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samedi 13 juillet 2019

Un conseil de lecture : Fabrice Grimal, Vers la révolution. Et si la France se soulevait à nouveau ?

Du livre de Fabrice Grimal, Vers la révolution. Et si la France se soulevait à nouveau ? (Éd. Jean-Cyrille Godefroy, 2018, 341 pages, 24 €), il faut dire d’abord qu’il est sorti au printemps 2018, et qu’il a donc été écrit bien avant le déclenchement de la crise des Gilets jaunes. Ce qui témoigne d’une singulière clairvoyance sur l’état de la société française.

La deuxième chose qu’il faut préciser, c’est qu’il n’est pas de ces produits éditoriaux, si nombreux à encombrer les tables des libraires, dont on a tout oublié dans l’heure après qu’on les a refermés et qu’on peut revendre sur un site d’occasion sans le moindre regret. Le livre de Grimal au contraire pose tant de questions, soulève tant de lièvres, excite sur tant de points la réflexion qu’il faut y revenir, le rouvrir, corner, souligner, relever telle ou telle référence de lecture complémentaire dans lesquelles il nous donne envie de nous plonger. C’est même le principal reproche qu’on peut lui faire, un reproche commun à tout auteur de premier livre : vouloir tout dire, sans rien omettre, et parfois avec une profusion de citations, comme si l’on ne se sentait pas encore tout à fait assez légitime pour avancer seul sa réflexion. Reproches bénins, au demeurant, tant l’ensemble du livre est stimulant.

Alors de quoi s’agit-il ? Ni d’un livre de prophète annonçant la lutte finale et l’avènement de lendemains qui chantent, ni d’un bréviaire de la révolution qui serait annoncée. Il s’agit d’abord d’une autopsie méticuleuse de l’état morbide dans lequel se trouvent la France et les Français : dogmatisme et médiocrité des prétendues élites, aveuglement face à l’Union européenne, néolibéralisme, libre-échangisme, dévitalisation d’une démocratie devenue une forme sans contenu, délabrement des appareils syndicaux rongés par la connivence… sur chaque dossier le diagnostic est aussi étayé qu’implacable.

En trois parties et quatorze chapitres, Fabrice Grimal étudie d’abord l’actualité du concept de révolution, pourquoi le changement brutal de l’ordre politique par un mouvement populaire redevient une possibilité. Il se pose ensuite la question des fins que devrait se fixer aujourd’hui un mouvement révolutionnaire, qu’il s’agisse de la réhabilitation de la nation – lieu de toutes les conquêtes démocratiques et sociales qui sont aujourd’hui en voie de liquidation par et au nom de l’Europe –, de la réappropriation de la monnaie dont la gestion a été abandonnée aux banques privées sous prétexte de banque centrale indépendante, de l’indispensable remise en cause du libre-échange et de la réinvention d’un protectionnisme adapté au monde d’aujourd’hui, de la reprise en main des biens communs abandonnés au privé…

Enfin la troisième partie se fait prospective, tentant d’évaluer les chances/risques d’une explosion, les forces de rappel et celles qui peuvent contribuer à la transformation (qui n’a pas abouti lors du mouvement des Gilets jaunes) d’un soulèvement en révolution.

Bien sûr, tel argument ou telle analyse peuvent ne pas emporter l’adhésion, susciter une distance critique. Mais l’important n’est pas là ; l’important est dans le mouvement général de ce livre, dans le tableau de la réalité qu’il peint et dans la perspective qu’il dessine du caractère non soutenable de cette réalité qui rend possible (ou probable, ou certain ?) un de ses spasmes qui changent la face du monde en changeant celle de la France.

Enfin, et ce n’est pas le moins séduisant dans ce livre, un épilogue nous présente sous la forme du journal d’un blogger, en juillet 2023, ce que pourrait être un scénario aboutissant à la déposition de Macron.

Précisons encore, pour terminer, que Fabrice Grimal n’a pas atteint la quarantaine, qu’il a été formé à l’ESSEC et appartient au monde de l’entreprise… Qu’un tel livre soit écrit par un tel homme est pour moi une source d’espoir, l’auteur nous apportant ainsi la preuve que le formatage n’est jamais qu’une gangue qu’on aurait tort de croire indestructible.

mardi 9 juillet 2019

Des élections pour rien, encore et encore...

Dimanche ont eu lieu les législatives grecques qui ont licencié Alexis Tsipras. Et contrairement à ce que pensent certains, qui trouvent élevé le score de Syriza, ce vote sanction est extrêmement net et le score obtenu par ce parti un des plus bas du premier parti d'opposition dans toute l'histoire électorale de la Grèce depuis le rétablissement de la démocratie en 1974. Ajoutons que la participation a baissé de 6 % entre janvier 2015 et juillet 2019. Entre ces deux élections Syriza a donc perdu 21% de ses voix et se retrouve, en voix, juste un peu au dessus de ce qu'il réunissait en juin 2012, alors que ces voix représentaient 26,89% mais avec une participation de 62,49% au lieu de 57,92 % hier.

Il faut se garder - toujours - de comparer les choux et les carottes. Des élections grecques n'ont rien à voir avec des élections françaises et voici quelques-unes des raison qui expliquent pourquoi.

Rappelons aussi qu'on est en système proportionnel, avec des déplacements de voix généralement très limités.

Ensuite la Grèce est un pays très fortement polarisé entre droite et gauche du fait de son histoire, et notamment de la guerre civile de 1946-1949. Les familles de droite votent à droite et les familles de gauche votent à gauche (on parle ici d'étiquettes, pas de contenu...). Il est très difficile de transgresser ces traditions et notamment, quand on est d'une famille de gauche qui se vit (longtemps à raison) comme persécutée, il est quasiment impossible de changer de camp.

Aucune alternative crédible n'étant apparue à gauche, malgré la relative percée de Varoufakis, et malgré un léger mieux du PASOK (je parle toujours d'étiquetage à gauche, pas de contenu !), il est donc naturel que les électeurs de gauche mécontents de Syriza se soient abstenus, ou soient malgré tout allés voter Syriza pour empêcher un triomphe trop large de la droite dont le chef est à lui seul un puissant repoussoir.

Voilà pour la mise au point. Sinon, pour une analyse qui porte davantage sur les raisons du vote de dimanche, vous pouvez lire la tribune que m'a demandée ''Marianne'' et qui est parue hier sur son site.

Vous pouvez également écouter cette chonique-entretien de La Première la Radio publique suisse sur le retour, en la personne du nouveau Premier ministre grec, d'une des principales dynasties politique grecques au pouvoir. Frédéric Mamais, qui a eu la gentillesse de me dire qu'il avait lu avec passion les trois tomes de La Grèce et les Balkans pour La Première de la radio suisse, a bâti cette chronique autour d'une conversation que nous avons eue la veille des élections. C'est bien sûr toujours un peu frustrant, parce que le montage, indispensable, provoque des raccourcis qui gomment un peu la complexité du propos (j'ai bien dit que le clano-clientélisme revient en force dês qu'on affaiblit l'Etat, pas vraiment que les dynasties l'ont modernisé, même si les fondateurs de deux d'entre elles, Venizelos et Karamanlis, ont bien joué ce rôle), mais l'essentiel y est...

Enfin, hier soir, j'ai été interviewé dans le journal de 20h00 de RFI par Aurélien Devernois, qui reprend quelques-uns de me propos dans un article de son site, lui même repris sur un site anglophone. Je n'ai pas pour l'instant le son de cet entretien, mais je devrais pouvoir le mettre en ligne dans la journée.

Pour finir, ajoutons enfin que la victoire d'hier pourrait être assez rapidement remis en cause. Le mandat de l'actuel président de la République, Prokopis Pavlopoulos, échoit le 13 mars 2020. Issu du parti de droite Nouvelle Démocratie, il avait été choisi par Syriza dans le but de faire montre de son absence de sectarisme. En principe, il peut faire un second mandat, mais...

Ce sont les députés qui élisent le président de la République hellénique. Au deux premiers tours, la majorité des deux tiers (200) est requise; au troisième, la majorité des trois cinquièmes (180). Si la majorité requise n'est pas dégagée au 3e tour, l'Assemblée est automatiquement dissoute. C'est même ainsi que Syriza avait provoqué, fin 2014, la dissolution de la chambre élue en juin 2012 et dont le mandat ne s'achevait donc qu'en juin 2016.

Or, avec 158 députés, la Nouvelle Démocratie est loin des 180 voix nécessaires. Tout dépendra donc du PASOK et de ses 22 députés qui permettraient tout juste d'atteindre la majorité requise au 3e tour... Et tout dépendra donc de la conjoncture économique et politique. Si elles sont mauvaises - ce qui est prévisible ! - ou exécrables - ce qui est probable -, Syriza peut espérer se refaire des plumes dans un nouveau scrutin législatif en refusant, comme en 2014, toute solution de compromis. Et le PASOK peut espérer revenir avec quelques députés supplémentaires qui lui permettraient, si la droite et Syriza se retrouvaient dans un écart plus resserré et sans majorité absolue, jouer les arbitres. Dans ce cas, de nouvelles élections législatives pourraient bien avoir lieu dès leprintemps prochain.