Il y a depuis deux jours des signes qui vont tous dans le même sens : une politique de rupture avec celle qui a conduit le peuple grec à la catastrophe économique et humanitaire, conduite par l'Europe sous la conduite de la schlag déflationniste absurde et criminelle d'une Allemagne autiste, convaincue de sa vertu.

Voici les premières décisions annoncées : arrêt immédiat de la privatisation du Piréeet et du port de Thessalonique, réembauche des femmes de ménages et des fonctionnaires licenciés sur ordre de la Troïka, octroi de la nationalité aux enfants d'immigrés, rétablissement de l'électricité chez les foyers en détresse, seconde chance aux étudiants qui ont échoué à leurs examens parce qu'ils étaient obligés de travailler, suppression des deux examens d'entrée dans l'enseignement supérieur, vieil obstacle à la démocratisation de ce dernier, rétablissement du salaire minimum à 751 euros avec effet immédiat « pour atténuer la crise humanitaire dans le pays »...

Ca va vite et fort !

Tsipras n'est pas un traître à la Hollande/Macro,/Sapin et consort... Et tous ceux qui bêlent depuis deux deux jours contre l'entrée des Grecs indépendants dans la coalition, en confondant à dessein ce parti démocratique et souverainiste avec un parti semi-fasciste (alors que c'est le parti de droite au pouvoir hier dans le protectorat merkellien, avec les socialistes, qui est truffé de partisans d'une radicalisation autoritaire et parafasciste... ce qui, curieusement, ne gênait personne jusqu'à dimanche), en sont déjà pour leurs frais d'ignorance de la situation grecque. Ces annonces, comme la composition du Gouvernement hier, portent la marque de la justice sociale et de l'humanisme.

Les deux questions qui se posent à mes yeux sont :

1/ Syriza ira-t-il au bout de la logique ou cédera-t-il aux pressions, intimidations des oligarques euro-allemands et des spéculateurs qui, de manière très prévisible, se déchaînent depuis ce matin ?

2/ Le nouveau Gouvernement a-t-il conscience qu'aucune "autre politique" n'est possible dans la cage de fer, dans le carcan de l'euro ?

Comme je ne crois nullement que Merkel sortira de son autisme aussi stupide que criminel et qu'elle acceptera les réformes nécessaires pour que l'euro soit viable, cesse d'enrichir les riches (l'Allemagne et l'ex zone mark) et d'appauvrir tous les autres - réformes qui seraient de toute façon électoralement suicidaires pour elle -, j'espère que Tsipras et son équipe sont conscients qu'il faudra gérer un retour forcément chaotique à la drachme, condition à mes yeux indispensables à un rebond de l'économie grecque, comme il l'est pour l'Italie, l'Espagne, le Portugal, la France.

J'espère qu'ils commencent dès aujourd'hui à préparer ce retour, techniquement, car on ne peut pas aller à une négociation aussi capitale en ayant qu'une option : trouver un accord très improbable avec l'autisme merkellien. C'est ce qui a signé, en 2009, l'arrêt de mort de Papandréou. Car si on n'a pas d'autre option dans une négociation, on se met forcément dans la situation de devoir accepter le Diktat de celui qui est en face et qui sait que vous n'avez pas d'autre option.

Cette épreuve de force-là, c'est Hollande qui aurait dû l'engager dès son élection. Mais il a immédiatement trahi et capitulé sans combattre. C'est dommage parce que cela a fait perdre beaucoup de temps à tout le monde, mais c'est ainsi.

Aujourd'hui c'est à Tsipras de le faire, dans des conditions beaucoup moins favorables, mais Thémistocle et les Athéniens ont arrêté l'immense Empire perse à Salamine, les Grecs ont battu en Albanie les fascistes mille fois mieux armés en 1940-1941, Glézos a décroché la croix gammée de l'Acropole... la puissance n'est pas tout en histoire ; c'est toujours la volonté politique du plus résolu qui prime. Le faible n'est ni désarmé ni vaincu d'avance devant le fort.

J'espère donc ardemment que Tsipras ne calera pas, qu'il ne capitulera pas, qu'il sortira de l'euro s'il le faut, ce qui aurait l'immense avantage de nous débarrasser enfin de cette monnaie puissamment dysfonctionnelle. Car je ne doute guère qu'il y ait un effet domino : la réévaluation brutale qu'entraînerait une sortie de la Grèce sera insupportable pour l'Italie, l'Espagne, le Portugal, la France... Et une fois qu'on aura liquidé cette monnaie d'oligarques pour une Europe d'oligarques, on pourra enfin parler de restauration de la démocratie - la politique économique n'étant plus dictée par une monnaie imbécile ou des traités, mais revenant dans le champ du débat démocratique et de la souveraineté populaire - et d'Europe des peuples.