jeudi 27 septembre 2018
Tir groupé
Par Olivier Delorme, jeudi 27 septembre 2018 à 10:50 :: Mon actu
Avant mon départ de Paris, j'ai donné un entretien à Polony TV et à l'excellente Coralie Delaume, sur l'escroquerie médiatique de la sortie de la Grèce des plans d'aide européens, qui n'ont jamais aidé que les banques occidentales gavées de dette grecque à ne pas sombrer avec nos économies. Et Coralie m'a fait aussi un peu parler de la Turquie : je ne me suis point trop fait prier !
Et puis arrivé à Nisyros, Alexia Kefalas m'a demandé une tribune pour le journal Ta Nea, l'équivalent du Figaro grec. Sans partager la ligne politique de ce journal lié aux conservateurs de la Nouvelle Démocratie, mais il s'agit d'une tribune, donc d'une libre parole, j'ai bien sûr accepté avec plaisir d'exposer à des lecteurs grecs pourquoi il n'y a pas d'issue pour la Grèce tant que la Grèce voit son activité économique dépendre d'une monnaie allemande, l'euro, et des déséquilibres croissant que l'existence de cette monnaie impose à l'ensemble des pays de cette zone monétaire absurde et criminelle - hormis l'Allemagne, l'Autriche et les Pays-Bas. Je remercie Alexia et son mari, rédac chef, de leur confiance et de la liberté totale d'expression qu'il m'ont donnée, liberté qui devient inimaginable dans les médias français (à l'exception du Figaro Vox et de quelques autres sites d'info sur Internet, peut-être bientôt dans Marianne puisque Natacha Polony en est devenue la patronne...)
Cette publication prenait place dans un numéro spécial, paru le 8 septembre, à l'occasion de la rentrée politique de Tsipras qui a fait toute sorte de promesses de baisses d'impôts et d'augmentations de salaires pour... 2020 et 2021. C'est-à-dire pour quand il aura été battu et sera dans l'opposition. Ce garçon est décidément plein de ressources et d'idées originales !
Mon nom figurait à la Une du journal, devant ceux de Jean-Paul Fitoussi et Thomas Piketty : on n'a beau ne pas avoir la grosse tête, àa fait plaisir !
La rédaction a titré ce texte "La sortie du cauchemar est encore loin". Et je vous en donne le texte en français ci-dessous :
La tragique imposture de l’euro fut de faire croire aux peuples qu’on créait une monnaie européenne afin de procurer à tous plus de stabilité, d’emploi et de prospérité, alors que l’euro est bien plus qu’une monnaie. C’est un mode de gouvernance dessaisissant les peuples d’un instrument essentiel de la maîtrise de leur destin : la souveraineté monétaire. Et en raison des conditions de la négociation du traité de Maastricht (notamment sa calamiteuse conduite par la partie française), ce mode de gouvernance est essentiellement allemand, fondé sur l’ordolibéralisme, une idéologie héritée de l’histoire et des pathologies propres à l’Allemagne, caractérisée par la défiance à l’égard des pouvoirs démocratiques, l’exigence de soustraire l’économie à la délibération politique, et l’établissement de règles intangibles définissant un Ordre économique supérieur à la Constitution.
On comprend mieux, dès lors, l’avertissement de Jean-Claude Juncker (28 janvier 2015) à la majorité grecque tout juste élue : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens », la sereine violation par l’UE des résultats du référendum de l’été suivant, ou le front du refus opposé par l’eurogroupe au ministre Varoufakis. Celui-ci présentait des propositions pragmatiques, d’ailleurs modérées et insuffisantes, auxquelles l’eurogroupe ne pouvait être accessible puisque sa position est idéologique : peu importent les pots cassés économiques, les dégâts démocratiques, les drames humains et les morts, puisque la Règle doit être respectée. Dans l’UE, comme autrefois en URSS, l’échec ne peut venir de l’imbécillité de la Règle ni provoquer sa remise en cause, il ne peut qu’être l’effet d’une insuffisante application de la Règle et justifier son durcissement.
Or pour la Grèce, comme pour tous les pays, nombreux, dont l’économie n’a pas des fondamentaux similaires à ceux de l’économie allemande, cette Règle signifie l’asphyxie. Car si, du fait de ses caractéristiques propres, l’économie allemande est peu sensible au taux de change tandis qu’elle pèse d’un poids déterminant dans sa formation, un euro fort est au contraire ravageur pour la France, l’Italie et de nombreux autres pays… dont la Grèce au premier chef, alors que celle-ci ne pèse pour rien dans la détermination de ce taux de change. Pour repartir, l’économie grecque, mais aussi l’italienne, la française, etc., auraient besoin d’une dévaluation ajustant la valeur de leur monnaie à leurs structures, leurs forces et leurs faiblesses.
L’euro l’interdisant, ces États sont condamnés à « ajuster » par la baisse sans fin des salaires, des pensions, des prestations sociales, par de nouveaux impôts et coupes budgétaires. La sortie des mémorandums (provisoire ou non) n’y change rien, la loi d’airain de l’euro et les Marchés qui en sont les gardiens continueront à les imposer : « l’obéissance aux marchés sera récompensée, la désobéissance sera punie », écrivait un des fondateurs de l’ordolibéralisme, Wilhelm Röpke, dans un livre de 1942 intitulé La Crise sociale du présent.
D’autant que la dette grecque reste insoutenable, que la faible baisse du chômage n’a été acquise que par le départ en émigration de la partie la plus dynamique de la population, dont l’éducation a été payée par le contribuable grec mais qui va créer de la valeur ajoutée ailleurs, que la paupérisation massive empêche tout redémarrage de la consommation intérieure, principal moteur des économies développées, et que la croissance de 2017 a tout d’un « rebond du chat mort », compensation provisoire et mécanique d’un excès de baisse.
En réalité, puissamment dysfonctionnel, l’euro ne cesse d’enrichir les États les plus riches de l’eurozone et d’appauvrir les autres. Pour la Grèce, en sortir en 2015 aurait été plus difficile qu’en 2010 ou 2012, ce le sera davantage demain qu’en 2015 ou qu’aujourd’hui, parce que l’euro ne cesse de détruire le potentiel productif et humain du pays, parce qu’il ne cesse de justifier la spoliation des patrimoines privés et public, de produire de la défiance politique… Mais l’euro est un carcan, et un carcan ne se réforme pas (l’Allemagne qui en profite ne l’acceptera jamais) : on en sort ou on y crève.