Excusez-moi encore de me citer mais voilà, pour ma part, l’expo à laquelle je rêvais, sur ce sujet, dans L’Or d’Alexandre.

« Marion avait déjà établi un précatalogue des oeuvres dont elle espérait pouvoir obtenir le prêt ; elle avait aussi travaillé sur la structure de l’exposition qui aurait dû comprendre quatre sections. La première aurait retracé le déménagement des collections nationales et leur acheminement plus ou moins rocambolesque vers une multitude de châteaux — comme celui de Montal, en Quercy, où la Joconde séjourna quelque temps sous le lit de son conservateur —, de musées ou d’abbayes du sud de la France.

La deuxième aurait été dédiée aux grands collectionneurs juifs d’avant-guerre : Rothschild, Alphonse Kann, Wildenstein, Edmond Obadia-Nassi, David-Weill, Berheim-jeune…, à la genèse et à la composition de leurs collections.

Quant à la troisième, elle aurait été consacrée au système de spoliation allemand. Marion désirait y présenter des pièces destinées au gigantesque musée dont Hitler avait décrété la création dans sa chère ville de Linz, et pour lequel il avait choisi l’honorable Doktor Hans Posse, ancien directeur du musée de Dresde, comme receleur en chef, avec droit de préemption sur les chefs-d’oeuvre razziés dans toute l’Europe. Elle souhaitait également montrer le rôle des prédateurs « privés », avec des œuvres illustrant le goût de ceux qui, chacun selon son rang, étaient habilités à prélever une part du butin : Göring en tête, mais aussi Bormann, Ribbentrop, Speer, le sculpteur Arno Breker… Sans oublier les marchands d’art, indispensables intermédiaires des nazis pour leurs opérations sur le marché international, indicateurs des planques de collections trop bien mises à l’abri, charognards profiteurs de l’aryanisation ou acheteurs à vil prix aux persécutés pour revendre à prix d’or aux bourreaux (1941-42 furent, à Drouot, les meilleures années depuis le début du siècle) — tous s’étant réunis en conclave, courant janvier 1945, pour décider de ne fournir aucun renseignement à l’administration française, afin d’obvier à toute velléité de poursuite, saisie ou sanction financière.

C’est aussi dans cette partie centrale de l’expo qu’on devait faire comprendre au visiteur le rôle qu’avait joué Rose Valland, seule face à la machine de l’ERR. Marion avait prévu que des toiles récupérées après guerre grâce aux fiches de la conservatrice espionne seraient accrochées en fonction de la nomenclature établie par l’ERR: celles, classiques, que les nazis s’appropriaient ; celles qu’ils jugeaient « dégénérées » (Courbet, Manet, Renoir, Degas, Monet, Matisse, Braque, Dufy, Laurencin, Bonnard, Vuillard…) mais néanmoins dignes d’être échangées contre des toiles de la première catégorie, ou bien vendues sur le marché international — principalement en Suisse — au profit des finances du Reich millénaire ou de comptes à numéros qui pourraient se révéler utiles si jamais ledit Reich venait à ne pas durer tout à fait mille ans. Et puis celles de la dernière catégorie (plus d’un demi-millier), pour lesquelles il n’existe plus que des documents de seconde main puisque, trop juives ou trop dégénérées, les nazis avaient estimé qu’elles ne méritaient même pas d’être négociées et les avaient détruites en juillet 1943.

La dernière section de l’expo devait être consacrée aux milliers d’œuvres artistiques disséminées dans une Europe à feu et à sang, entre retraite allemande et avance alliée. Il y avait les trésors dont la sauvegarde dépendit en dernier ressort du courage des conservateurs qui en avaient la charge : André Chamson, Germain Bazin, Michel Martin, René Huyghe, philosophe de l’art devenu officier FFI, ou Gérald Van der Kemp qui, fleur à la boutonnière et canne à la main, parvint au dernier carat à empêcher un capitaine de la division Das Reich (celle des pendaisons de Tulle et du massacre d’Oradour) de brûler le château de Valençay, sauvant ainsi la Victoire de Samothrace, quelques dizaines d’autres chefs-d’oeuvre et sa propre vie. Il y avait ceux que Rose contribua à préserver en indiquant au commandement allié où se trouvaient un certain nombre des dépôts de l’ERR vers lesquels les pièces passées par le Jeu de Paume avaient été dirigées et qui, grâce à cela, ne furent pas bombardés. Les dizaines de milliers d’objets d’art, de peintures, statues, livres précieux, meubles anciens, bijoux, etc. que, au fur et à mesure de l’avance alliée à travers le Reich dévasté, la MFAA découvrit dans une infinité de caches : châteaux de Louis II de Bavière, couvents ou mines de sel du Salzkammergut autrichien.

Enfin, il y avait ces centaines de merveilles qui n’ont jamais reparu. Ici un Titien, là un Vinci, ailleurs un Raphaël ou le cabinet d’ambre de Leningrad, tant d’autres : détruits ? ou « entrés » discrètement dans des collections privées dont ils ne sont plus ressortis ? Les toiles de la collection Bernheim-jeune : brûlées, en mars 1944, dans l’incendie du château de Rastignac en Dordogne ? ou entassées juste avant dans des camions par les SS ? Celles du Jeu de Paume que l’ERR avait déposées au château de Nicolsbourg /Mikulov, en Moravie : anéanties par l’artillerie soviétique en avril 1945 ? ou emportées par l’Armée Rouge, on ne sait où, comme prise de guerre ? "

À part cela j’ai passé un excellent ouiquende au premier salon du livre de Béziers : le soleil était de la partie , et il n’est pas donné à tout le monde d’avoir un éditeur qui fait le cassoulet aussi bien qu’Olivier Tourtois ! Merci à mes nouveaux lecteurs rencontrés là et, pour leur patience, à ceux qui m’ont écouté présenter L’Or dimanche après-midi.