OD

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

jeudi 31 mai 2018

La Marche sur Rome...

En suite de mon post d'hier, le député au pseudo-parlement européen MarKus Ferber, social chrétien bavarois, vient de déclarer qu'en cas d'insolvabilité de l'Italie, "la Troïka devrait marcher sur Rome pour y prendre le contrôle du ministère des Finances"... comme après la chute de l'allié Benito en 1943, en somme.

Actualité de la chute de Constantinople

Avant-hier était le 565e anniversaire de la chute de Constantinople aux mais des Turcs ottomans. A cette occasion, l'Agence de presse grecque Athènes Macédoine m'a demandé de répondre à quelques questions. L'entretien, traduit en grec, a été repris sur de très nombreux sites, dont celui du Huffingtonpost.

Le voici en français.

"1) Quel a été l’impact de la Chute de Constantinople en Occident ?

Bien avant cette chute, l’apparition d’Etats serbe et bulgare revendiquant eux aussi la dignité impériale, c’est-à-dire une prétention universelle, les guerres civiles internes à Byzance, la Peste noire ont installé une crise à la fois politique, démographique, économique, sociale. C’est dans ce contexte que des factions byzantines faisant appel aux Turcs les installent sur la rive européenne des Dardanelles, des Turcs qui, au tournant des années 1370, isolent Constantinople des Balkans et auquel, neuf ans plus tard, le Basileus doit payer tribut. Dès lors, l’expansion turque se poursuit vers le Nord comme vers la Grèce continentale. La chute de Constantinople n’est donc pas une surprise en Occident.

Quant à la réunification des Eglises d’Orient et d’Occident, dont plusieurs empereurs ont pensé qu’elle permettrait de sauver l’Empire, elle échoue sur des exigences du pape inacceptables pour une grande partie du clergé et du peuple byzantins. Et la dernière Croisade occidentale contre les Turcs se termine par leur victoire, à Varna, en 1444. Durant le siège, des Occidentaux se battent au côté des assiégés, mais les Génois de Péra ménagent l’avenir en refusant de prendre les armes, et le pape ne dépêche que trois navires de secours. En réalité, c’est dans l’indifférence de l’Occident que tombe Constantinople.

En revanche le reflux vers l’ouest d’intellectuels byzantins et de leurs bibliothèques qui accompagne la progression turque jouera un rôle essentiel dans la Renaissance occidentale, l’apprentissage du grec par les premiers humanistes, la découverte de textes de l’Antiquité ou leur lecture dans leur langue originelle.

2) Si la Chute de Constantinople n’avait pas eu lieu, quel aurait été le sort supposé de la Grèce, de Chypre et des Balkans dans le paysage européen aujourd’hui ?

Même si je suis romancier, en plus d’être historien, je ne me risquerai pas à reconstruire une autre histoire avec des « si ». La chute de Constantinople n’a été que l’aboutissement d’un double processus qui commence à la fin du XIe siècle. D’abord le Basileus cesse progressivement d’être le défenseur des humbles – ce qui affaiblit le patriotisme de ses sujets – au profit des puissants auxquels il concède terres et privilèges fiscaux. Cette évolution conduit à la fois à l’affaiblissement du pouvoir impérial face à ces puissants, à son appauvrissement accentué par la multiplication des dons aux monastères eux aussi exonérés d’impôts, et à la substitution au lien « affectif » entre les humbles et le Basileus, d’un lien de dépendance entre ces humbles et les puissants. La deuxième évolution est extérieure : elle conduit le Basileus à s’en remettre de plus en plus, pour obtenir les moyens financiers dont le privent les exemptions fiscales qu’ils a concédées, aux cités marchandes italiennes qui, en retour, obtiennent des privilèges douaniers et commerciaux. Mais ceux-ci diminuent d’autant les recettes de l’Empire tout en ruinant les commerçants byzantins. Il est donc bien difficile d’imaginer quand et comment ces processus auraient pu être interrompus et ce qu’il en aurait résulté.

En revanche ce qu’on peut remarquer, sans qu’on puisse jamais parler de répétition en histoire, ce sont certains parallèles avec la situation actuelle de la Grèce : sous-fiscalisation des catégories les plus favorisées, affaiblissement du lien de confiance en l’Etat des Grecs qui estiment avoir de moins en moins de protection et de services en échange d’impôts de plus en plus lourds, perte de la souveraineté économique et mise en tutelle de cet Etat par une autorité étrangère – en l’occurrence l’Union européenne.

3) Vous écrivez dans l’introduction de votre livre que « Byzance demeure singulièrement absente de nos imaginaires et de nos écrans ». Pour quelle raison pensez-vous que ce pan de l’Histoire byzantine et grecque n’est-il pas ou peu abordé en France et de manière générale en Europe de l’ouest ? et quel est l’impact de cette absence pour la place de la Grèce, des Balkans et de Chypre en Europe, aujourd’hui ?

Alors que l’histoire byzantine est éminemment romanesque, que certains personnages pourraient faire des héros rêvés de séries télévisées historiques, très peu de romans s’inspirent de cette histoire dans le monde occidental, et elle est totalement absente de nos écrans. Comme de nos manuels scolaires : les mille ans d’histoire et de culture byzantines, leur influence déterminante sur la Renaissance occidentale, y sont quasiment ignorés, alors que l’héritage arabo-musulman est valorisé – voire surévalué.

Pour moi, il y a là un legs de la vision négative de long terme née de la rupture entre Eglises d’Occident et d’Orient. Pour Pétrarque, et nombre de clercs ou d’intellectuels occidentaux qui ont façonné la perception de Byzance à l’ouest de l’Europe, les schismatiques grecs sont pires que les ennemis turcs. On refuse de voir que les siècles de harcèlement par les Normands d’Italie du Sud et de Sicile, la politique de Venise et de Gênes ont pesé d’un poids déterminant dans son affaiblissement face à la montée du danger turc : il faut attendre 2001 pour qu’un pape reconnaisse la catastrophe qu’a constituée le sac de Constantinople par les Occidentaux en 1204, début d’une entreprise de type colonial - l’Empire latin - d’un peu plus d’un demi-siècle.

Ce rejet de Byzance, à l’ouest, hors de la mémoire collective européenne explique en partie les différences de traitement réservé aux régimes croate et serbe, pourtant très semblables, lors des guerres de sécession yougoslaves, à la Bulgarie et à la Roumanie, par rapport aux Etats catholico-protestants d’Europe du nord et centrale, dans le processus d’adhésion à l’UE, ou la brutalité et les humiliations de la mise en tutelle de la Grèce depuis bientôt dix ans, accompagnée par un discours écrasant des medias occidentaux utilisant, à l’égard des Grecs, des stéréotypes proches du racisme qui traînent dans la culture occidentale depuis des siècles.

Fondamentalement, dans les représentations occidentales, la matrice de l’Union européenne reste l’Empire de Charlemagne et un club catholico-protestant qui regarde au mieux avec condescendance, souvent avec mépris, les Européens du Sud-Est de tradition orthodoxe, sommés de devenir des Occidentaux (pour ne pas dire des Allemands !) s’ils veulent être tenus pour de « vrais » Européens – impérialisme culturel qui se nourrit aussi du désir des Européens du Sud-Est d’être enfin reconnus comme tels.