OD

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

mercredi 26 mai 2010

rendez-vous place de la Comédie !

<pre></pre>

Lire la suite

mercredi 19 mai 2010

Festival In&Out (4 et fin) - Jean-Gabriel Périot et Panos Koutras

Voici donc un peu plus d'un mois que nous sommes rentrés, Frédéric et moi, du festival du cinéma gay et lesbien In&Out de Nice...

... et je n'ai pas encore parlé de la soirée pour laquelle les organisateurs de ce festival, qui fut une parfaite réussite (je tiens à me faire bien voir !...), m'y avaient invité (des fois qu'ils auraient l'idée saugrenue de récidiver !).

Mais encore une minute, monsieur le bourreau : avant de parler de Panos Koutras, je voudrais dire qu'une de nos plus étonnantes découvertes de ce festival, à Frédéric et à moi, fut celle des courts métrages de Jean-Gabriel Périot : on pourra en voir quelques-uns sur son site personnel... un brin minimaliste, ce qui en dit déjà beaucoup sur le monsieur.

Son Gay ? concluant un long développement du genre "Je suis gay, je suis bien dans ma peau" par une désopilante conclusion à laquelle j'adhère totalement, dénotait déjà un sens de la provocation peu commun. Et puis le bougre m'avait intrigué en lâchant à un déjeuner sur la terrasse ensoleillée du QG des Ouvreurs, aussi laconique que sibyllin, qu'il n'avait jamais été bon en histoire jusqu'à ce qu'il se mette à faire des films d'histoire... de 3 ou 4 minutes.

L'homme avait au moins le talent d'intriguer. Il en a d'autres ! Cinéma politique, corrosif, ironique, méchant, violent... mais cinéma d'abord ; avec des exigences esthétiques manifestes, qui vous conduisent parfois, qu'il s'agisse de voies ferrées et de routes, ou de matraques, jusqu'au bord de l'hypnose.

M. Périot est un artiste, un vrai, parce qu'il a des choses à dire, contrairement à tant aujourd'hui qui croient que la forme dispense du fond, mais parce qu'il ne les dit pas comme tout le monde, parce qu'il travaille une manière parfaitement originale de les dire. M. Périot n'aime pas la connerie, les truismes, les autorités morales, le capitalisme triomphant ni l'esprit d'entreprise. Moi non plus ; tout cela crée entre M. Périot et moi quelques affinités électives, des connivences qu'on est heureux de se découvrir. Pour le reste, allez donc voir ses films, le cinéma ça se regarde, surtout celui de M. Périot !

Restait donc Panos Koutras. N'étant pas tout à fait pour rien dans le fait que la Grèce fût présente au festival, son talentueux (si avec ça je ne suis pas réinvité...) programmateur, Benoît Arnulf (qui est depuis devenu membre de l'éminent jury de la Queer Palme qui sera pour la première fois décernée à Cannes cette année), m'avait demandé de venir interviouver Panos Koutras entre la projection de son dernier film, ''Strella'', et sa mythique Attaque de la moussaka géante.

C'était la première fois qu'on me demandait pareil exercice, mais la rencontre humaine avec Panos, les connivences évidentes, là aussi, le rendirent tout naturel. Car en plus d'être bourré de talent et de culot, Panos est un vrai Grec. Pas un de ces fainéants qui vivent sans vergogne aux crochets de la vertueuse Allemagne, qui profitent honteusement du travail des laborieux Aryens pour se goberger en d'éternelles vacances méditerranéennes, comme cela se dit dans les couloirs des irréprochables banques, de la très clairvoyante Commission de Bruxelles et de l'infaillible Banque centrale de Francfort. Non, c'est un vrai Grec, c'est-à-dire quelqu'un avec qui le contact est facile, immédiat, chaleureux. Un vrai Grec sans complaisance avec la société à laquelle il appartient, qu'il croque avec férocité, qu'il bouscule virilement (enfin...), mais avec une énorme tendresse.

Nous avons donc vu Strella qui est véritablement un film extra-ordinaire. Humour, tragique, profondeur humaine, émotion, rire, violence, bonheurs simples, dérision, amour, jouissance et tendresse s'y mêlent dans un coquetèle aussi étonnant que détonnant. Subversif, bien sûr - lorsqu'après avoir sans cesse frôlé le mélodrame, la fin impose sa vitale leçon de liberté. Un film pareil ne se raconte pas : réinterprétation du mythe d'Oedipe, difficultés de vivre la transexualité, prostitution, rapport père/fils ou fille, famille génétique ou tribu choisie... Strella est tout cela et bien plus encore, parce que les personnages, les dialogues et les corps, vous prennent aux tripes.

Ensuite, il y eut notre discussion. A moi, en tout cas, elle aura procuré bien du plaisir. Panos m'a confirmé la référence (Strella est un mélange entre le prénom Stella et l'adjectif "trellos", fou) au superbe film de 1955, tourné par Kakoyannis avec Melina Mercouri, ''Stella, une femme libre'' (décors de Tsarouchis, et musique de Hadjidakis, tous deux monstres, peintre et musicien, de la culture grecque contemporaine et homosexuels affichés), un film qui, lui, se finit mal, parce que Stella, non plus, n'a pas voulu renoncer à vivre ses amours - les temps changent, pas toujours en pire. Panos a aussi raconté ses difficultés pour financer le film, trouver l'interprète du père (il a dû avoir recours à un non-professionnel, au demeurant bluffant, les pros ayant tous refusé...). Puis, répondant positivement à ma question de savoir si, dans Strella, il avait utilisé la kaliarda, cette langue que les pédés grecs des milieux populaires s'étaient inventée, dans les années 1920, afin de se comprendre sans être compris des autres, il nous apporta cette précision (pour moi aussi réjouissante qu'admirable) qu'en kaliarda la bouche se dit... chaos.

Que dire de plus ?

Que tous les acteurs de Strella sont épatants, la vieille trans qui a pris Strella sous son aile notamment, émouvante, qui lui fait la morale, antique : l'hybris - ou quand l'homme cède à la démesure, ressort de toute tragédie - ces choses-là sont tabous, elles attirent le malheur, la vengeance des dieux ; avant de balayer sa leçon : et puis, après tout, si vous vous aimez...

Que la réplique du père à Strella lui disant que, grâce à elle, il aura appris toutes les manières dont un père peut aimer son enfant est incroyablement gonflée.

Que nous avons pris un plaisir toujours aussi jouissif à revoir La Moussaka géante (après avoir dégusté celles que les Ouvreurs nous avaient mitonnées, accompagnées d'un ouzo de bon aloi), pur chef d'oeuvre qui n'a pas pris une ride.

Qu'il est le meilleur film politique que je connaisse sur la Grèce (les experts du FMI, de la BCE, de la Commission, Mme Merkel et consorts auraient dû être obligés de le regarder !).

Que La Vraie Vie (I alithini Zoi réalisée par Koutras entre La Moussaka et Strella) est également un film aussi surprenant qu'épatant : Panos y fout le feu à l'Acropole, puis la fait reconstruire, en mieux, par une de ces très riches grecques qui ne payent sans doute pas d'impôt (ce dont se tape le "socialiste" Strauss Kahn du moment que les petites gens, eux, sont mis au pain sec et à l'eau...)

Ah si tout de même, au début de ce mois de mai, l'Académie du cinéma grec a décerné l'équivalent de nos "Césars". Strella y était onze fois nominée (jamais compris pourquoi "nommé" ne suffisait pas). La Grèce n'a pas encore de Pacs pour les pédés et les gouines, elle ne reconnaît pas, comme l'a fait cette semaine le Portugal, le mariage entre individus du même sexe. Mais sa société a bougé, elle y est prête, comme chez nous, les sondages le montrent. Comme chez nous, et comme pour les problèmes financiers, c'est une oligarchie politique (en France comme en Grèce, ne nous berçons pas d'illusions, même si les formes sont moins criantes parce que moins archaïques), totalement déconnectée des réalités, qui s'est approprié la démocratie, qui bloque les vrais changements, l'imagination, les aspirations des peuples au lieu de les traduire dans les faits.

Strella a donc été couronnée, par les "césars grecs" du meilleur maquillage, des meilleurs costumes, des meilleurs décors. Hélas pas du meilleur film ni du meilleur réalisateur. Je n'ai pas vu le film qui les a emportés, je ne peux donc avoir d'avis sur la pertinence de ces choix, mais ce qui m'a réjoui au plus haut point, d'autant plus qu'elle est originaire d'une île qui n'est pas loin de la nôtre, et qu'elle a dû la quitter, chassée par sa famille, c'est que Mina Orphanou, qui incarne Strella avec un stupéfiant talent, Mina Orphanou "transexuelle pré-opératoire", comme elle le dit dans le film et comme le montre le film, a obtenu le "César grec" de... la meilleure actrice.

Une subversion de plus, superbe ! Chapeau bas !!! à Panos d'abord, à Mina surtout, et à tous ceux qui ont voté pour elle !!!

lundi 17 mai 2010

Aujourd'hui Journée mondiale contre l'homophobie !

L'auteur de La Quatrième Révélation est bien sûr concerné et solidaire : partout dans le monde, aujourd'hui, on agresse, on violente, on emprisonne, on torture, on tue des gens à cause de leur désir, de la manière dont ils aiment et jouissent, de l'apparence qu'ils ont.

C'est monstrueux, et cela nous vient, faut-il le rappeler, des trois grandes religions monothéistes. Point de persécution de "ceux qui couchent avec un homme comme on couche avec une femme" avant Le Lévitique et Paul de Tarse. Le lévitique est un des textes les plus bêtes et les plus violents de l'histoire de l'humanité, les épitres de Paul l'ont recyclé dans le christianisme ; l'islam n'est pas en reste : on pend les homosexuels en Iran, et la situation n'est guère plus brillante dans la plupart des pays musulmans - que l'hypocrisie y règne ou non sur les pratiques, la loi y rend toujours possible la persécution lorsqu'on a besoin de boucs émissaires à livrer aux intégristes, comme ce fut le cas récemment en Egypte.

Mais ces textes, Lévitique et épitres, figurent dans la Bible hébraïque pour le premier, dans le canon de toutes les églises chrétiennes pour les secondes. Ils sont au fondement même de ces religions : tant qu'il en sera ainsi, tous les frustrés et les intégristes de la terre trouveront dans la parole divine la justification de leur homophobie, la légitimation de leur violence. Ce qui est en cause, ce n'est donc pas le discours plus ou moins hypocrite des représentants institutionnels des religions, des Eglises et des cultes, mais les textes sur lesquels ils se fondent.

Vive la Journée contre l'homophobie donc ! et à quand une Journée mondiale contre le capitalisme dérégulé et mondialisé qui lui aussi violente torture et tue. Pas plus que l'homophobie n'est indifférente à la nature même des monothéismes, la "crise" n'est pas indifférente à la nature même de ce capitalisme.

Et comme les monothéismes qui vouent les homosexuels à la mort au nom d'un Dieu d'amour, les capitalistes sont schizophrènes : on en a encore eu une parfaite illustration ces derniers jours : il y a deux semaines les "Marchés", entité métaphysique aussi convaincante que le Saint Esprit, plongeaient à cause des déficits publics européens.

Résultat ? les Etats qui, depuis trente ans, ont abandonné tous les moyens d'action sur l'économie dont ils disposaient, sauf celui de matraquer les peuples par la fiscalité ou la "modération salariale", mettent en place, avec plus ou moins de zèle et de violence, des politiques visant à réduire ces déficits.

Résultat ? Depuis, les marchés baissent parce que ces politiques vont casser la consommation, donc la croissance, donc les recettes des Etats et vont donc faire augmenter à terme leurs déficits publics qu'elles voulaient réduire. On appelle ça la déflation ; on sait cela depuis longtemps déjà... cette politique, en 1935, a été tentée par Pierre Laval et elle a échoué, avant et depuis, partout où elle a été mise en œuvre.

Les Marchés veulent donc une chose et son contraire, et ils dictent aux Etats, qui leur obéissent au doigt et à l'œil, une chose et son contraire. Belle boussole !

La vérité, c'est que l'euro nous a enfermés dans une seringue mortelle. Mais la leçon que nous donne l'histoire, sur ce genre de seringue, c'est qu'on en sort rarement - jamais ? - sans de graves convulsions, intérieures et internationales, dont les peurs, les haines, les violences - l'homophobie comme les autres - sont souvent les principales gagnantes.

vendredi 7 mai 2010

Rendez-vous à la Foire du livre de Saint-Louis

Entre Mulhouse et Bâle, la Foire du livre de Saint-Louis est le grand salon du livre alsacien du printemps, j'y serai reçu à partir de cet après-midi jusqu'à dimanche soir, pour la deuxième fois, sur le stand se l'excellente librairie strasbourgeoise, "L'Usage du Monde" de Gilles Millon.

Venez nombreux ! je vous attends de pied ferme.

mercredi 5 mai 2010

La Grèce, victime de l'euro

J'ai déjà dit ici maintes fois la responsabilité écrasante que portaient les Mitterrand, Attali, Guigou, Delors et consort d'avoir, sous prétexte d'Europe, enfermé les économies européennes dans le corset de fer, étouffant, écrasant, mortel, d'un Deutschmark rebaptisé euro. Il n'est qu'à regarder les courbes des croissances européenne et américaine : elles se croisent à Maastricht.

Cette politique, couplée avec le libre-échangisme le plus débridé, qui met en concurrence des économies à fort niveau de protection sociale avec des économies quasi-esclavagistes - fussent-elles communisto-libérales - et avec la dérégulation financière, ne pouvait aboutir qu'à une catastrophe : nous y sommes.

Cette politique a été conçue par des économistes libéraux qui se veulent des scientifiques et qui ne sont que des idéologues. Elle se donne, comme tous les totalitarismes, depuis le chrétien, pour une vérité révélée. Elle a vidé de l'essentiel de sa substance la démocratie, puisque les gouvernements élus, qu'ils soient de droite ou de gauche, doivent se plier à cette révélation.

L'euro n'est pourtant pas qu'une catastrophe ; c'est une absurdité. On ne peut avoir de monnaie unique dans une zone économique qui n'a ni politique fiscale commune, ni politiques économiques communes. On ne peut avoir de monnaie commune régie par les règles dictées dès l'origine par l'Allemagne, en fonction de ses intérêts, de ses contraintes et de ses peurs (le retour à l'hyperinflation des années 20), alors que les autres pays ont des intérêts, des contraintes, des forces et des faiblesses différents.

On nous parle de vertu allemande ! la belle affaire... L'Allemagne, c'est son droit et son devoir, mène la politique de ses intérêts. Son histoire et la structure de son économie s'accommodent de cette vertu. Tant mieux pour elle ! Mais si tous les pays d'Europe avaient la même structure économique et s'ils s'imposaient la même vertu, l'Allemagne serait en faillite parce qu'elle ne vendrait plus rien à ces pays-là qui, par leur déficit même, font tourner l'économie allemande.

La réalité c'est que l'euro fort, la fin de la préférence communautaire et la destruction du tarif extérieur commun dont lady Thatcher, les droites et les sociaux-démocrates convertis au libéralisme le plus borné ont eu la peau, joints à l'absence de ces deux soupapes économiques fondamentales que sont l'inflation (qui fait payer le capital) et la dévaluation nous conduisent droit dans le mur, en faisant des salaires et des seuls impôts qui pèsent sur les revenus du travail et la consommation, les uniques variables d'ajustement.

Hier, la finance folle, que les Etats, par le biais de la construction européenne, ont libérée de toute contrainte, a conduit le monde au bord du gouffre. Elle a obtenu que les Etats non seulement la renfloue pour éviter l'implosion du système, mais qu'ils s'endettent massivement pour éviter une dépression encore plus ravageuse que les conséquences du krach.

On nous dit que les banques ont remboursé les Etats - des avances de trésorerie qu'elles ont reçues directement, peut-être. Des incalculables dégâts qu'elles ont provoqués, certainement pas.

Ces dégâts-là, c'est aux peuples désormais qu'on en présente l'addition. FMI et Europe solidairement ont entrepris de commencer par le matraquage des Grecs qui avaient élu en octobre un gouvernement socialiste sur un programme de relance par le pouvoir d'achat. Il faut préciser que la Grèce a déjà été durement sinistrée par l'euro : les prix y ont bondi en quelques années au niveau de l'Europe de l'ouest tandis que les salaires restaient à un niveau grec - d'où une hausse rapide de l'endettement des ménages, dans un pays où il était quasi inexistant.

Une fois encore, l'Europe s'en prend donc directement à la démocratie et l'on force ce gouvernement à mettre en oeuvre la politique exactement inverse au programme sur lequel il a été élu il y a moins de six mois. Comment mieux signifier au peuple grec, à tous les peuples d'Europe et du monde, que la démocratie ne signifie plus rien ? Plus rien. Comment s'étonner que les peuples ne recourent à l'abstention et aux votes populistes pour signifier leur défiance de plus en plus dégoûtée vis-à-vis d'une démocratie qui n'est plus que d'apparence ?

Par charité... païenne, je me garderai d'ironiser sur le fait que c'est à deux "socialistes", une fois de plus transformés en fidèles valets des marchés, MM. Strauss Kahn et Papandréou, qu'il revienne d'exécuter les basses oeuvres consistant à détrousser le peuple grec - c'est tout dire de la faillite intellectuelle, du naufrage idéologique, de la bérézina morale, du waterloo politique d'une social-démocratie européenne blairisée, c'est-à-dire thatcherisée.

Aujourd'hui, les Grecs sont en grève générale. Moi aussi, avec eux. Non que je pense qu'il n'y ait pas de lourdes réformes de structure à faire dans ce pays. Ce pays a une histoire, des héritages, des habitudes - mauvaises pour certaines, sans doute, mais je tiens à la disposition de la chancelière allemande quelques analyses sur l'Allemagne qui valent bien ces défauts-là ! Il n'a cessé non plus d'être l'objet d'ingérences étrangères, anglaise notamment puis américaine. Ces puissances, après l'ottomane, ont imposé la perpétuation d'un Etat dont le clientélisme a été historiquement la manière de pallier l'inexistence d'Etat providence. Si beaucoup de Grecs sont fonctionnaires, c'est parce que la sécurité sociale est faible, l'hôpital public dans un état dramatique, les allocations familiales inexistantes, etc. L'emploi dans la Fonction publique a été, et est encore, un mode de redistribution, ces fonctionnaires ayant, pour nombre d'entre eux d'ailleurs, un second emploi.

Il y a donc des réformes à faire en Grèce. Mais pas celles qu'on lui impose, ni de la manière, insultante, humiliante, dont on les lui impose. Avec l'incroyable morgue allemande en prime. La politique que le FMI et l'Europe vont appliquer en Grèce s'appelle la déflation. Elle a été tentée en France, en 1935, par Pierre Laval. Ailleurs par d'autres... et tout cela a fini en guerre mondiale. Elle consiste à couper drastiquement dans les dépenses publiques et les salaires. Elle a échoué partout où elle a été appliquée, parce qu'en cassant la consommation, elle casse la croissance : la Grèce a des déficits (qui ont explosé à cause des banques qui assassinent aujourd'hui ce pays), mais elle avait une croissance forte (plus de 5%, je crois, en 2009) ; elle sera, au mieux, en récession de 3 % en 2010.

Or, quand la croissance s'effondre, les recettes fiscales en font autant. Surtout dans un pays où la fiscalité est illégitime parce qu'elle a été l'instrument d'écrasement du peuple pendant quatre siècles par le pouvoir ottoman, puis par des régimes souvent autoritaires et dictatoriaux, téléguidés de l'étranger, qui ont installé durablement l'idée d'un Etat prédateur qu'il est légitime de frauder. Culturellement, le FMI et l'Europe ne peuvent être perçus aujourd'hui par les Grecs que comme les héritiers de ces ingérences, et le gouvernement grec à qui ils imposent cette politique comme l'héritier de ces régimes de l'étranger : la politique qu'on est en train d'imposer aux Grecs ne pourra donc que renforcer cette défiance et cet a-civisme fiscal - exactement le contraire de ce qu'il conviendrait de se fixer comme but pour assainir durablement la situation.

L'Europe et le FMI de Strauss Kahn ne sont que de ridicules médecins de Molière, mais à force de saigner et de purger le peuple grec, ils ne parviendront à rien, sinon à déstabiliser une société fragile, sortie de la dictature américaine il y a seulement 35 ans. A la déstabiliser durablement.

Car lorsque les recettes fiscales s'effondrent, on doit bien sûr de nouveau couper dans les dépenses. Il faut être bête comme un libéral - ces gens-là, comme les émigrés de la Révolution française, ne comprennent ni n'apprennent jamais rien -, pour ne pas se rendre compte que ce qu'on est en train d'enclencher aujourd'hui en Grèce, demain en Europe, c'est une ravageuse spirale déflationniste. Une spirale de pauvreté, de misère, de troubles politiques - une logique criminelle de guerre ?

Tandis que, dans le même temps, l'Europe n'est pas même capable de taper du poing sur la table, à Ankara, pour que cessent les agressions, les menaces et les provocations turques, permanentes, qui forcent la Grèce à devoir assurer la charge d'un budget militaire disproportionné dont, il est vrai, les marchands d'armes européens et américains sont les principaux bénéficiaires.

Prenons garde seulement que les peuples ne se laisseront pas indéfiniment matraquer, humilier, insulter, priver de toute souveraineté effective et de démocratie autre que formelle.

Nous étions tous jadis des Juifs allemands ; nous sommes tous, aujourd'hui, des Grecs en devenir !

mardi 4 mai 2010

Festival In&Out (3) - L'Arbre et la forêt

J'avais adoré Drôle de Félix, randonnée libertine, ouverte à tous les possibles, d'un jeune beur dieppois à la sensualité rayonnante, traversant la France à pied pour rencontrer son père. Je l'avais adoré aussi, parce que ce n'est pas le but qui compte, mais le chemin dont on jouit. Toute une philosophie de la vie.

J'avais adoré Coquillages et crustacés, vu chez de chers amis un premier janvier, au coin d'une cheminée crépitante : une seconde fois, je me sentais en parfaite communion avec Olivier Ducastel et Jacques Martineau, avec l'impression qu'ils veulent filmer les pédés comme j'essaye de les écrire. Peut-être est-ce une question de génération - à 4 ou 5 ans près, nous avons le même âge.

Aussi quand j'ai appris qu'ils sortaient un film "sur" la déportation homosexuelle, ai-je eu très peur. D'autant plus après avoir entendu les critiques contrastées du "Masque et la plume", je crois.

Pendant trois ans, j'ai été juré dans un prix de la nouvelle créé par les promoteurs de la Journée mondiale contre l'homophobie, et pendant trois ans, toutes les nouvelles (il y en eut beaucoup) portant sur la déportation homosexuelle ont été mauvaises.

Non qu'elles fussent mal écrites. Elles n'étaient pas des nouvelles, mais des mises en fiction, à peine, du témoignage incroyablement bouleversant de Pierre Seel, recueilli naguère par Jean Le Bitoux, fondateur récemment disparu d'un Gai Pied dont l'équivalent, de notre époque, manque tant. Ou bien des remake à peine maquillés de ''Bent'' ; elles n'échappaient jamais à une orgie descriptive de violences et de tortures. Elles me laissaient toujours dans un profond état de malaise, incapable de me déprendre de l'impression qu'il y avait dans ces mots décrivant la violence et la torture, comme une manière... de complaisance, au mieux ; de fascination, au pire.

Et puis la question est marquée aujourd'hui par un tel confusionnisme... je ne veux pas ici rentrer dans le jeu des chiffres et de la concurrence des victimes. Les victimes sont toutes égales, quel que soit le motif pour lequel elles l'ont été d'un système monstrueux. Il n'est pas nécessaire, comme, je crois, ces nouvellistes en herbe en éprouvaient l'impérieux besoin, de s'appesantir sur la cruauté des bourreaux pour démontrer l'innocence des victimes.

Quant aux chiffres... Il y a tant de confusion sur la question (voir mon développement dans le billet précédent sur l'histoire et la mémoire) ! Disons pour faire simple que, en attendant qu'on me prouve le contraire, les homosexuels déportés pour homosexualité l'ont été au titre du paragraphe 175 (voir mon billet précédent) du code pénal allemand, c'est-à-dire de textes qui ne se sont appliqués qu'à l'intérieur des frontières du Reich. Contrairement au reste de la France - occupée, placée sous le régime de territoires interdits, ou laissés à l'administration de Vichy -, l'Alsace-Moselle fut annexée au Reich, le paragraphe 175 y fut donc appliqué - et c'est à cette situation particulière que Pierre Seel, son compagnon que les SS firent, par jeu, dévorer par leurs chiens, et tant d'autres homosexuels alsaciens ou mosellans durent d'être déportés.

Quant au reste de la France, si des homosexuels y furent déportés, ce ne fut pas en raison de leur seule homosexualité. En la matière, Vichy se borna à relever l'âge de la majorité sexuelle pour les relations homosexuelles. L'homosexualité ne fut donc pas, en France, poursuivie en tant que telle ; elle ne fut pas non plus un discriminant politique : bien des résistants, parmi les premiers, les fondateurs de réseau, les cadres, peut-être le plus illustre d'entre eux étaient homosexuels ; ils ne sont pas entrés en résistance, parce qu'ils étaient homosexuels. Bien des collabos l'étaient aussi, séduits par la plastique des vainqueurs teutons, l'esthétique d'un Arno Brecker ou d'une Leni Rifensthal. Souvenons-nous que Radio Londres en français avait surnommé l'académicien Abel Bonnard, ministre de l'Instruction publique, thuriféraire de Pétain s'il en fut... Gestapette.

Cette époque est rien moins que simple !

Aussi ai-je eu très peur en apprenant que Ducastel et Martineau avaient choisi la déportation homosexuelle comme sujet de leur dernier film. Mais voilà, Ducastel et Martineau sont des bons !

Car L'Arbre et la forêt, qui était projeté au festival niçois de cinéma gay et lesbien IN&Out, auquel j'ai déjà consacré mes deux derniers papiers, sait éviter tous les écueils.

Pas de complaisance : le film commence par la rencontre d'un Guy Marchand magistral et d'un chien loup dans une forêt ; on le voit "visiter" le camp du Struthof où il a été détenu... Pour le reste, tout passe par les mots, les regards, la musique - Wagner que le héros n'a pas voulu laisser à ses tortionnaires. Ce film est très littéraire - ce qui, sous ma plume, ne peut être qu'un compliment : il ne montre rien, suggère et laisse tout deviner.

Pas d'amalgame ni de caricature : Marchand a été libéré du camp. Les homosexuels étaient sans doute parmi les plus durement traités, dans les camps. Ils pouvaient mourir à tout instant, à cause de l'arbitraire, du caprice de tel ou tel des tortionnaires tout-puissants - comme le compagnon de Pierre Seel. Mais ils n'étaient pas voués à l'extermination, comme les Juifs ou les Tsiganes.

Dans la logique pathologique du nazisme, il s'agissait non d'êtres à éliminer mais de pervers à "rééduquer" - ainsi que l'ont précisé Ducastel et Martineau lors du débat qui a suivi la projection. Pierre Seel, après avoir vécu le pire, fut libéré et enrôlé de force parmi les Malgré Nous, envoyé combattre le bolchevisme.

Ce film est une pleine réussite, d'abord par son scénario, par la tension dramatique qu'il installe, par la justesse de ce parcours de vie accidenté, puis dissimulé, aux siens, à ses enfants et petits-enfants, qu'il révèle - tellement caractéristique d'une époque, pas seulement de la guerre, mais de l'avant et de l'après.

Il est aussi une pleine réussite parce qu'il est servi par une distribution épatante (la première scène de famille nous a fait peur, à Frédéric et moi, elle nous a semblé sonner faux, à côté ; impression vite oubliée tant, ensuite, chacun des comédiens joue à merveille sa partition). Marchand et ses airs, parfois, de Mitterrand sur le retour, est au-delà du sympathique ou de l'antipathique ; ses yeux, ses silences, ses provocations disent bien plus que n'importe quelle image par quelle machine à déshumaniser il est passé, que personne ne peut sortir indemne d'une telle machine. Françoise Fabian est incroyable d'humanité, Catherine Mouchet enfin, campe avec un talent fou un personnage ironique et tendre, mais tout les autres sont également impeccables.

Bref, ce fut une excellente soirée niçoise, une de plus !