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samedi 13 septembre 2008

Nisyros, Yourcenar, Benoît XVI, saint Paul et l’éloge de la bêtise (1)

Bon, voilà, ça y est, je suis rentré. Choc thermique. Déjà ras-le-bol de la grisaille. Déjà affamé de lumière.

Parce qu’il y a déjà presque trois semaines que je suis rentré. Mais je n’ai pas pu reprendre ce blog, tout à la rédaction d’un article que je dois rendre lundi à La Documentation française, sur la Grèce depuis le début du XXIe siècle, aux mille choses à régler après deux mois d’absence, à commencer par celles que j’avais laissées derrière moi, en partant, après ce printemps où je n’ai cessé de courir après le temps.

J’aurais tant de choses à écrire sur ces deux mois à Nisyros ! Il n’est pas si courant qu’un rêve de trente ans se réalise et, grâce à mon homme, cette maison qui est désormais à nous, cette cabine de bateau échouée sur la lèvre d’un volcan avec balcon sur l’Égée, c’est bel et bien un rêve de trente ans qui s’est réalisé. Et je ne rêve maintenant que d’y retourner, pour y passer le début de l’année avec mon homme, pour écrire en mai et juin prochains, pour y vivre autant que je peux.

Donc tout fut bien. Nous en avons profité pour marcher, pour le farniente, qui, bien sûr, n’est pas ne rien faire, mais cultiver le temps qui passe avec amour, pour jouir de la mer, pour se gaver de figues et en faire quelques bocaux de confites, pour boire l’ouzo en regardant de notre balcon les côtes de l’immense Asie hostile se nimber d’un incroyable rose, s’enfoncer dans un sfumato à rendre dingues tous les maîtres de la Renaissance…

Nous en avons profité pour nous couper du monde : j’ai dû parcourir trois fois Le Monde en deux mois. Et ça fait un bien fou : on a soudain l’impression que les conneries de Sarko, les crimes de Bush ou les contorsions de Jack Lang relèvent d’une autre dimension. L’impression… Il y a Internet bien sûr, mais Internet au café Internet de Mandraki, face à la mer et un ouzo à la main (on a fait que picoler ? « que », non, mais on a bien picolé, oui et alors ?!), ce n’est plus vraiment Internet !

Bon, c’est vrai, on n’a pas coupé tous les ponts non plus, et on a arrosé dignement le passage de L’Or d’Alexandre à La Fabrique de l’histoire, sur France Culture, ainsi que l’entretien de deux pages que Marc Alpozzo a réalisé pour ''Le Magazine des livres'' de la rentrée littéraire – deux pages dont l’ami Gérard (le pacsé du trottoir) nous a immédiatement envoyé le scan.

J’en ai surtout profité pour me remettre à écrire – je suis rentré avec trente pages ; pour me remettre à lire, enfin, après tant de mois où le temps a manqué, où l’esprit refusait de se laisser circonvenir, toujours pris par les urgences, les déplacements, les soucis parasites. À dévorer. Peut-être, si j’en ai le courage, dans les semaines qui viennent, publierai-je quelques notes sur ces lectures estivales. La plus marquante, je la dois à un très cher ami, un certain Philippe-Jean : mais comment un roman de Yourcenar, le dernier, avait-il pu m’échapper jusqu’à aujourd’hui ? Je n’en suis pas encore revenu : Un Homme obscur, si vous ne l’avez pas encore lu, lâchez tout et courez l’acheter.

Ainsi des pages 53 et 54 (dans l’édition Folio) : « Oui ces paraboles nées dans les champs ou sur les bords d’un lac étaient belles ; une douceur s’exhalait de ce Sermon sur la Montagne dont chaque parole ment sur la terre où nous sommes, mais dit vrai sans doute dans un autre règne, puisqu’elle nous semble sortie du fond d’un Paradis perdu. Oui, il aurait aimé ce jeune agitateur vivant parmi les pauvres, et contre lequel s’étaient acharnés Rome avec ses soldats, les docteurs et leur Loi, la populace avec ses cris. Mais que, détaché de la Trinité et descendu en Palestine, ce jeune Juif vînt sauver la race d’Adam avec quatre mille ans de retard sur la Faute, et qu’on allait au ciel que par lui, Nathanaël n’y croyait pas plus qu’aux autres Fables compilées par des doctes. Tout allait bien tant que ces histoires flottaient comme d’innocentes nuées dans l’imagination des hommes ; pétrifiées en dogmes, pesant de tout leur poids sur la terre, elles n’étaient plus que de néfastes lieux saints fréquentés par les marchands du Temple, avec leurs abattoirs à victimes et leur cour des lapidations. »

Ah ! Marguerite… En entendant le pontifiant pontife, tout à l’heure aux infos, je me suis rué sur son Homme obscur pour relire ce passage qui colle si bien à ce vieillard engoncé dans ses surplis aussi amidonnés que sa pensée.

A l'intention de ceux qui veulent savoir pourquoi… ce billet à une suite.

Nisyros, Yourcenar, Benoît XVI, saint Paul et l’éloge de la bêtise (suite et fin)

Déjà hier, notre très catholique président (ça ne doit pas être facile tous les jours pour ce grand catholique, que l'Église qu’il aime tant et qui définit mieux que les instits le bien et le mal, d'être condamné sans appel et interdit de Sainte Table pour ses deux divorces !) m’a fait grimper au lustre avec sa laïcité, ouverte, ou rénovée, ou modernisée, on ne sait plus. Il n’y a qu’une sorte de laïcité : celle qui refoule la religion hors de la cité, celle qui lui interdit d’interférer dans l’État ; celle qui la tient étroitement cantonnée au domaine du privé. Et cette laïcité-là, depuis que Jack Lang a permis aux financements de l’enseignement confessionnel d’exploser, on l’a déjà bien trop ouverte, rénovée, modernisée… on l’a surtout bien trop violée.

Et pourtant ce matin l’inénarrable et pontifiant pontife a battu notre Sarko national dans les grandes largeurs ! Au passage, il faudrait exiger une bonne fois des médias qu’ils arrêtent de se comporter à l’égard de ce type, qui n’est ni saint ni père, comme s’il était le directeur de conscience des Français : il y avait deux cent mille Français ce matin aux Invalides, et alors ? est-ce parce que le PC est toujours capable d’organiser la Fête de l’Huma que son existence signifie encore quelque chose ?

Mais revenons à Benoît et à cette première épître aux Corinthiens du sinistre Paul de Tarse dont il fit ce jour d'hui le laborieux commentaire de texte devant une foule ébaubie. Les lecteurs de La Quatrième Révélation savent ce que je pense de Paul : il est le fondateur de tous les totalitarismes, parce qu’il a fondé le premier. Dans l’épître en question (6, 10), précision destinée à tous ces pédés qui se veulent ou se croient chrétiens, notre zélateur du Dieu d’amour et de miséricorde, dont toutes les épîtres transpirent la haine et suent l’anathème, nous informe, entre autres joyeusetés, que « ceux qui se livrent à la débauche, adorent les idoles, pratiquent l’adultère, les mous efféminés et les mâles qui se vautrent avec des mâles dans le même lit, les voleurs, les avaricieux, les ivrognes, ceux qui blasphèment et font preuve de cupidité, aucun de ceux-là n’héritera du royaume de Dieu », avant de préciser, dans celle aux Romains (I, 26-32) que lesdits mous efféminés et mâles se vautrant etc., « méritent la mort ». Dieu d’amour et de miséricorde…

Bref, ce soi-disant grand intellectuel qu’est Benoît XVI n’en avait pas après ces mâles-là aujourd’hui, mais après les idoles, ce qui, on en conviendra, est d’une actualité brûlante.

Ironie facile diront certains, car l’exégèse c’est justement de nous dire ce que Paul n’a pas dit et de cacher ce qu’il a dit mais qui gêne parce que c’est monstrueux, en faisant croire que les idoles qu’ils dénoncent en cachent d'autres, que ses prurits d'intolérance n'en sont pas et que ses élucubrations émises devant des païens généralement confondus par tant de bêtise, par un type persuadé que le Jugement dernier est pour demain ont encore le moindre sens dans le monde d'aujourd'hui. Soit. Mais alors quelle est cette actualité ? Écoutons Benoît :

« L’argent, la soif de l’avoir, du pouvoir et même du savoir n’ont-ils pas détourné l’homme de sa Fin véritable, de sa propre Vérité ? »

Autrement dit, soyez cons et ignares et vous serez sauvés. Bien sûr, tous les médias vont relever que la pape a condamné le capitalisme sauvage – l’argent et la soif de l’avoir –, aucun ne relèvera l’ironie qu’il y a à condamner la soif du pouvoir devant le très catholique Sarko.

Mais la soif du savoir qui détourne l’homme de sa Fin véritable et de la Vérité ?

On savait déjà que l’arbre de la Connaissance est à l’origine de tous les malheurs de l’humanité. On savait aussi qu’heureux les simples d’esprit… et qu’il vaut mieux chanter « des psaumes, des hymnes, des chants inspirés » (Paul, épître aux Colossiens, 3, 16-17) que se « laisser ravir par la philosophie, vaine supercherie » (Idem, 2,8), qu’il vaut donc mieux prier et croire que chercher à savoir. On savait encore que la très chrétienne Sarah Palin (elle me plaît beaucoup, celle-là aussi ! vous allez voir qu'on va regretter Bush de la même façon que Sarko est parvenu à nous faire regretter Chirac...) est une adepte du créationnisme, tellement en vogue chez les plus réactionnaires protestants comme chez les islamistes turcs promis à une entrée dans l’Union européenne, mais dont la forme cultivée, le dessein intelligent, fait sûrement son chemin dans l’Église catholique, sous la houlette de l’archevêque de Vienne, le cardinal Schönborn, et avec la bénédiction du grand intellectuel Benoît.

Maintenant on est fixé : le savoir c’est mal, et c’est Benoît qui le dit. Ça valait le coup de le recevoir en grande pompe et de réunir autour de lui deux cent mille ravis de la crèche, non ?

Bon allez, j’arrête là. Je vais encore me faire engueuler par mon homme qui trouve mes billets trop longs, qui voudrait que j’écrive plus court. J'ai bien essayé de conjurer son ire en coupant ce billet en deux, mais je sais qu'il ne sera pas dupe !

PS : message personnel à Tom Cruise : pardon de ne vous avoir pas répondu, mais je n’ai découvert qu’hier votre commentaire sur un vieux message. Je tâcherai donc de faire un court billet (pour contenter Frédéric) afin d’expliquer pourquoi, à mon avis, le quinquennat sec a totalement dénaturé les institutions de la Ve République.

PPS : je conseille à tous mes lecteurs pédés la lecture du premier ouvrage d’un très bon ami, le professeur gallois A.S. Steelcock : son ''Larry Poppers'' est franchement impayable ! Voir aussi son premier entretien accordé aux Niçois de l'association Polychromes.

PPPS : pour Fabio, dont je viens également de découvrir le commentaire sur un autre message ancien, merci de ce que vous me dites de votre lecture du Plongeon ; quant aux biscuits roses... il y a sans doute des traditions diverses : Frédéric avec qui je vis depuis bientôt 25 ans est Rémois lui aussi. Et la première fois que j'ai été reçu dans sa famille, à Reims... on m'a fait tremper mon biscuit rose dans mon champagne. Voilà, je ne peux en dire plus sur le fait que cette pratique soit ou non hétérodoxe, le fait est que les choses se passèrent ainsi, que les deux vont bien ensemble et que depuis, dès que je me trouve en présence d'un biscuit rose et d'une flûte de champagne, à tort ou à raison, je me fais ce petit plaisir... de tremper l'un dans l'autre.