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mercredi 28 mai 2008

Agamemnon à l'Odéon ou, quand, grâce à Eschyle, on échappe de peu au py-re...

Je connaissais surtout d’Olivier Py sa nomination contestée à la tête de l’Odéon par le sinistre Donnedieu de Vabres, un des plus mauvais ministres de la Culture (à l’exception de l’actuelle qui bat sans aucun doute tous les records) et grand manifestant contre le PACS devant l’Éternel. Rappelons-nous que ce monstre d’honnêteté intellectuelle, étranger à tout hypocrisie mais qui ne l’est peut-être pas totalement à l’un des personnages de mon Or d’Alexandre, est allé s’afficher, sans que personne ne lui demande rien, dans une manifestation où l’on criait « les pédés au bûcher », juste pour manifester sa solidarité avec la partie la plus réactionnaire et la plus homophobe de son électorat : beurk !

Je connaissais aussi Monsieur Py pour son catholicisme revendiqué et pour son Paradis de tristesse, comble d’une littérature pédé que j’abhorre, mêlant la grandiloquence à l’éternel et chrétien motif de la tyrannie du plaisir qui ne mène nulle part sinon au désespoir. On baise à couilles rabattues, mais en se sentant coupable : c’est tellement mieux ! c’est tellement poétique ! Recyclage tellement éculé du vieux thème de la damnation, du malheur inéluctable qui attend tout pédé au coin du bois : rebeurk !

Je n’ai décidément rien de commun avec les Claudel de backroom.

Bref, si je suis allé voir Agamemnon, avec mon amie Chantal, jeudi dernier, c’est d'abord parce qu'elle m'avait proposé une place et pour entendre, une fois encore, le texte d’Eschyle qui reste pour moi, le plus grand des tragédiens de l’histoire de l’humanité. Une fois de plus, Nietzsche a raison.

Mais j’y allais avec la crainte d’être extrêmement déçu.

Une déception qui ne fut que partielle. Comme quoi le pire n'est jamais sûr mais qu'en l'attendant, on finit par être heureusement surpris.

D’abord, le dispositif scénique ne m'a ni gêné ni choqué. Il donne même à voir quelques belles images : celle de Clytemnestre déployant le tapis de pourpre qu’Agammenon, soucieux de ne point commettre l’hybris (la démesure, le seul « péché » mortel des Grecs), répugne à fouler par crainte que les dieux ne croient alors qu’il cherche à s’égaler à eux. L’homme grec est un homme, c’est là sa dignité éminente ; la sagesse est de comprendre sa condition humaine, l’éminente dignité qui y est attachée, mais aussi de ne point perturber gravement l’ordre du monde en se croyant autre chose que ce que l’on est. La scène du meurtre aussi, dans un cube qui pivote, éclairé par une lumière crue, est une image qu’on garde imprimée dans la rétine en sortant de l’Odéon.

Ensuite, la traduction de M. Py m’a semblé fidèle à l’esprit d’Eschyle, forte parfois, moderne dans sa langue. Et c’est bien. Si j’ai retraduit les textes d’Homère que j’ai mis en exergue de L’Or, c’est que celles d’Homère disponibles aujourd’hui sont bien trop châtrées par un XIXe siècle christiano-puritain qui gomme à dessein toute la rugosité, toute la verdeur, toute la vitalité de la langue homérique. Je comprends donc qu’Olivier Py ait éprouvé la même insatisfaction face aux textes français d’Eschyle.

Et puis j’ai trouvé l’idée excellente (ses mises en voix et en scène réussies) de nous permettre d’entendre le texte grec (surtitré), lorsque le chœur prend la parole. Le chœur est un personnage essentiel de tout le théâtre grec et lui est tellement consubstantiel que ce parti pris me paraît à la fois pleinement justifié et… jouissif. C’est beau le grec !

Je me souviens - c'était en 99, sur la route du retour, après mes deux années nisyriotes - d’une mise en scène des Perses, du même Eschyle, au théâtre antique d’Épidaure, dans laquelle le chœur avait fait l’objet d’un travail fabuleux. Rythmique et vraiment choral. La scansion, étrangère à la poésie française, est la poésie grecque. La poésie grecque ne connaît pas les rimes, elle ne connaît que le rythme. On avait l’impression de vagues de mots qui, parties de l’orchestra magique d’Épidaure, montaient comme une inexorable marée à l’assaut des gradins, dans une diction collective quasiment hypnotique. C’est une de mes plus grandes émotions de théâtre. Et ce soir-là, à coup sûr, Dionysos était assis parmi nous à Épidaure.

Olivier Py ne parvient pas à ce degré de maîtrise, de réussite, de suggestion, d’envoûtement. Mais on sent, on comprend, que, contrairement à tant de metteurs en scène français, il a réfléchi sur le chœur, il en donne son interprétation. Qui tient la route. Une partie est aussi chantée, sur une musique originale qui n’a rien d’extraordinaire. Mais qui ne nuit pas non plus au texte, même si elle est, à mon humble avis, inutile - superfétatoire plutôt. La musique est, en soi, dans les mots et les rythmes d’Eschyle. Il n’était nul besoin de lui en ajouter une autre.

Bon, voilà, pour le positif… auquel il faut rajouter l’ombre rouge d’Hiphigénie : là encore une belle image.

Et pour autant, on ne saurait qualifier cet Agamemnon de réussite.

Pourquoi ces costumes ? quelle en est la logique et la signification ? Et puis surtout pourquoi cette volonté de faire en permanence brailler un texte qui a la force d’être entendu sans être gueulé ? Du bruit ! qu’on doit subir à cause de ce jeu outré, en place des mots qu’on aurait dû s'appliquer à nous faire entendre. Du bruit qui nous assomme au lieu de mots qui nous pénètrent.

Pourtant Agamemnon (Philippe Girard) est bien là, grand et faible, héros qui doute. Homme. Alexandrea Scicluna vaticine comme il convient à Cassandre de vaticiner. Et Nada Stancar a, à coup sûr, la présence et la force de la meurtrière, la voix rauque qui sied à Clytemnestre. Même si Égisthe apparaît singulièrement insignifiant. Voire ridicule. Mais tous sont « tués » par un metteur en scène qui les fait hurler, surjouer jusqu’à en rendre le texte, parfois, inaudible. Jusqu’à ce que, à cet égard, on éprouve une espèce de soulagement lorsque tombe le dernier vers. « Péché » contre l’esprit.

Et puis il y a les gadgets parasites : pourquoi pleut-il de temps à autre sur Mycènes ? J’ai cherché à comprendre ce qui signifiait cette pluie, pourquoi elle s’arrêtait ou reprenait à tel et tel moment. Je n’ai pas découvert le moindre indice : la pluie tombe par intermittence sur Mycènes : voilà tout. Quant au poilu de 1918 qui rentre de Troie : grands dieux ! quelle originalité. J'magine qu'en 1968, cela passait pour de l'avant-gardisme. Aujourd'hui, c'est simplement bête. Un cheval quand on parle de celui de Troie… empilement de trucs et de machins qui ne servent à rien, qui ne participent d’aucune cohérence, d'aucune vision ni compréhension du texte, qui n’ont aucun sens.

Restent les absurdités grotesques devant lesquelles le spectateur a bien du mal à garder son calme et son sérieux : Calchas et son balluchon plein de bidoche sanguinolente déballée au devant de la scène ; une cuisinière tout aussi dégoulinante d'hémoglobine (celle où Atrée est censé avoir fait cuisiner les enfants de son frère, Thyeste, à qui il a fait manger, en banquet de réconciliation, sa progéniture : crime hors humanité d’où naît la malédiction des Atrides) balancée en travers du plateau. Où l’on retrouve le Py fasciné par l’imagerie morbide qui irrigue tout le catholicisme. Et puis, conneries entre les conneries : la DS noire du général de Gaulle qui ramène Agamemnon de Troie, un porte-voix rouge dont se sert le coryphée lors de sa dernière intervention. Sans doute M. Py a-t-il voulu par là « rendre hommage » au "rôle" de l’Odéon en mai 68…

Le miracle, en somme, c’est qu’Eschyle tire son épingle de ce brouillamini dans lequel le bon se mêle à l'exécrable. Qu’il résiste à trop de mauvais traitements et pas assez de bons. Qu’en sortant, on se dise que, malgré tout et en partie malgré Py, on n’a pas perdu sa soirée.

vendredi 23 mai 2008

Sur la côte qu'on dit d'azur...

Voici une semaine, j’étais sur le départ pour La Gaude (prononcer avec un o ouvert, comme les…, et non à la bourguignonne, avec un ô, comme les galettes de maïs bressanes de mon enfance), et je n’en ai pas encore écrit un mot.

Injustice ! car malgré l’azur qui manquait quelque peu sur la côte, nous avons été reçus comme des rois. Je ne dirai rien de l’hébergement que nous avait réservé le Maître Jacques de ce salon, Gilbert Lugara, du Panorama du livre. Rien, sinon, pour vous faire saliver, que nous avions une vue imprenable sur la Baie des Anges, un olivier (auprès duquel j’ai pu faire mes dévotions à Athéna), que nous sommes allés cueillir un citron pour en mettre une tranchette dans notre thé et que les fleurs d’oranger embaumaient !

Nous, en l’occurrence, c’est ma princesse byzantine et moi. Et ma princesse byzantine, c’est Marina Dédéyan , l’auteur de L’Aigle de Constantinople, que j’ai rencontrée (sur des passions communes… celle de la dignité humaine, notamment ; voir plus bas) aux Mots Doubs de Besançon, lors de la sortie de La Quatrième Révélation. Marina qui est devenue une amie au point qu’elle nous confie, à Frédéric et à moi, la garde du cochon d’Inde de son fils, nommée Miss Polémic : c’est dire l’étroitesse de nos liens ! C'est à elle aussi que je dois d'avoir rencontré Marc Menant, à Saint-Louis : tous sur Europe 1, samedi qui vient à 15h15 !

Gilbert est adorable, et l’équipe de bénévoles auquel il a su insuffler la passion est aussi efficace que chaleureuse. Comme à Saint-Louis pour Denise Fuentès, je veux redire ici combien, pour des auteurs comme moi, qui ont un lectorat (un lectorat qui s’élargit de livre en livre : merci à tous !) mais que la nomenklatura critique, dans sa quasi-totalité, ignore parce qu’il n’appartient, ni lui ni sa maison, au Milieu, doit aux salons, à la curiosité de leurs organisateurs, aux collectivités locales et aux amoureux des livres, bénévoles, qui donnent sans compter leur temps et leur énergie pour que, partout en France, le livre, les livres dans leur diversité, puissent rencontrer leur public. Dans une économie du livre de plus en plus marchandisée, c’est une chance incroyable que de permettre la rencontre entre des lecteurs en éveil, qui ne se contentent pas des conseils faisandés des médias, et des auteurs qu’ils ne connaîtraient pas autrement.

Bref, merci mille fois, Gilbert ! tout était parfait !

Et puis dès le samedi, m’attendait une merveilleuse surprise : la rencontre de Gérard et Bernard. Gérard est le garçon handi, qui voulut être archéologue, égyptologue lui, qui rencontra son Bernard la même année que moi mon Frédéric, qui, comme lui, sait un peu de copte, et qui a écrit le superbe papier du site handigay sur mon Or.

La rencontre de ces deux mecs fut pour moi bouleversante, riche, passionnante. De la volonté de chasser de sa vie celui qui vous aime lorsqu’on se retrouve handicapé à la préparation minutieuse du voyage à Amsterdam, de la sexualité au catholicisme familial qui voit dans le handicap une punition de l’homosexualité, Gérard se retrouve à ce point dans Philippe, et retrouve à ce point son Bernard dans Stéphane, que c’est pour moi profondément troublant.

Et puis nous avons pu passer du temps ensemble. Déjeuner. Et Gérard m’a raconté ; Bernard aussi. Moins. Le contrepoint du sourire qui apaise, de l’amour qui est resté fidèle, coûte que coûte, vaille que vaille. Qui a affronté simplement toutes les tempêtes parce qu’il aime son mec et que c’est l’évidence ! Une merveille de rencontre, je vous dis !!! Une merveille de rencontre que je dois à la rencontre initiale de Michel Robert… Quelle aventure humaine pour moi !

Avec en prime, puisque l’écrivain est avant tout un vampire, une moisson de fiches !

Pour le reste, le salon s’est fort bien passé. J’ai fait la connaissance du très sympathique Frédérick d’Onaglia qui, sur le stand, encadrait avec moi Marina : Marina et ses Dédé’s boys. On s’amuse aussi sur les salons, parfois, entre auteurs, en attendant nos lecteurs.

Mes copains niçois de l’association Polychromes m’ont enlevé deux soirées, pour deux dîners pleins d’amitié, d’échanges riches et de rires. Ils viennent de terminer un festival de film (avant que l’autre ne commence) qui fut un franc succès. Leur dynamisme joyeux, la variété de leurs activités, l’intelligence de leur conversation, leur enthousiasme à faire, montrent de quoi ce pays serait capable si ceux qui monopolisent le pouvoir, politique, économique ou médiatique, n’étaient pas si médiocres et si bornés dans la défense égoïste de leurs privilèges. Combien ce pays recèle de ressources, de générosité.

Le seul moment un peu hard de ce ouiquende fut celui de la table-ronde à laquelle j’étais convié, sur les tragédies de l’histoire. J’y ai parlé des spoliations des biens juifs bien sûr, mais il m’est revenu aussi une tâche plus difficile. En effet, parmi les tragédies que nous devions aborder, figurait le génocide arménien et, après une première intervention, pleine de nuances et de mesure, Marina Dédéyan dut partir prendre son avion... avant d’avoir pu répondre à sa contradictrice.

Car contradictrice il y eut. Pour qui il ne s’agissait pas de nier les massacres d’Arméniens mais, conformément à la variante la plus civilisée de la thèse turque, de les relativiser, de les « dégénocider » : en contestant leur ampleur (800.000 morts, assénés d’autorité, alors qu’il s’agit de la fourchette basse d’une estimation dont la limite haute est à 1.500.000), en usant d’arguments d’autorité pour discréditer d'emblée, sans laisser place au débat, les documents (certes discutés) les plus accablants, en niant absolument l’intentionnalité, et en faisant porter sur les Arméniens eux-mêmes, coupables de supposées trahisons vis-à-vis de l’Empire ottoman, la responsabilité de leurs malheurs.

En chevalier servant de ma princesse arménienne, il ne me restait plus qu’à partir à l’attaque. J'enfourchai donc mon blanc destrier. Je suis contre toutes les lois mémorielles – ce n’est pas à l’État de dire la Vérité en histoire. D’abord parce qu’il n’y a pas de vérité absolue en histoire. Mais il y a des erreurs. Ou des mensonges. J’ai donc repris point par point le discours que je venais d'entendre, défendu que le génocide dont furent victimes les Arméniens n'était pas un ensemble de massacres non coordonnés, résultat d'un quelconque malheur des temps - en quoi il se distingue radicalement des massacres d’Arméniens qui ont jalonné le XIXe siècle.

J’ai également essayé de montrer comment il prend logiquement place dans l’idéologie jeune-turque (puis kémaliste, Kémal terminant après guerre, en Cilicie et à Smyrne notamment, le sale boulot des Jeunes-Turcs), qui veut mettre fin à un Empire multinational pour créer un Empire turc, où les minorités (toutes ensemble majoritaires) sont sommées de se turquifier ou de disparaître, ce qui, au sud, permettra à la révolte arabe de se développer (voir, sur ce site, mon article sur les origines de la Grande Catastrophe ). J’ai dit qu’il se complétait de l’élimination moins systématique des Assyro-Chaldéens, des massacres et internement (signifiant souvent la mort par la faim, la maladie et l'épuisement : voir Terres de sang, le superbe roman de Dido Sotiriou) des Grecs de la frange occidentale et méridionale de l'Asie Mineure, et de la déportation des Grecs du Pont (accusés eux, d'avoir ravitaillé des sous-marins alliés) qui s'apparente par bien des points au génocide arménien.

J’ai rappelé que, dès le temps de la guerre, les télégrammes de l’ambassadeur américain Morgenthau attestaient l’organisation centralisée et intentionnelle des massacres (qui définit le génocide), que, dans une déclaration publique et officielle du 24 mai 1915, Français et Anglais dénonçaient des « crimes contre l’Humanité et la Civilisation » et en tenaient pour comptables les responsables jeunes-turcs, qu’un tribunal ottoman (entre la défaite et l’installation du négationnisme kémaliste comme vérité d’État) avait condamné ces mêmes responsables jeunes-turcs pour « les crimes commis lors de la déportation des Arméniens » par « une force centrale organisée composée des personnes sus-mentionnées, les a prémédités et fait exécuter, soit par des ordres secrets, soit par des instructions verbales ».

Ajoutons qu’en 1921, un tribunal allemand acquittera le jeune arménien qui vient de supprimer Talat pacha, le grand ordonnateur du génocide, en raison de ses responsabilités dans ce génocide… et qu’en 1943, Hitler restituera à Kémal les cendres du génocideur dont une avenue porte le nom à Ankara alors que ses restes reposent parmi les héros nationaux, à Istanbul, sur la colline… de la liberté !!!

Le moment fut rude. Je n’en suis pas mécontent.

Et puis enfin, pour terminer sur une note plus sereine, Gilbert nous avait aussi réservé une merveilleuse surprise : la soirée poétique du samedi soir. On nous distribua une liste de cent poèmes, le public demandait les textes et Thimotée Laine les interprétait. Superbement. Tout en laissant, de temps à autre, s'élever la voix d'un violon jouant Bach. Pindare et Ritsos, le récit de Théramène, " Le Mot et la chose " de l’abbé de L’Attaignant, Louise Labbé et " Le Dormeur du val "… Gherasim Luca que je ne connaissais pas et que Thimothée Laine m'a donné envie de découvrir.

Moment de grâce absolu. En remontant cette nuit-là vers mon olivier et mes fleurs d’orangers, alors qu’Athéna me faisait signe en passant dessus moi d’un coup d’ailes, j’avais celles d’Hermès à mes souliers.

jeudi 15 mai 2008

Ridicule !

À l’heure des bilans de la première année sarkozyenne, les commentateurs ont rivalisé d’analyses. Ce qui est bien normal. Il me semble cependant qu’ils ont oublié un élément essentiel de ce bilan : le ridicule.

Ridicule, la comédie Cécilienne du grand retour pour capter l’électorat cul-bénit, et ridicule la sortie de Lisbonne dans le genre : « Vous n’avez pas honte de persécuter un homme comme moi, en plein malheur intime, un homme qui a toujours pris soin de ne pas donner sa vie privée en spectacle ». Ridicule, le grand bonheur, cette fois c’est pour la vie, affiché au soleil, avec une donzelle richissime sur laquelle est passée la moitié (ou plus ; ce qui est bien légitime et qui m'est au demeurant fort sympathique) de la jet set.

Ridicule que ce deux fois divorcé, remarié avec cette donzelle-là, vienne jouer les pères la morale au Vatican… Avec Bigard et son slip kangourou !

Ridicule de condamner mai 68, dont nous sommes aussi éloignés que mai 68 l’était de la crise de 29 : fallait-il, en 68, tonner en chaire contre la crise de 29 ? 68 c’est à présent de l’histoire, 68 n’a ni a être encensé, ni à être condamné. 68 a été.

Ridicule, l’idée que les 35h00 sont le fondement de tous nos maux, comme les 40h00 étaient, pour Pétain et les siens, les raisons profondes de la défaite de 1940 – pas l’incurie des gouvernants et du commandement militaire.

Ridicule l’idée qu’on va relancer l’économie en rendant de l’argent aux plus fortunés, en donnant la possibilité de faire des heures supplémentaires aux autres et en faisant baisser les prix : c’est quoi ? du Pinay 1952 ! Suivez-le bœuf et on fera baisser le prix du steak !

Ridicule, la propension à annoncer des décisions qui n’ont été ni préparées ni débattues : celle de la vente d’une partie du capital d’EDF pour financer la rénovation des cités universitaires (qui fait s’effondrer le cours de bourse de l’électricien), ou celle de la suppression de la publicité à la télévision (qui fait bondir le cours de TF1). Ridicule, à moins que certains, au courant du caprice présidentiel, aient pris la veille des positions boursières adéquates… allez savoir !

Ridicule, cette fascination présidentielle pour le fric, le factice et le toc ; ces déclarations sur le caractère génétique de la propension au suicide ou de la pédophilie ; sa conviction affichée que la littérature était jadis utile parce qu’elle permettait de voyager mais que, depuis l’apparition des compagnies à bas coût, elle a perdu beaucoup de son intérêt.

Ridicule, la tolérance zéro alors que les Balkany sont chez eux à l’Elysée.

Ridicule, la grossièreté, partout et en toute circonstance, alors qu'on prêche, urbi et orbi, les vertus de la politesse. Ridicules, une fois encore, les plaisanteries qu'il n'a pu retenir face à la sérieuse et rigoureuse Angela Merkel. En attendant celles qui, n'en doutons pas, couvriront la France entière de ridicule pendant la prochaine présidence française de l'Union.

Ridicule, l’idée de vouloir faire porter le poids de la mémoire d’enfants morts par des gamins vivants ; et ridicule de choisir Guy Môquet, arrêté alors qu’il distribuait des tracts non contre les nazis mais contre la guerre impérialiste des Français et des Anglais, pour célébrer la Résistance : ridicule de vouloir en tout et pour tout substituer le sentiment à la réflexion, le réflexe à l’appréhension de la complexité.

Ridicule, la gloriole qui veut obtenir coûte que coûte que le président puisse venir délivrer son auguste parole aux chambres. Comme si c’était là un enjeu démocratique capital et comme si le président était privé du droit de s’exprimer.

Ridicule de continuer à se dire hostile à l’entrée de la Turquie dans l’UE (avec raison, pour une fois), tout en laissant se dérouler les négociations qui la rendent inévitable. Car qui peut imaginer qu’une fois la négociation bouclée, on laissera quiconque s’y opposer ? Il en ira comme du traité constitutionnel, et l’on inventera alors un clystère pour administrer, par d'autres voies, une décision que les peuples refusent d'avaler.

Ridicule, de continuer à dire (avec raison encore) que la BCE est irresponsable et l’euro surévalué, alors que, justement, le non du peuple français donnait au président l’opportunité, sinon l’obligation, dans la renégociation d’un traité européen, de remettre sur le tapis l’exorbitant et stupidissime statut de cette BCE figurant dans le traité de Maastricht.

Ridicule, la diplomatie de ce ministre qui, naguère, dédouanait Total de tout soupçon de travail forcé en Birmanie et qui, aujourd’hui n’a pas de mots assez durs pour la dictature birmane.

Ridicule, l’idée qu’on pouvait se passer d’un dialogue avec la Syrie pour stabiliser le Liban. Ridicule et criminel.

Ridicule, la volonté de faire rentrer la France dans l’organisation militaire intégrée de l’OTAN sous prétexte qu’on sera plus entendu du dedans que du dehors, et qu’on pourra ainsi infléchir la position américaine. Quelle position a jamais infléchi la Grande-Bretagne en un demi-siècle de soumission ? Aucune et c’est bien la raison pour laquelle le général de Gaulle avait pris la décision d’en sortir.

Ridicule, l’idéologie qui conduit à enfermer de plus en plus de monde, de plus en plus longtemps dans des prisons indignes, sans aucune préparation digne de ce nom à la réinsertion des détenus. À faire passer les malades mentaux devant un tribunal, à enfermer indéfiniment des gens non pour ce qu’ils ont fait mais pour ce qu’ils sont censés être et supposés capables de faire. À emprisonner les malades mentaux plutôt qu’à les soigner. Ridicule et liberticide.

Ridicule qu’on prétende financer de nouvelles charges pesant sur la Sécurité sociale en taxant les malades, et d’abord les malades chroniques, par le biais des franchises médicales, plutôt que de demander aux riches et bien portants un effort de solidarité.

Ridicule, le Grenelle de l’environnement qui débouche sur des pubs pour les bagnoles à la télé et sur une loi donnant toute la liberté d’opérer aux disséminateurs d’OGM, criminalisant les faucheurs ; une loi que ce gouvernement n’est pas même capable de faire voter par sa majorité.

Ridicule, incohérent et pathétique. Mais au juste, vous vous sentez rassurés, vous, en pensant que ce type-là a le doigt sur la détente nucléaire ?

jeudi 8 mai 2008

Virée alsacienne (bis) : Vierge aux fraisiers et Jésus au biscuit

Voilà plus d’une semaine que je veux poster ce papier et que je ne trouve pas le temps de le terminer, avec l’impression de ne pas parvenir à faire la moitié de ce que j’ai à boucler chaque jour. Bon, assez geint ; après-demain départ pour le salon des Étonnants voyageurs à Saint-Malo où je signe samedi et dimanche sur le stand Vilo, le diffuseur d’H&O. L’air du large nous fera le plus grand bien à Frédéric et à moi ; piquer une tête ? On verra, en tout cas, j’emporte le maillot. S’il fait beau, je sais que la tentation sera trop forte, même si l'eau est… fraîche. On n’est pas poisson pour rien. En attendant, et le Club Med gym de Denfert étant fermé en ce jour de fête de la victoire sur le nazisme, il est temps de publier ce deuxième billet alsacien.

Or donc, en arrivant à Strasbourg pour mon forum, il y a deux semaines, Alain Walther, le chargé de com de la Fnac, m’a dit que cela valait le coup d’aller faire un tour au Musée de l’Œuvre Notre-Dame, que nous avions visité avec Frédéric lors du précédent forum pour La Quatrième Révélation (un superbe musée !) qui présente une expo « Strasbourg 1400 ». J’ai suivi son conseil et j’ai bien fait.

Profitons-en pour redire, comme je le fais dans L’Or d’Alexandre, que si ce pays avait encore une vague politique culturelle, on ne songerait même pas à créer de ridicules « antennes » des musées parisiens, ici ou ailleurs. Cette politique-là, qui va créer des éléphants blancs aux coûts de fonctionnement ruineux, asséchera pour des années les ressources nécessaires à la vraie politique dont le tissu des autres musées a besoin. Le Louvre Lens et Beaubourg Metz, c'est de la poudre aux yeux et de la com, comme Abu Dhabi et Atlanta. C’est exactement le contraire d’une vraie politique de décentralisation qui devrait donner aux musées de province les moyens de se rénover et de redéployer leurs collections, de les compléter par une véritable politique d’acquisition et une redéfinition ambitieuse de la politique des prêts à long terme, de développer une véritable action pédagogique en direction de leur public potentiel… Mais, comme d’habitude en France depuis trente ans, la Nomenklatura fait le choix de l’apparence, du tape-à-l’œil, plutôt que de l’action en profondeur, réfléchie et disposant des moyens nécessaires pour sa mise en œuvre.

Bref, « Strasbourg 1400 » est une petite expo mais avec un vrai propos, parfaitement présentée, où l’on donne à voir et à apprendre: le contraire, exactement, de la dérive fric et com qui sévit ces derniers temps, dans le monde muséal parisien, et dont témoignent notamment deux événements aussi alarmants que scandaleux : l’exposition des photos photos d'André Zucca à la Bibliothèque historique (ironie, quand tu nous tiens !) de la ville de Paris, et celle consacrée à Marie-Antoinette au Grand Palais.

Rien à voir, a priori, entre ces deux expos. Et pourtant, elles sont bien deux symptômes de la même maladie : concevoir, dans une bibliothèque historique, à Paris, une exposition de photographies réalisées pour l’occupant nazi, parues dans Signal, LE magazine de l’occupant, en ne prenant en compte que l’aspect « esthétique » des œuvres présentées, en « oubliant » toute mise en perspective, tout appareil critique, est aussi stupéfiant que gravissime. Donner à voir en oubliant qu'on doit donner à penser est évidemment une absurdité ; c'est à peu près comme aller se pavaner aux Glières et s'attaquer du même mouvement à la non-rétroactivité de la loi pénale que seul Vichy avait jusque-là osé remettre en cause.

Ce qui est exactement la même chose que de présenter une exposition Marie-Antoinette (mais pourquoi Marie-Antoinette, grands dieux ?!) sans avoir le moindre début d’une ébauche de propos. Ni sur les Lumières, ni sur la réaction aristocratique des années qui précèdent 1789, ni sur la Révolution, symbolisée par… un couloir noir : dix-neuf ans après un bicentenaire déjà marqué par un certain renoncement à penser la Révolution hors des cénacles universitaires, à préférer la parade et la "fête" à la pédagogie et à la célébration citoyenne, on touche le fond !

Le sentiment plutôt que la réflexion. La mise en scène de beaux objets - hors-sol. Scandaleuse exposition quand on songe à ce qu’elle a dû coûter en un temps où feu le ministère de la Culture, dont on va bientôt commémorer le cinquantenaire de la création alors qu’il n’existe déjà plus, sabre les subventions de tous ceux qui font. Scandaleuse exposition dont on se demande à qui et à quoi elle est destinée, sinon aux Japonais et aux Américains qui espèrent retrouver, en vrai, pour eux, les décors d'un film hollywoodien (si au moins c'était Guitry !), ainsi qu’aux Margot, lecteurs passés ou futurs de Jean Chalon, qui aiment tant verser une larme sur les malheurs de la pauvre reine à qui ces monstres de révolutionnaires ont fait tant de mal.

Il faut vous dire que, moi, je mange de la tête de cochon le 21 janvier et qu'avant-hier, j'ai fêté le 250e anniversaire de la naissance de Robespierre...

Bref, l’expo « Strasbourg 1400 » est à l’opposé de ces deux honteuses expositions parisiennes. Que des œuvres signifiantes, accompagnées d’impeccables commentaires, de mises en perspective intelligentes. Le choix de la qualité plutôt que de la quantité : de superbes gobelets d’argent à la remarquable pureté de ligne, une section passionnante sur Mathias Grünewald, une autre sur les étapes de remodelage du projet architectural de la cathédrale, quelques belles madones illustrant la tentation maniériste et, dans la salle d’à côté, le héraut qui flanque l’orgue de la cathédrale montrant au contraire un courant de la sculpture expressionniste à tentation burlesque.

Et puis il y a la salle du Maître du jardin du paradis… et la Vierge aux fraisiers, avec ses airs de fausse icône, encore si médiévale et déjà tournée vers autre chose. Elle m’a retenu un bon moment.

Maître du Paradiesgärtlein, La Vierge aux fraisiers, Kunstmuseum de Soleure.

Et le lendemain, j’étais donc à Saint-Louis, où Denise Fuentès avait eu l’excellente idée, entre salon et dîner, de nous ménager une visite au Kunstmuseum de Bâle. Intensément frustrante parce que nous avons juste eu le temps de réaliser combien ce que nous avions pu voir ne représentait qu’une infime partie des richesses de ce musée d’une ville qui en compte une demi-douzaine d’autres !

Prochaine destination de ouiquende prolongé ? Bâle est sans aucun doute sur les rangs.

Avec ma copine Marina Dedéyan (L’Aigle de Constantinople, chez Flammarion), nous avons choisi la visite thématique des collections situées à la charnière du Moyen-Âge et de la Renaissance. La guide était passionnante : quelques baisers de la mort donnés par des squelettes à des jeunes filles dans la fleur de l'âge et de la beauté illustrent à merveille cette angoisse du salut qui submergea l’Europe avec la Peste noire. Grünewald encore, de superbes Dürer bien sûr, et un hallucinant Christ mort de Holbein, si caractéristique de la pathologique fascination du cadavre, du morbide, qu’a développé le christianisme occidental – tellement éloigné en cela de l’orthodoxie.

Et puis il y a les Cranach ! Imaginez, pour l’auteur de L’Or d’Alexandre... Un très étonnant petit portrait de Luther, vingt-cinq ans plus jeune que ceux qu'on a dans l'oeil, de Berlin ou des Offices ; une païenne Lucrèce qui va se percer le sein plutôt que de se laisser dérober sa vertu.

Mais c'est une Vierge à l’enfant qui nous a surtout retenus, Marina et moi : moins d’un siècle la sépare de la Vierge aux fraisiers. La Madone encore hiératique est devenue une femme pulpeuse, un rien aguicheuse, aux lèvres incarnat, sans même une auréole au-dessus de sa tignasse frisottée digne d'une courtisane vénitienne... plus Vénus que Marie ; quant au dieu qu’elle a enfanté, il est devenu tellement bébé d'homme qu'il tient un croquet dans sa main. Et on ne jurerait pas que, en grandissant, il devienne Christ plutôt que Cupidon.

Dans ce télescopage-là, entre Strasbourg et Bâle, entre le Maître du Paradiesgärtlein et Cranach, il y a tout le passage du Moyen-Âge finissant à la Renaissance.

vendredi 2 mai 2008

La tentation de Vichy

Sarkozy commémore à tour de bras, il honore en paroles la Résistance, mais c’est pour mieux cacher que son gouvernement, mesure liberticide après loi scélérate, s’apparente chaque jour davantage à celui de Vichy :

- parce qu’il attaque de front le programme du Conseil national de la Résistance en entreprenant le démantèlement de la Sécurité sociale par la taxation des malades chroniques autrement appelée « franchise médicale » ;

- parce qu’il est le premier gouvernement, depuis celui de Vichy, à fixer des quotas d’êtres humains à expulser ;

- parce qu’il est le premier, depuis celui de Vichy, à avoir tenté, moyennement quelques artifices de vocabulaire, de revenir sur le principe (fondamental de tout État de droit) de la non-rétroactivité de la loi pénale ;

- parce qu’il est le premier, depuis celui de Vichy, à prévoir l’enfermement de gens non pour ce qu’ils ont fait, mais pour ce qu’ils sont présumés être, pour le danger qu’ils sont supposés représenter ;

- parce que, avec le logiciel Ardoise, il demande à ses policiers de ficher les syndiqués et les homosexuels, les transexuels ou les clients de prostituées, sans aucun lien avec un quelconque délit ou infraction, ne seraient-ils que témoins - mais dans quel but au juste ???

- parce qu’aujourd’hui on déchoit un Français de sa nationalité, sous le seul prétexte que, homosexuel, il s’est marié, selon le droit d’un pays membre de l’Union européenne, avec son compagnon !

Mais dans quel pays vivons-nous, au juste ?! Déjà l’interdiction du poppers est passée comme une lettre à la poste, soi-disant pour des raisons de santé publique et en vertu d’une directive européenne… alors qu’aucune étude médicale n’a été conduite et que sur 27 pays de l’Union, la France seule, régulièrement condamnée pour ne pas traduire des directives autrement plus importantes dans son droit interne, a tiré comme conclusion de celle-ci qu’il fallait interdire le poppers. Alors que l’amiante, les OGM, les innombrables produits cancérigènes disséminés dans l’atmosphère ou dans notre alimentation ne menacent bien sûr nullement la santé publique !

Foutaise !

La réalité c’est que depuis six mois dans ce pays, pour des raisons d’ordre moral, on empêche les pédés de jouir comme ils l’entendent en utilisant, s’ils le veulent, un produit disponible dans tous les autres pays démocratiques.

La réalité c’est que les franchises médicales frappent, avec les autres malades chroniques, les séropos qui doivent prendre une trithérapie ou mourir.

La réalité c’est qu’Ardoise va ressusciter le fichier des homosexuels dont Gaston Defferre avait ordonné la destruction.

La réalité c’est qu’on déchoit aujourd’hui un citoyen français de sa nationalité, en fait sinon en droit, à raison de son orientation sexuelle qui lui interdit de se marier dans son pays, alors qu’il le peut dans un autre État d’une Union dont ce même pays est membre.

La réalité c’est qu’aucune situation n’est jamais acquise et que ce gouvernement, où siège Mme Boutin, est le plus homophobe depuis celui de l’amiral Darlan qui établit, pour la première fois en France, une discrimination entre homosexuels et hétérosexuels.

À la veille du 17 mai, journée mondiale contre l’homophobie, peut-être serait-il salutaire de commencer à réfléchir sérieusement à la manière de dire à ce gouvernement-là que ça suffit ! à refaire de la gay pride autre chose qu’un défilé commercial, un défilé contre le retour de l’arbitraire, du fichage et de la discrimination étatique.

Faute de quoi, n’en doutons pas, il y aura d’autres remises en cause et d’autres attaques. Commémorer les triangles roses, c’est bien, mais seulement si c’est pour apprendre à reconnaître et à combattre, quand il en est temps, les logiques qui y conduisent !