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jeudi 25 décembre 2008

Joyeux solstice !

N'étant le fidèle d'aucune des sectes qui croient en la divinité du Nazaréen, ni à aucune foutaise de Dieu unique divisé ou non en un barbu, un crucifié et un pigeon...

Je souhaite à chacun des lecteurs, habituel ou non, de ce blog, avant de partir sur notre volcan égéen pour les jours alcyoniens, pendant lesquels Poseidon, ébranleur des terre et maître de la plaine liquide, calme la mer et assure un temps superbe afin qu'Alcyonè puisse couver en paix, dans son nid flottant, les oeufs conçus par son mari ressuscité en oiseau et elle-même, métamorphosée en volatile, par amour, afin de pouvoir baiser de nouveau avec son mec, je souhaite donc à mes lecteurs une joyeuse fête du solstice d'hiver, ou bien une joyeuse nativité de Mitra, né un 25 décembre, dans une grotte, un flambeau à la main...

J'en profite pour vous souhaiter aussi, puisque nous serons dans les vapeurs de soufre, avec nos chèvres, au coin de notre cheminée hellène, une excellente fin d'année et un meilleur début, encore, de la suivante !

Merci tout spécialement, et encore une fois, à Régine sans qui ce site n'existerait pas ; merci à tous ceux qui me font la gentillesse de venir le visiter et lire mes élucubrations !!!

mardi 16 décembre 2008

Radicalisation

En réaction à mon billet d'hier, Dominic, un lecteur philhellène que je ne connais pas (encore ?) "en vrai", mais qui me fait le plaisir de lire et de réagir régulièrement à mes humeurs, disait qu'il avait la curieuse impression de se radicaliser.

Et je lui répondais que, garçon sage, bon élève, gaulliste, moi qui avais eu longtemps, dans le monde de ma jeunesse où régnait l'hégémonie intellectuelle de la gauche, le sentiment d'être classé "à droite" (même si je n'ai jamais pensé que le gaullisme, en tout cas le mien, fût fondamentalement de droite) par les bonnes âmes (qui sont devenues depuis, pour la plupart, des socialo-libéraux si peu socialos), j'avais aujourd'hui, presque chaque jour un peu plus, sans avoir fondamentalement changé d'idées sur le monde, l'histoire, l'économie, l'impression d'être devenu une espèce de gauchiste dans un univers devenu depuis trente ans celui d'un capitalisme mafieux de pure prédation, totalement insoucieux de justice sociale, totalement méprisant de la dignité humaine, et qui révèle ces jours-ci l'étendue des désastres qu'il est capable d'engendrer.

J'ajoutais que je me souvenais avoir écrit quelque-chose sur ce sentiment de radicalisation dans Les Ombres du levant, paru en 1995 mais pour l'essentiel écrit, avant d'être retravaillé à de nombreuses reprises, entre 1989 et 1992.

Or donc, hier soir, au lit, je suis allé y voir. Ce n'est pas si souvent que je rouvre mes livres. Et voilà donc ce que dit, à la page 301, mon vieux gaulliste de Granier d'Hautefort, retiré du monde sur son île grecque :

"Encore une fois, j'ai biché à le faire enrager en lui disant que, pour moi, la révolution reste une idée d'avenir. Mais je n'ai pas dit cela seulement par provocation. Car je crois fermement que la rétraction bornée sur ses privilèges d'une caste dirigeante, toutes fausses couleurs politiques confondues et fût-ce au nom de l'Europe, de l'entreprise ou de la compétitivité, ça finit toujours par un violent coup de pioche sur la tête des "élites" - histoire de leur remettre les idées en place pour une paire de siècles.

Le plus étrange, finalement, lorsque je considère ma ligne de vie, c'est que j'ai l'impression qu'elle va au rebours de la pente qui passe pour normale et vous emmène d'une jeunesse "de gauche" vers une vieillesse de plus en plus rétive au changement. Inverti aussi en politique, en somme."

Eh bien, je vais vous confier une chose : ça me fait plutôt plaisir de me trouver ainsi, à dix ans de distance, au mot près - et y compris le coup de pioche -, à ce point en accord avec moi-même !

lundi 15 décembre 2008

Pyramides financières

Il y a quelques années, dans le pays sur lequel avait régné Enver Hoxha, l'effondrement d'un système de pyramides financières ruinait des milliers de "spéculateurs" albanais. Le système est simple : on promet à chaque gogo un intérêt défiant toute concurrence, qu'on lui paye grâce à l'élargissement de la base de la pyramide, c'est-à-dire du nombre de gogos qui confient leur argent aux Chéops de la finance.

Le problème c'est que, si la base ne s'élargit plus, s'il n'y a plus de gogos pour apporter de nouveaux fonds, non seulement les gogos déjà engagés ne touchent plus d'intérêt, mais ils perdent leur capital.

Ce qu'on ignorait, c'est que les pyramides albanaises avaient servi de modèle dans l'Amérique de George Bush. Que des citoyens d'un pays mafieux, sortant d'un des régimes les plus bêtes de l'histoire de l'humanité, aient pu se laisser prendre, on le comprend.

Que HSBC, la BNP, Natixis, des banques suisses et autres institutions tenant le haut du pavé financier international se soient comportés comme ces gogos-là devant un Chéops ancien patron du Nasdaq, en dit long sur l'état de pourriture avancée du système libéral que l'on nous a donné, depuis trente ans, comme un modèle indépassable. Sur le caractère mafieux de l'économie qu'ont engendrée la dérégulation, la libre circulation des capitaux, le libre échange généralisé.

Face à une pareille pourriture, face à un pareil naufrage, on attendrait que ceux qui nous ont vendu pendant trente ans cette politique-là, les Bush et les Sarkozy, les Juncker et les Trichet, les Minc et les Attali, les Arnaud et les Lagardère, les héros des temps modernes que constituaient les habitués du Forum de Davos, tous ces gens qui ont imposé depuis trente ans aux classes moyennes et aux pauvres, plus de précarité, moins de salaires, moins de retraites, moins de protection sociale afin de redistribuer toujours plus au capital et toujours moins au travail, on attendrait que ce petit monde-là disparaisse dans une grande trappe. Que ce monde-là ait au moins la décence d'avouer qu'il s'est trompé et qu'il a trompé, puis qu'il s'engloutisse dans les oubliettes de l'histoire.

Pour l'instant, il n'en est rien ; mais c'est peut-être ce qu'ont commencé à dire haut et fort, certains, la semaine dernière, à Athènes.

vendredi 12 décembre 2008

Quand la télé rend moins con...

En attendant que le hold-up en cours sur la télévision publique arrive à son terme :

1 - Sous prétexte de supprimer le publicité parasite de la télévision publique (sur le principe, je suis pour ; qui ne le serait pas ?), on la prive de ses ressources, sans lui assurer la pérennité de celles qui lui permettront, je ne dis même pas d'avoir des ambitions culturelles, mais de fonctionner correctement, et on en profite au passage pour s'arroger le droit de nommer et révoquer le président (mais on fera usage de ce droit de manière irréprochable, on vous l'assure, comme lorsqu'on nomme la femme du ministre des Affaires étrangères à la tête de l'audiovisuel extérieur par exemple...) afin d'être bien sûr que toute trace d'impertinence disparaîtra des écrans et qu'on n'y parlera plus que de bébés enlevés retrouvés, de chiens écrasés, de fous qui donnent des coups de poignard dans la rue, de complots d'ultra-gauche...

2 - On permet aux chaînes privées d'entrelarder davantage leurs programmes décerveleurs de pub décerveleuses, afin d'enrichir un peu plus les copains Bouygues et Bolloré-qui-me-prête-son-yacht-mais-sans-aucune-contrepartie-bien-entendu-ça-n'a-rien-à-voir-avec-du-trafic-d'influences ;

3 - Lorsque, pour cause de déficit excessif ou quelque autre foutaise du genre, on réduira les ressources des chaînes publiques, on se rendra compte qu'il faut "réduire le périmètre" de la télé publique ;

4 - On pourra enfin donner au copain Lagardère la chaîne qu'il n'a pas encore pu se payer.

En attendant donc, la conclusion de ce hold-up, la télévision publique m'a donné ces temps-ci quelques moments de bonheur, dans deux genres très différents, et c'est assez rare pour... justifier un billet.

D'abord, il y a eu, sur France 2, la série Clara Sheller. Je n'avais pas vu la première saison. J'étais dubitatif, vu mon aversion pour les séries françaises généralement mal écrites par de mauvais scénaristes, mal tournées par des réalisateurs sans imagination et mal jouées par des acteurs qui, même lorsqu'ils sont bons ailleurs, jouent faux.

Et puis, ce soir-là, il n'y avait rien d'autre. La chaîne Histoire elle-même devait diffuser un nanar anglo-saxon quelconque, du genre Les Mystères de la Bible, ou bien un énième docu sur la Shoah et je n'avais pas le moral en béron pour ça. Et puis j'avais du repassage à faire. Or donc, je me suis laissé aller à tenter Chara Sheller...

Surprise !

Bonne pour une fois. Rien d'extraordinaire, du léger, une foldingue avec un très beau mec et des histoires de couple un peu concon. Mais, exception à la télévision française, bien écrit, proprement réalisé, plutôt bien joué.

Et puis, à 20h30, dans la France de Sarkozy et Boutin, celle où les curés et les pasteurs seront toujours mieux que les instits pour enseigner le bien et le mal, un petit pédé sympathique, pas malade, pas dépressif, pas caricatural ; qui travaille, qui picole, qui a des malheurs comme tout le monde mais pas plus, qui est plutôt mignon et qui baise à droite à gauche tout en cherchant l'amour !!!

Un petit pédé qui est le personnage positif de la série et qui finit même en piquant son très beau mec à sa copine !

Réjouissant !!! et on se dit que, par exception, la télé publique a rempli son rôle : divertir en rendant un peu moins conne la France profonde, en lui imposant, en début de soirée, une image de l'homosexualité aux antipodes des stéréotypes homophobes qui font encore tant de ravages, de malheurs, de violences, de suicides.

Salubrité publique !!!!

Et puis dans un genre très différent, Arte diffuse le mercredi et le samedi, l'excellentissime Apocalypse de Gérard Mordillat et Jérôme Prieur. Du plaisir intellectuel à l'état pur, du miel pour l'esprit, du nanan !!!

Après Corpus Christi et Les Origines du christianisme, nous voilà plongés dans la fabrique de la grande pathologie monothéiste dont l'humanité est malade depuis 2000 ans. En compagnie de savants qui parlent des textes, les font parler, en relèvent et en révèlent les tenants et les aboutissants.

C'est magistral. C'est passionnant. C'est la preuve que la télévision peut éduquer sans emmerder, avec un livre et des gens qui parlent, sanstralala, sans mise en scène, sans faux Jésus et costume d'époque, sans spectacle. Juste avec du verbe, de l'intelligence, de l'humour. Si, si, je vous assure, il y en a ! UN REGAL !!!!

Un seul reproche : pour Clara comme pour L'Apocalypse : pourquoi nous enfiler deux épisodes à la suite ? comme on gave des oies ou des canards. C'est bien aussi de faire durer le plaisir, de nous laisser le temps de digérer, comprendre, méditer ce qu'on vient d'entendre - pour L'Apocalypse plus encore que pour Clara... Nous assener un deuxième numéro, Les Gnostiques après Marcion, mercredi dernier, c'est trop. C'est nous empêcher de profiter du baba aux fruits exotiques en nous forçant, sitôt finie notre assiette, à avaler un vacherin !

lundi 8 décembre 2008

La Grèce victime de l'euro

Depuis deux jours, la Grèce urbaine flambe.

L'explosion est due au meurtre d'un jeune anar (précision que me donne Alain le lendemain de l'écriture de ce billet : anar, c'était trop vite écrit... il semble qu'il s'agisse d'un fils de bonne famille, ce qui n'est pas forcément antithétique d'ailleurs, tout cela pour dire que c'est une partie très importante de la jeunesse qui est entrée en révolte et pas seulement une jeunesse défavorisée.... parce que ce que je décris dans ce billet touche effectivement de plus en plus gravement les couches moyennes, voire moyennes supérieures, en Grèce comme en France), de manière brûleur de poubelles par un policier qui a tiré, à balles réelles, sur un groupe de jeunes contestataires qui manifestent sporadiquement, dans le centre des grandes villes, leur refus de la société qu'on leur fait, spécifiquement aujourd'hui contre le démantèlement du système de retraite et la privatisation rampante du système d'enseignement supérieur.

L'événement pourrait être anecdotique. Il ne l'est pas.

La vérité est que la société grecque va mal.

Elle va mal, d'abord, parce que depuis 1974, elle est dirigée par une classe politique totalement endogamique, structurée par deux partis de gouvernement déchirés par des luttes intestines qui trouvent leur origine dans des rivalités personnelles, non dans des analyses divergentes du libéralisme triomphant, du libre-échangisme généralisé ou des politiques économiques et monétaires européennes qui ont permis depuis trente ans aux responsables nationaux d'imposer au peuple grec ces choix libéraux et libre-échangistes et de démanteler progressivement tous les acquis sociaux qui avaient fait la vie plus douce et plus sûre aux humbles et aux classes moyennes.

Ca vous rappelle un autre pays ?

Elle va mal, ensuite, parce que l'euro, tel que l'ont imposé les Allemands lors du traité de Maastricht (à cause de leur traumatisme de l'hyperinflation de l'entre deux guerres) joint au libre-échange place tous les les pouvoirs européens dans un étau redoutable qui fait des salaires la seule variable d'ajustement de l'économie. Et que donc le pouvoir d'achat des Grecs, comme celui de tous les Européens, a été depuis quinze ans la première victime de cette obsession allemande de la stabilité monétaire, sur laquelle se fonde l'autisme de la BCE (qui augmentait ses taux, en juillet ! à cause des risques d'inflation... et qui a condamné depuis sa création la zone euro à une croissance cachectique), conjugué au démantèlement de la préférence communautaire et du tarif douanier extérieur commun sous la pression constante des libéraux, conservateurs ou travaillistes, britanniques.

Une monnaie commune ne pouvait qu'être la conséquence de quinze, vingt ou trente ans de convergence obstinée des politiques économique, fiscale, douanière ; mettre la charrue avant les boeufs, imposer le carcan allemand à des pays qui n'ont ni les mêmes structures économiques, ni les mêmes intérêts, ni besoin des mêmes politiques pour stimuler une activité économique qui n'a ni les mêmes points forts ni les mêmes points faibles que celle de l'Allemagne (on le voit bien encore aujourd'hui, avec le refus buté de Mme Merkel de coordonner la réponse économique à la crise, de financer une relance européenne), céder à l'égoïsme monétaire allemand et à l'obsession libre-échangiste britannique constituait une absurdité et une tragique erreur dont nous n'avons pas fini de payer le prix. Nous comme les Grecs.

Aussi en Grèce, comme aux Etats-Unis, comme Sarkozy le proposait dans sa campagne présidentielle en guise de remède miracle à la baisse du pouvoir d'achat, les gouvernements socialistes et conservateurs ont-ils encouragé les Grecs à s'endetter pour qu'ils puissent continuer à consommer. Pendant que Bruxelles et la BCE contraignaient la Grèce à combattre son déficit public et à réduire sa dette, les Grecs étaient, eux, contraints à s'endetter pour continuer à s'équiper, mais aussi à s'habiller ou à manger. C'est la vraie logique de Maastricht et du pacte de stabilité : substituer l'endettement privé des classes moyennes et des pauvres à l'endettement public. Jusqu'à l'absurde, car le surendettement, dans une société grecque traditionnellement très peu endettée, a pris aujourd'hui les dimensions d'une redoutable bombe à retardement politique, économique et sociale dont l'embrasement de ce ouiquende n'est peut-être que le prodrome.

La société grecque va mal, enfin, parce que dans un contexte national d'inflation restée forte, la stabilité monétaire assurée par l'euro conduit à une perte de compétitivité du tourisme et à une baisse de ses ressources qui sont pourtant indispensables pour combler une partie du déficit commercial (la Grèce a peu d'industries) et énergétique.

Depuis les années 90, tous les gouvernements, socialistes et conservateurs, ont donc conduit la même politique "de rigueur" budgétaire, saluée à Bruxelles, à Francfort, et par l'OCDE, cette Mecque des ayatollahs libéraux.

C'est "bien" mais ce n'est jamais assez ; la Grèce a fait des efforts, mais ils ne sont pas suffisants. Et depuis le début de la crise financière, l'Etat grec que l'OCDE félicitait pour ses "efforts" il y a six mois (c'est-à-dire pour sa progression sur le chemin qui conduit à la restauration de la loi de la jungle économique et sociale) est sanctionné par les... Marchés. Car l'un des phénomènes de cette crise dont on parle le moins, c'est que certains Etats européens ont, depuis quelques semaines, de plus en plus de mal à placer leurs bons du trésor, leurs titres de dette, et que, pour les placer, ils sont obligés de proposer des taux d'intérêt de plus en plus élevés. De plus en plus léonins.

Ceci alors que le taux offert pour la rémunération de la dette publique allemande reste stable, ce qui montre bien que l'euro n'a construit aucune solidarité de fait. Au contraire, puisque l'égoïsme allemand contribue aujourd'hui à étrangler la Grèce, l'Italie, l'Espagne... mais ne vous réjouissez pas trop, la France n'est pas si loin sur la liste.

Car l'absurdité du système de l'euro, c'est qu'autrefois, dans pareille situation, la banque centrale de chaque Etat aurait acheté les titres de dette nécessaires à ce que la machine continue à tourner, quitte à les financer par l'inflation et la dévaluation. Tandis qu'aujourd'hui l'égoïsme allemand conjugué aux verrous posés à Maastricht menacent certains Etats européens, après des banques, d'une pure et simple faillite. La Grèce en premier.

Face à de pareilles dérives, ce ne sont pas les cautères sur une jambe de bois du genre des faux plans de relance sarkoziens qui régleront quoi que ce soit. La Grèce devra-t-elle sortir de l'euro ? après ou avant l'Italie ?

Plutôt que de se crêper le chignon au seul profit de Sarkozy et de sa bande, Mmes Aubry et Royal devraient plutôt se demander par quelle aberration un gouvernement socialiste a pu négocier et signer un pareil traité. Car ce qui est en jeu, derrière cette affaire-là, c'est bien plus que l'euro. C'est même plus que le démontage de l'Etat providence, des retraites et de la sécurité sociale. A ce titre, le mort d'Athènes est aussi inquiétant que les mesures liberticides empilées par Dati, Alliot-Marie, Hortefeux et Sarkozy depuis des semaines, aussi inquiétant que des chiens policiers lâchés dans des collèges ou des complots d'ultra-gauche plus ou moins imaginaires opportunément démantelés à grand renfort de médias, aussi inquiétant que le racisme anti-rom de Berlusconi ratifié par l'Europe...

Ce qui est en cause c'est que, lorsqu'on laisse la Cocotte-minute sur le feu en ayant bouché toutes les soupapes, on risque généralement l'explosion ; lorsque le pouvoir a perdu, ou abdiqué, tout moyen d'action sur la situation économique et la paupérisation accélérée des classes moyennes, qu'il a renoncé à assurer un minimum de justice sociale pour permettre à une minorité toujours plus restreinte de se gaver toujours plus, la répression, la criminalisation de toute contestation, la violence d'Etat la plus brutale - la saine insécurité, comme a dit benoîtement une des procureurs de Melle Dati - restent les seuls moyens de régulation sociale, avec en ligne de mire, désormais comme dans les années trente, les libertés fondamentales et la démocratie.

mardi 2 décembre 2008

Commotion

Il y a dix jours, j'étais au salon du livre de Colmar. Et un salon placé sous le patronage de la chouette d'Athéna ne pouvait que bien se passer pour L'Or d'Alexandre, qui a failli s'appeler L'Or d'Athéna.

Et tout s'est effectivement très bien passé. D'abord grâce au libraire qui m'accueillait, Gilles Million (et Marie son épouse, et toute l'équipe présente sur le stand) de la librairie L'Usage du monde à Strasbourg, avec qui j'avais sympathisé au printemps dernier, pendant le salon de Saint-Louis, et qui, du coup, m'avait invité à Colmar : c'est toujours un des grands plaisirs, pour un auteur, et un des grands intérêts des salons, que de faire la connaissance d'un vrai libraire. Gilles en est un.

Ensuite parce que j'ai rencontré Christophe, qui m'avait contacté sur Facebook pour me dire qu'il avait dévoré mes quatre romans actuellement disponibles : c'est un incroyable stimulant, pour un auteur, de savoir qu'on a su captiver, émouvoir, faire rire ou réfléchir quelqu'un qui vous était inconnu, qui vient vous dire ce que vos bouquins ont déclenché chez lui. Et quand l'échange se poursuit par une rencontre immédiatement chaleureuse, c'est un vrai bonheur.

Aussi parce qu'on sent vite, dans un salon, si celui-ci est un prétexte pour une collectivité locale de montrer qu'elle peut dépenser un peu de sous pour la culture, un faux-nez, un trompe-l'oeil, ou bien si, derrière, il y a une vraie politique de la lecture, de promotion du livre. A Colmar, il saute tout de suite aux yeux qu'il s'agit du deuxième cas. Le vendredi soir, j'ai dîné avec des instits qui venaient de tenir des rencontres entre élèves et des auteurs-jeunesse, qui pendant toute la durée du salon ont tenu un stand génial où ils familiarisaient par des activités malines en diable (fabrication de petits livres, de pièges à rêve, travail sur le braille...) les petits avec les livres. Et très vite, j'ai vu que les gens ne venaient pas pour voir des faiseurs de livres estampillés "vu à la télé", mais l'esprit aux aguets, curieux, prêts à découvrir ; j'ai senti qu'à Colmar, depuis dix-neuf ans, la manière dont a été organisé ce salon a vraiment formé des lecteurs.

Enfin parce que le samedi soir, après le dîner, nous avons eu droit à un moment de pure magie. Déjà, à notre arrivée, l'ancien conservateur en chef de la bibliothèque nous avait montré quelques trésors : un manuscrit de 1486, je crois, sur la vie de Vlad l'empaleur, des incunables... Mais le samedi soir, après la croûte aux morilles, on nous emmena au musée Unterlinden.

Dehors, la neige sur le décor de cette ville que je ne connaissais pas et qui est le charme même ; dedans, nous attendait Mme Pantxika De Paepe, conservatrice en chef, pour nous "raconter" le retable d'Issenheim, cet incroyable ensemble de peintures de Matthias Grünewald (autour de 1475-1528), peint pour l'église du couvent des Antonins d'Issenheim où les victimes du terrible mal des ardents (en fait dû à l'ergot de seigle) faisaient pèlerinage pour tenter de trouver apaisement et guérison.

Stupéfiant ! Au coeur d'une nuit noire, froide, dans cette chapelle, guidée par la voix chaude, érudite et passionnante de Mme de Paepe, cette petite troupe de gendelettres plus ou moins en représentation, plus ou moins éreintés, rassasiés et un peu gris, soudain confrontés avec le génie qui vous éclate à la gueule : le visage de la Vierge dans les bras de saint-Jean est proprement hallucinant, comme un crâne tendu de peau et passé au blanc d'Espagne... Un génie terrifiant.

Un génie pathétique, d'une incroyable violence - tellement caractéristique de cette pathologique fascination chrétienne pour la souffrance et la mort. Il faudrait aussi pouvoir faire un gros plan sur les incroyables mains de ce Christ, et surtout sur la fascinante mise au tombeau qui se trouve sous la crucifixion. La composition en soi est déjà peu commune : le vide d'un côté, le trop-plein de l'autre ; mais le traitement du cadavre est, lui, totalement singulier, comme couvert de pustules. Et les pieds !... déformés, éclatés, bousillés.

Quasi-expressionnisme de la crucifixion et de la mise au tombeau ; quasi-symbolisme de la résurrection et quasi-maniérisme de l'annonciation...

...hermétisme du concert des anges avec sa mystérieuse créature emplumée qui résiste à toute analyse...

...cauchemar de la tentation de saint Antoine aussi pré-surréaliste que Jérôme Bosch ; conversation d'Antoine et Paul d'un réalisme naturaliste qui évoque la plus "classique" des Renaissances...

tant d'inspirations différentes, tant d'explorations, d'intuitions de ce qu'est et va devenir l'art occidental ; tant de manières et pourtant un même style, un même souffle : il y a là, à coup sûr, une oeuvre - une oeuvre multiple et une, ce qui rajoute à son caractère d'hapax absolu - absolument exceptionnelle devant laquelle on reste stupéfait, qui retient par mille détails, par mille correspondances entre les différentes scènes : la main de Jean le Baptiste sur la crucifixion, celles de Gabriel dans l'annonciation et de Paul dans la conversation...

Depuis que je suis rentré de Colmar, je tente de retrouver ce que j'ai lu de Malraux sur ce retable. Il me semblait me rappeler un passage l'analysant comme l'une des oeuvres majeures, une des oeuvres clés de l'art occidental. Je n'ai rien retrouvé (c'est pour cela que ce billet a un peu tardé). A moins qu'il ne s'agisse d'un souvenir de télé - du temps où il y avait une télé -, d'une de ces fulgurances d'un Dédé en grande forme vaticinant avec son génie habituel dans un des treize numéros de l'inoubliable "Journal de voyages avec André Malraux" tourné autrefois pas Jean-Marie Drot, avec ce générique qui m'a fait acheter le coffret (en 33 tours, eh oui ce n'était pas hier ! la preuve, il y avait une télé) de l'Orfeo de Monteverdi...

Bref, j'ai seulement pu retrouver, sur le Net, que Malraux a raconté (mais où ?), au temps où, colonel Berger (son nom de Résistance), il commandait la Brigade Alsace-Lorraine devant la poche de Colmar, avoir "libéré" le retable, emprisonné par les nazis au Haut-Koenigsburg. Vérité ou légende ? Je m'en fous chez Malraux - un génie a tous les droits, à commencer par celui de transformer la légende en vérité, et vice-versa. On imagine Dédé, épuisé après une journée de combat dans la neige, la cigarette au bec, faisant sortir le chef-d'oeuvre des caisses...

Commotion. C'est le mot qu'il semble avoir employé pour qualifier cette rencontre avec Grünewald. Et là, légende ou pas, maintenant que j'ai vu ce retable, je suis sûr qu'il faut le prendre au mot.