Bon, voilà, ça y est, je suis rentré. Choc thermique. Déjà ras-le-bol de la grisaille. Déjà affamé de lumière.

Parce qu’il y a déjà presque trois semaines que je suis rentré. Mais je n’ai pas pu reprendre ce blog, tout à la rédaction d’un article que je dois rendre lundi à La Documentation française, sur la Grèce depuis le début du XXIe siècle, aux mille choses à régler après deux mois d’absence, à commencer par celles que j’avais laissées derrière moi, en partant, après ce printemps où je n’ai cessé de courir après le temps.

J’aurais tant de choses à écrire sur ces deux mois à Nisyros ! Il n’est pas si courant qu’un rêve de trente ans se réalise et, grâce à mon homme, cette maison qui est désormais à nous, cette cabine de bateau échouée sur la lèvre d’un volcan avec balcon sur l’Égée, c’est bel et bien un rêve de trente ans qui s’est réalisé. Et je ne rêve maintenant que d’y retourner, pour y passer le début de l’année avec mon homme, pour écrire en mai et juin prochains, pour y vivre autant que je peux.

Donc tout fut bien. Nous en avons profité pour marcher, pour le farniente, qui, bien sûr, n’est pas ne rien faire, mais cultiver le temps qui passe avec amour, pour jouir de la mer, pour se gaver de figues et en faire quelques bocaux de confites, pour boire l’ouzo en regardant de notre balcon les côtes de l’immense Asie hostile se nimber d’un incroyable rose, s’enfoncer dans un sfumato à rendre dingues tous les maîtres de la Renaissance…

Nous en avons profité pour nous couper du monde : j’ai dû parcourir trois fois Le Monde en deux mois. Et ça fait un bien fou : on a soudain l’impression que les conneries de Sarko, les crimes de Bush ou les contorsions de Jack Lang relèvent d’une autre dimension. L’impression… Il y a Internet bien sûr, mais Internet au café Internet de Mandraki, face à la mer et un ouzo à la main (on a fait que picoler ? « que », non, mais on a bien picolé, oui et alors ?!), ce n’est plus vraiment Internet !

Bon, c’est vrai, on n’a pas coupé tous les ponts non plus, et on a arrosé dignement le passage de L’Or d’Alexandre à La Fabrique de l’histoire, sur France Culture, ainsi que l’entretien de deux pages que Marc Alpozzo a réalisé pour ''Le Magazine des livres'' de la rentrée littéraire – deux pages dont l’ami Gérard (le pacsé du trottoir) nous a immédiatement envoyé le scan.

J’en ai surtout profité pour me remettre à écrire – je suis rentré avec trente pages ; pour me remettre à lire, enfin, après tant de mois où le temps a manqué, où l’esprit refusait de se laisser circonvenir, toujours pris par les urgences, les déplacements, les soucis parasites. À dévorer. Peut-être, si j’en ai le courage, dans les semaines qui viennent, publierai-je quelques notes sur ces lectures estivales. La plus marquante, je la dois à un très cher ami, un certain Philippe-Jean : mais comment un roman de Yourcenar, le dernier, avait-il pu m’échapper jusqu’à aujourd’hui ? Je n’en suis pas encore revenu : Un Homme obscur, si vous ne l’avez pas encore lu, lâchez tout et courez l’acheter.

Ainsi des pages 53 et 54 (dans l’édition Folio) : « Oui ces paraboles nées dans les champs ou sur les bords d’un lac étaient belles ; une douceur s’exhalait de ce Sermon sur la Montagne dont chaque parole ment sur la terre où nous sommes, mais dit vrai sans doute dans un autre règne, puisqu’elle nous semble sortie du fond d’un Paradis perdu. Oui, il aurait aimé ce jeune agitateur vivant parmi les pauvres, et contre lequel s’étaient acharnés Rome avec ses soldats, les docteurs et leur Loi, la populace avec ses cris. Mais que, détaché de la Trinité et descendu en Palestine, ce jeune Juif vînt sauver la race d’Adam avec quatre mille ans de retard sur la Faute, et qu’on allait au ciel que par lui, Nathanaël n’y croyait pas plus qu’aux autres Fables compilées par des doctes. Tout allait bien tant que ces histoires flottaient comme d’innocentes nuées dans l’imagination des hommes ; pétrifiées en dogmes, pesant de tout leur poids sur la terre, elles n’étaient plus que de néfastes lieux saints fréquentés par les marchands du Temple, avec leurs abattoirs à victimes et leur cour des lapidations. »

Ah ! Marguerite… En entendant le pontifiant pontife, tout à l’heure aux infos, je me suis rué sur son Homme obscur pour relire ce passage qui colle si bien à ce vieillard engoncé dans ses surplis aussi amidonnés que sa pensée.

A l'intention de ceux qui veulent savoir pourquoi… ce billet à une suite.