Me voilà donc de retour, après un été grec prolongé jusqu'à la semaine dernière, et un mois d'août parisien et pluvieux. Nisyros fut égale à elle-même. Parfaite, simplement. Là-bas, je suis serein. Là-bas rien ne me manque ; à l'exception de mon homme, qui me téléphone tous les deux soirs et dont je peste qu'il ne puisse pas demeurer plus longtemps. Je travaille encore tellement mieux, moi qui travaille déjà dix fois mieux là-bas qu'à Paris, lorsqu'il rôde dans notre maison, entre deux balades, entre une virée à la plage et l'ouzo du soir sur notre balcon - lieu unique, moments de grâce. C'est drôle : voilà 26 ans cet automne que nous vivons ensemble et il m'est de plus en plus indispensable...
Bref, cet été fut parfait - ou plus que, souvent ; ou presque, à cause de son absence. J'ai avancé dans le bouquin d'histoire sur la Grèce et le sud des Balkans que je devais rendre à Gallimard ce mois-ci, et que j'espère pouvoir rendre avant la fin de l'année. J'ai joui du paysage et de la vie, jardiné (salopes de chèvres, qui m'ont bouffé une partie de mes plantations en août !), bricolé (notamment pour empêcher ces salopes de chèvres de revenir becqueter mes plantations), rencontré des gens et des cochons, plongé avec toujours le même délice dans la grande bleue, rendu grâce à Poséidon et Apollon, à Athéna, croisée treize fois, sur une route nocturne, en juin, entre Pali et Emborio... Je me suis aussi cassé un petit doigt de pied en buttant dans une pierre, ouvert l'index droit en nettoyant un verre d'ouzo (on est toujours puni par où l'on pèche), j'ai souffert pendant au moins quatre jours d'une grosse poussière dans l'œil qui ne voulait pas partir. Mais elle a fini par se barrer, le toubib a enlevé les trois points de suture lundi et la fracture consolide normalement.
Pas comme ici.
Parce qu'ici la fracture est plus profonde entre le peuple et un pouvoir autiste, réactionnaire, plein de morgue, injuste, déconsidéré. Déjà étaient parvenus à percer sous les vapeurs de soufre de mon volcan, les nauséabonds relents des turpitudes financières du citoyen Woerth, ceux des pitoyables tentatives de diversion du très génital Hortefeux, grand chasseur de Roms devant l'Eternel, et de son compère Besson, lequel ressemble chaque jour davantage à cet ignoble mélange Déat-Doriot d'homme de gauche saisi par la réaction...
Mais me voilà plongé dans la réforme des retraites. Oui, sans doute en faut-il une. Bien que... bien que les déficits publics aient avant tout explosé à cause des dérégulations imposées depuis Reagan et Thatcher et qui ont conduit à la crise financière - hold-up du siècle des banques sur les peuples ; bien que la richesse globale n'ait cessé d'augmenter en même temps que la répartition se faisait toujours plus inégalitaire ; bien que les déficits sociaux soient avant tout dus à la mondialisation et à l'Europe qui, en démantelant la préférence communautaire et le tarif extérieur commun, ont organisé le chômage de masse par la mise en concurrence des travailleurs protégés d'ici avec les "à peine plus qu'esclaves" des eldorados pour capitalistes sauvages que sont les pays dits émergents ; bien qu'ils soient le résultats d'un euro absurdement surévalué...
Chacun sait que si les chômeurs travaillaient et si les iniques dégrèvements de charges sociales, justifiées par les susdites politiques, étaient supprimés, de déficits il n'y aurait plus.
Mais admettons que, malgré tout, cette réforme des retraites fût indispensable. Au moins devrait-elle répondre à un minimum de justice. Mot inconnu de nos actuels gouvernants pour qui la charité est largement suffisante. Pour l'Europe et pour les libéraux, ce qui revient au même, la dernière conquête à imposer est la privatisation du système d'éducation, des assurances sociales et des retraites, gisements énormes de profits. Le frère de notre président est bien placé pour vous en parler. Réformer pour que plus personne, ou si peu, ne puisse toucher une retraite à taux plein, c'est avant tout obliger tout pékin à prendre des assurances retraite complémentaires, et là est la seule logique de la réforme en cours.
Le pays n'en veut pas et il a raison. La France est encore capable de colère et j'en suis heureux. Pourvou ké ça doure, comme disait la maman à Napo !
Vous me direz qu'en Grèce, ils ont un gouvernement socialiste et que ça ne change rien. Ou alors en pire. Et vous aurez raison. Parce que ces socialistes-là, n'ont plus rien de socialiste. Papandréou n'est d'ailleurs qu'à peine grec. Il pense américain et mène docilement la politique de droite dictée par le socialiste Strauss-Kahn.
Et les nôtres ? Comment dire ? Je n'y crois plus et je voudrais y croire. Je n'y crois plus parce qu'ils sont dans la nasse européenne, que va refermer encore un peu plus la réforme du traité dans les tuyaux, et qu'ils refusent même de le penser - obnubilé par l'Europe comme la souris par le python. Je n'y crois plus, mais j'attends malgré tout de voir ce qu'ils sont capables d'articuler, notamment en matière de remise à plat de toute la fiscalité, par quoi tout aurait dû commencer - simplification et progressivité par où pourrait revenir un peu de justice. Enfin ! après trente longues années de régression sociale.
Ensuite, il faudra voter bien sûr. Et ma voix ne fera pas défaut ; mais ce serait mieux, tout de même, si cette voix, comme tant d'autre, n'était pas donnée seulement par défaut, seulement pour éliminer le fléau qui nous gouverne.
Alors ? Reste à prier sainte Pétronille, protectrice de la France, sans doute.