Et d’abord quel est l’enjeu au plan européen ?
Il s’agit d’élire des représentants français à une assemblée qui n’a de parlement que le nom et ne fait qu’en singer les procédures (voir le chapitre XV de mes 30 bonnes raisons pour sortir de l’Europe intitulé : Le « parlement européen » : une imposture).
L’Union européenne est un monstre antidémocratique au profit duquel on a dessaisi des leviers de toute action sur le réel les représentations nationales et les pouvoirs légitimes issus des élections nationales afin d’en transférer la maîtrise à des instances technocratiques placées hors du champ du débat démocratique.
Les appareils politiques et leur personnel ont été acteurs – ou complices lorsqu’ils étaient dans l’opposition – de cette grande liquidation démocratique qui leur évite d’avoir à gouverner, c’est-à-dire à choisir. Leur rôle se réduit désormais aux aménagements à la marge et au maintien de l’Ordre européen, lorsqu’il paraît menacé par des peuples excédés de voter dans un sens ou dans l’autre pour voir, au final, s’appliquer la même politique. Pour le reste, les exécutifs nationaux mettent en œuvre des politiques prédéterminées par les traités, et les parlements nationaux enregistrent des textes produits « ailleurs » par des instances fonctionnant hors de tout contrôle démocratique réel. C’est d’ailleurs ce qu’ont parfaitement compris les Britanniques, qui ont une vraie culture parlementaire, et c’est la raison essentielle de leur vote en faveur du Brexit.
Au plan européen, l’enjeu est donc quasiment nul. Tout juste la poussée prévisible des eurosceptiques et eurocritiques de différentes obédiences contraindra-t-elle sans doute les conservateurs et socialistes qui règnent en connivence sur l’hémicycle à partager les sinécures avec les libéraux, voire avec les écologistes. Cela compliquera sans doute un peu le fonctionnement de cette chambre, mais n’aura aucune conséquence réelle puisqu’elle n’a, dans les faits, aucun pouvoir.
L’imposture de la réforme
Chacun sait par ailleurs que cette Europe ne sera pas réformée parce qu’elle est irréformable. Et parce qu’elle a été construite pour servir exactement à quoi elle sert : priver les peuples de toute prise sur le réel et sur leur destin au profit d’une oligarchie économique, seule patronne de cette Europe. Il n’y aura jamais 27 ou 28 exécutifs pour, soudain, ensemble, avoir la révélation qu’il faut remplacer, au centre de cette construction, la sacro-sainte concurrence par la coopération, faire un euro plus humain ou je ne sais quelle autre fadaise.
Les pays qui bénéficient du détachement des travailleurs – indispensable soupape qui leur évite de graves troubles sociaux – bloqueront toujours la réforme du système des travailleurs détachés, et il en va de même sur tous les sujets. Ainsi le rapport pathologique que l’Allemagne, du fait de son histoire propre, entretient avec la monnaie exclut-il toute réforme de l’euro, monnaie dysfonctionnelle qui ne cesse d’enrichir les pays les plus forts et d’asphyxier les plus faibles.
L’UE et l’euro sont un carcan et on ne réforme pas un carcan : on le brise et on s’en libère, ou on y crève.
Il est donc hors de question pour moi d’apporter mon suffrage à l’une quelconque des listes (LFI, PP-PS, Hamon-Varoufakis, PC, LREM, Verts de différentes variantes, LR, DLF, RN) qui accréditent l’idée d’une possible réforme de l’édifice.
La possibilité de l’abstention
Pourquoi dès lors ne pas s’abstenir ? J’ai joué avec cette idée et de très bons amis opteront pour cette solution sans que cela me choque le moins du monde.
Pour l’un, se plaçant sur un plan très général qui est à mes yeux le plus convaincant, il n’y a plus aucune raison de participer à aucun vote, toute élection étant devenue un simulacre dans le cadre européen où les peuples ne décident plus de rien d’essentiel. C’est, dans la Rome républicaine, la plèbe se retirant sur l’Aventin afin d’arracher des droits aux omnipotents patriciens.
Pour d’autres, il s’agit de délégitimer l’institution à laquelle on nous demande d’envoyer des représentants. Cet argument-là me paraît plus faible. Comme historien, je ne me souviens d’aucun exemple de boycottage d’élection ayant entraîné la moindre conséquence politique positive. Comme historien, je garde le souvenir du boycottage des premières élections grecques d’après-guerre par le parti communiste et les forces démocratiques qu’il avait groupées autour de lui au sein de la Résistance, et ceci pour les meilleures raisons du monde. Le résultat fut que les droites emportèrent 235 sièges sur 354 et que les gouvernements s’appuyant sur cette majorité purent imposer « légalement » toute sorte de régressions, mener une guerre civile, interdire le parti communiste.
Ajoutons qu’aux dernières élections européennes, les taux d’abstention dépassèrent 65 % (Roumanie, Portugal, Lettonie, Hongrie), 75 % (Pologne, Slovénie, Croatie) pour atteindre 80,5 % en République tchèque et 87 % en Slovaquie, sans que cela remette le moins du monde en cause la pérennisation du système : l’oligarchie se moque de la légitimité. Ce qui l’intéresse, c’est qu’un simulacre de parlement – quelles que soient les conditions de son élection – valide les décisions qu’il sera chargé de valider. Dans ces conditions, l’abstention ne change en rien la donne. Ce qui peut la compliquer, c’est qu’un nombre important d’élus soient résolus à compliquer le fonctionnement de la machine à validation.
L’enjeu intérieur
Si l’enjeu de ce scrutin au plan européen est faible, il se double d’un enjeu intérieur : alors que depuis un an le pouvoir macronien est confronté aux conséquences de sa désastreuse politique, de sa pratique tyrannique du pouvoir, de son insupportable arrogance désormais associée à un autoritarisme qui… crève les yeux, quand il n’arrache pas les mains.
L’élection européenne est donc un moyen de sanctionner le gouvernement.
À cet effet, l’abstention me paraît inopérante : vu l’état pitoyable du commentaire politique dans ce pays, on se lamentera durant cinq minutes sur le taux d’abstention en moulinant quelques imbécillités sur le vote obligatoire, puis on passera la soirée et les jours suivants à gloser sur la victoire de celui qui arrivera en première position.
Cette victoire sera évidemment, comme le reste, un dérisoire simulacre. De quelle victoire parle-t-on dans une situation où celle-ci est acquise par moins du quart des 40 % prévisibles de votants, c'est-à-dire probablement par à peine plus de 10 % du corps électoral ?
Et si LREM arrive en tête avec ces 10 ou 12 %, alors qu’elle regroupe, de Royal et Cohn Bendit à Raffarin et aux épigones de Juppé, un bloc qui pouvait représenter, il n’y a pas si longtemps, entre 60 % et 70 % du corps électoral, toute l’éditocratie criera au triomphe du tyranneau et à l’illégitimité des Gilets jaunes qui « ont mis le pays à genoux »…
Or, la seule manière d’empêcher ce scénario, c’est de voter RN, puisque le RN est le seul parti en position de ravir la première place à LREM. On peut le regretter, on peut, comme moi, considérer que ce parti est en somme l’assurance-vie du système puisque tant qu’il est là, il empêche une alternative politique crédible d’émerger, mais c’est ainsi et, comme disait de Gaulle, on ne fait de politique qu’avec des faits.
Pour autant, cette solution ne me convient pas. Non que je crois une seule seconde au retour de la peste brune cher aux antifascistes de carnaval. Mais ce parti porte des valeurs qui sont antithétiques avec celles du gaulliste que je reste. Et il est désormais, comme il l’était avant la séquence Philippot, aussi libéral que tous les partis de droite dure.
Alors que faire ?
Comment, en ayant écrit 30 bonnes raisons pour sortir de l’Europe, comment en croyant que la libération du carcan de l’euro et de l’UE est la condition nécessaire (même si elle n’est pas suffisante) à la renaissance de la démocratie dans mon pays, à la restauration d’un État social modernisé et efficace, au retour de la France dans le monde, à la reconquête d’une parole libre, de l’indépendance nationale, de la souveraineté monétaire indispensable à la reprise en main par le politique des leviers économiques, à la mise au pas des lobbys… comment pourrais-je ne pas choisir de voter pour une des deux listes qui ont mis au centre de leur discours cette nécessaire libération ?
Se libérer du carcan européen, c’est permettre la reprise d’un vrai débat démocratique, projet contre projet, c’est rendre au peuple la maîtrise de ses choix. Cela ne sera possible que par la construction d’un rassemblement à vocation majoritaire des souverainistes de toutes options politiques (il y avait dans le Comité national de la Résistance des communistes et des gens venant de l’extrême droite d’avant-guerre) et la mise au point d’un programme de législature destiné à relever en cinq ans tous les défis, nombreux et complexes, que suppose cette nouvelle libération de la France.
Le Brexit nous donne à cet égard deux leçons : l’UKIP, en gagnant les élections européennes de 2014, a forcé le pouvoir conservateur, qui n’en avait aucune intention, à organiser le référendum. Car faute de le promettre, les législatives suivantes, dont l’UKIP aurait polarisé la campagne sur l’enjeu européen, risquaient de se transformer, dans le système électoral britannique de scrutin majoritaire de circonscription à un tour, en déroute pour les tories. Mais également pour le Labour car, aux élections européennes et pour le référendum, l’UKIP et le Leave ont fait leurs meilleurs scores dans les bastions populaires travaillistes (alors que le Remain faisait le plein chez les bobo blairistes), qui s’apprêtent d’ailleurs à voter massivement pour le nouveau Parti du Brexit, créé par Nigel Farage après le virage de l’UKIP vers la droite radicale.
C’est donc en faisant la jonction avec des électorats conservateur et travailliste qu’a été imposé puis gagné le référendum.
La seconde leçon, c’est que, si on laisse aux partis traditionnels le soin de conduire la libération, une fois la victoire acquise sur le principe, ils la convertissent en reconduction de l’asservissement.
Plus que jamais nous avons donc besoin d’un rassemblement qui met au centre du débat politique la nécessité de l’affranchissement et qui soit préparé à le conduire. Et là-dessus, tout reste à faire.
Un choix qui ne vaut pas ralliement
Réglons d’abord la question Philippot. Si on lit les sondages, il semble que sa liste soit la moins éloignée du seuil permettant d’obtenir des élus. Et je ne crois pas que Florian Philippot soit de près ou de loin un fasciste, un antidémocrate, un partisan du régime autoritaire (ce qui en revanche n’a rien d’évident pour Macron !). Mais il a fait une erreur tactique de taille : croire qu’en faisant de l’entrisme au FN il allait en changer le code génétique. La démonstration est faite que c’était une impasse, et le sera encore davantage quand la nièce succédera à la tante.
Philippot est donc aujourd’hui marqué, à tort ou à raison ce n’est pas le problème, d’un stigmate, et ce serait une erreur aujourd’hui que le souverainisme soit associé à cette marque-là.
La question se pose différemment avec l’UPR de François Asselineau. Il est évidemment absurde, si on lit les textes produits par ce parti, si l’on écoute son président à côté duquel je me suis retrouvé une fois en débat, d’y trouver des traces de droite extrême. Asselineau est en réalité une figure très (trop ?) classique de la vie politique française, énarque passé en politique par le biais de cabinets ministériels – de droite dans son cas. Lui reprocher telle ou telle amitié politique d’il y a 10, 15 ou 20 ans est aussi privé de sens que de reprocher à Jean-Luc Mélenchon d’avoir été sénateur socialiste et d’avoir voté Oui au traité de Maastricht. Chacun a son parcours et celui d’Asselineau, comme celui de Mélenchon, s’est fait dans le cadre des institutions démocratiques.
Quant aux militants de l’UPR, j’ai, comme tout souverainiste qui n’est pas membre de ce mouvement, eu maille à partir avec des excités, parfois agressifs, au zèle excessif et, au final, contre-productif. Passons. Je vois aussi que ce parti est l’un des rares à avoir une force militante réelle portée par des convictions fortes. Si je me suis joint à son cortège du 1er mai, c’est aussi que je voulais y voir de plus près. J’y ai vu des gens de tous âges, des personnes issues de l’immigration brandissant fièrement le drapeau tricolore et aucun crâne rasé, beaucoup de jeunes racontant facilement comment ils avaient été européennement formatés dès le collège et comment ils avaient pris conscience du mensonge. J’ai parlé avec des gens me disant que leur premier engagement politique avait été chez Montebourg, chez Chevènement, à la LFI…
Alors voilà, c’est décidé : je voterai UPR.
Non que je crois au destin d’Asselineau ! Assurément l’homme n’est pas sans qualités : il connaît les textes et ses dossiers. Trop, pourrait-on dire ; son discours est trop techno, trop juridique pour percer dans l’opinion, même s’il me semble qu’il commence à s’en affranchir. Il a surtout eu le grand mérite de prendre enfin à bras-le-corps la question de la sortie. Mais il n’articule aucun récit, ne donne corps à aucun imaginaire. On ne fait pas plus rêver un peuple avec un taux de déficit budgétaire qu’avec l’article 50 du traité…
Cet article, d’ailleurs, est un de mes points de désaccord avec l’UPR : on a vu de quel piège il s’agissait avec le Brexit. La libération ne peut être qu’un acte unilatéral, rapide, radical. Car si la France force la porte de la cage, la cage explose. Ensuite, on ira voir les autres pour négocier avec eux ce qu’on peut garder, dans un cadre strictement intergouvernemental.
J’entends aussi toutes les réserves, les critiques, les intelligentes analyses sur les défauts et les insuffisances de l’UPR. Et pour certaines, je les partage. En outre, comme je ne cesse de l’expliquer aux militants UPR avec lesquels je suis en contact sur Facebook, on ne se décrète pas CNR à soi tout seul, on ne fait pas un rassemblement par injonction au ralliement, de surcroît quand, malgré une base militante active, on a un socle électoral inférieur, selon toute vraisemblance, à 2 %. Un rassemblement, cela se construit. Que l’UPR et Asselineau aient leur place dans un tel rassemblement relève de l’évidence ; ils ne peuvent pas l’être à eux seuls.
Mais enfin de quoi est-il question le 26 mai ? D’élire un président ? De désigner une majorité au Parlement dont sera issu un gouvernement ? Non. Quoi qu’on vote le 26 mai, cela ne changera rien, ni en France ni en Europe.
Dès lors que j’ai éliminé l’abstention et le vote RN pour « empêcher Macron d’arriver en tête », il s’agit pour moi de dire que je crois indispensable pour mon pays, pour mon peuple, pour la démocratie, de nous libérer de l’euro et de l’UE. Et pour cela, je n’ai à ma disposition qu’un bulletin : celui de la liste UPR.
Je pense que cette prise de position va provoquer des réactions… disons contrastées, sans doute hostiles, de la part de gens aussi sincères dans leurs convictions souverainistes que je le suis ou que le sont les militants UPR. Je n’y répondrai pas, non par mépris, mais parce que je m’interdis de polémiquer avec qui que ce soit qui partage la conviction que la France doit briser les barreaux de cette nouvelle prison des peuples qu’est l’UE. Nous aurons un jour ou l’autre à travailler ensemble. Je ne veux pas insulter l’avenir.