations insistent sur la rigidité excessive du contrat de travail — les obstacles aux licenciements dans le cadre du CDI —, ainsi que sur l’insuffisance des possibilités de « dérogation aux accords de branches et aux dispositions juridiques générales sur les conditions d’emploi, par l’intermédiaire des accords d’entreprise ». Elles relèvent encore l’insuffisance des réformes levant les obstacles à la concurrence dans le secteur des services, la trop grande mansuétude pour les professions réglementées, des allocations de logement trop généreuses…"

Vous avez besoin d'un dessin ? Des GOPE, vous allez en bouffer pendant 5 ans, à la grecque ! Quant au troupeau des nombreux castors qui ont fait barrage, il n'a pas fini de barboter dans le lac de retenue !

Je me suis aussi amusé à la vue de quelques représentants du peuple en marche vers la grande Katastrophe : tel confondant le décret et la loi, tel incapable de comprendre la question qu'il est censé avoir écrite et qu'il n'est pas même capable de lire, tel qui se plaint que son mandat l"empêche d'aller au judo, tel qui ne savait pas qu'il fallait siéger pour... Les Bronzés font la loi ou Les Sous-Doués à l'Assemblée. je suis bien heureux de n'avoir pas participé à la mascarade démocratique de l'élection de cette meute qui votera comme un seul homme les pleins pouvoirs à Pétain ou Pét deux... Car qu'on ne s'y trompe pas : le cycle électoral que nous avons vécu depuis un an n'est plus qu'une parodie de démocratie. il n'y a plus de démocratie représentative, en régime d'Union européenne, que parodique et dérisoire. A la Vouli grecque, comme à l'Assemblée française, les soi-disant députés ne sont plus que des spectres qui s'agitent pour tenter de faire croire que la démocratie encore. C'est leur seule utilité.

Enfin, je m'indigne qu'on s'indigne de l'insuffisance de bombardiers d'eau pour combattre les incendies !

Palsembleu ! Il faut bien payer le prix de l'euro ! Monnaie surévaluée, déficit commercial, absence se croissance, chômage, donc déficits sociaux, donc austérité stupide pour rester dans l'euro, donc sous-investissement dans l'avenir partout... donc monaie toujours plus surévaluée, donc... Ca s'appelle une spirale mortifère qui devient mortelle si, comme en Grèce (voir ci-dessus les toilettes de l'aéroport de Kos), on se refuse de la rompre !

samedi 1 juillet 2017

Tigrane dans "France-Arménie" et Amazon... le chant du cygne

Aujourd’hui je devrais être heureux, puisque sort, dans le numéro de juillet-août de France-Arménie, une superbe critique de Tigrane l’Arménien signée par Tigrane Yégavian (on en trouvera le texte ci-dessous ; je suis à Nisyros sans possibilité de transformer le fichier pdf en fichier image) et que je viens de découvrir la belle recension postée par un fidèle lecteur (un Lausannois) de mes romans sur le site d’Amazon.

Oui mais voilà… Il y a quatre jours, par Mariam, une amie Facebook elle aussi lectrice de Tigrane, j’ai eu connaissance du communiqué signé Colette Lambrichs (directrice littéraire des éditions de La Différence dont elle fut l’une des fondatrices en 1976) annonçant la mise en liquidation judiciaire de cette belle maison à la politique exigeante depuis plus de quarante ans.

Lorsque, après quinze années, cinq romans, un essai, une préface, deux nouvelles et quelques autres aventures, j’ai quitté H&O, j’ai un peu eu le sentiment de déserter. Ce n’était pas le résultat d’une rupture ou d’un refus – Henri et Olivier sont des amis fidèles que j’aime et que j’estime pour leur travail, leur exigence, leur dévouement… et je crois qu’ils me le rendent un peu. Mais nous avions convenu ensemble que le temps, pour moi, était venu d’aller tenter ma chance chez un éditeur mieux diffusé, installé sur la scène parisienne. Et j’ai été heureux quand le manuscrit de Tigrane a retenu l’attention de Colette Lambrichs.

Je me doutais bien que la maison ne roulait pas sur l’or, mais quelle maison indépendante est aujourd’hui dans une santé financière éclatante ? En quinze ans de vie commune avec H&O, j’ai une idée assez précise de ce que sont les hauts et les bas d’un petit éditeur indépendant. D’autant que la situation économique a conduit depuis plusieurs années à une baisse générale des tirages. L’orientation des dépenses de nombreux ménages vers d’autres « produits » que le livre jointe à l’érosion du pouvoir d’achat de classes moyennes vouées par l’eurolibéralisme à la paupérisation – un processus qui ne peut, dans l’euro, avec Macron et sa bande au pouvoir, que s’aggraver, à la grecque et jusqu’à leur extinction – pèsent d’un poids de plus en plus lourd sur une économie du livre déjà très fragile. C’est dans les dépenses non indispensables – et les achats de biens culturels sont de celles-là – qu’on coupe en premier. Lors de la réunion de présentation de Tigrane aux représentants du diffuseur, en mars, j’ai entendu ceux-ci parler d’une baisse de 20 % du chiffre d’affaires, toutes maisons confondues, depuis le début de l’année – s’ajoutant aux baisses des années précédentes.

Je sais aussi, depuis mon passage comme éditeur à la Documentation française, dans les années 1990, qu’une année d’élection présidentielle est toujours une année difficile à négocier pour les éditeurs.

J’étais pourtant à mille lieues de penser que ces éléments épars puissent conduire l’éditeur, qui a publié Tigrane le 4 mai, à être brutalement mis en liquidation judiciaire le 20 juin – sans même avoir la chance d’une procédure de redressement.

Je suis bien sûr touché par le sort des salariés de La Différence qui vont se retrouver au chômage, comme par celui de Colette Lambrichs dont cette maison était l’œuvre d’une vie. Je le suis aussi parce que, dans ce monde de m…, se réduisent chaque jour la place de la création, de l’exigence intellectuelle et littéraire, les possibilités d’exister pour des éditeurs n’appartenant pas à de grands groupes (comme dans la presse) et donc, au final, la liberté d’expression et la liberté tout court. Mais l’auteur étant un être humain comme un autre, je suis d’abord foudroyé et effondré par le sort réservé à mon Tigrane – tué par cette liquidation un mois et demi après sa parution. Je le suis d’autant plus que si chacun de mes romans a répondu à une urgence, à une nécessité intime, celui-là était à mes yeux d’autant plus précieux et nécessaire qu’il voulait briser une double négation – celle du génocide arménien dont le négationnisme d’État de la Turquie est un second et permanent martyre infligé aux victimes, celle de l’étouffement systématique que subit le peuple grec depuis bientôt dix ans au nom de l’Europe et du There is no Alternative.

Le 9 juin dernier, je faisais dans la belle librairie « Ithaque » de Bruno et Véronique (rue d’Alésia, Paris 14e) la première présentation de Tigrane. Ce fut un franc succès. Ils viennent de m’écrire que le livre continuait à se vendre très bien et qu’ils en avaient recommandés avant qu’il ne soit plus disponible. Dès le début juillet. Et maintenant ? Depuis mes premiers contacts avec le monde de l’édition dans les années 1990, j’ai connu bien des joies et des désillusions, j’ai pris pas mal de coups – certains furent rudes. Celui-ci me laisse en état de sidération. Si je me suis remis à travailler à mon hypothétique prochain roman, c’est de manière mécanique. Franchement, je ne sais pas si je remonterai en selle. Si cela en vaut encore la peine dans le monde de l’édition, et dans le monde tout court, tels qu’ils sont.

Article de Tigrane Yégavian pour France-Arménie, juillet-août 2017, rubrique « Pause lecture », p. 58.

Paru en mai dernier, le roman d’Olivier Delorme est un habile mélange de thriller historique et politique qui ne peut laisser indifférent. Mêlant la séquence du Génocide à celle de la crise grecque, l’auteur qui est surtout connu pour sa somme magistrale consacrée à l’histoire de la Grèce moderne, nous entraîne dans une intrigue haletante. Tigrane et Thierry Arevchadian sont deux Français d’origine arménienne, l’un douanier, s’étant engagé naguère avec l’ASALA, l’autre commissaire européen. Leur grand-père, Bédros Arevchadian, était venu à Constantinople de sa Trabzon natale à la veille du déclenchement de la guerre. Unique survivant d’une famille emportée par la barbarie turque, ce militant dachnak deviendra « vengeur » de l’opération Némésis. Un siècle plus tard, ses petits-fils tentent de récupérer des documents qui rendraient impossible le négationnisme de l’État turc, lorsque, à deux pas de Thierry, une balle tue le patron de la Stolz qui produit un pesticide accusé d’empêcher la reproduction des abeilles. Maîtrisant le récit grâce notamment à un excellent travail de documentation historique, l’auteur nous fait partager ses deux passions grecque et arménienne.

Mais qualifier ce roman de polar historique serait un brin réducteur. Plongée dans le passé et le présent, l’Athènes affamée que nous décrit Delorme n’a rien de celle grouillante de vie peinte par un Petros Markaris, tant la détresse du peuple grec frappé de plein fouet par le diktat de la troïka qui l’asservit prend des allures de tragédie contemporaine. Delorme se veut grave et accusateur, dénonçant une nouvelle et sournoise dictature qui ne dit pas son nom. En cela, la légèreté des dialogues – et des péripéties sentimentales du héros – se heurte à l’âpre violence du réel. « Allons admirer le chaos, peut-être trouverons-nous la solution » dit un des personnages. C’est là tout l’intérêt de la démarche de l’historien – écrivain, dont l’architecture du roman, fluide et aérienne, abolit la frontière entre passé et présent, mais aussi celle de la double appartenance sexuelle et identitaire (française et arménienne). Reste l’amour donc, comme ultime naufrage.