Comme je l’ai écrit maintes fois, ici et ailleurs, la prétendue sortie du prétendu plan d’aide européen à la Grèce (qui n’a jamais été qu’un plan d’aide aux banques allemandes et françaises gavées de dette grecque, dont les créances sur la Grèce ont été transformées, par la grâce dudit plan d’aide, en titres sur les contribuables de l’UE) ne pouvait être qu’un chaos ou un trompe-l’œil.

On est désormais certain qu’il s’agira d’un trompe-l’œil ; reste à savoir si on aura aussi le chaos.

Hier soir, la télévision grecque diffusait une cérémonie où Tsipras officiait – cravaté ! la dernière étape de la mue ? – en grand prêtre de la célébration de la fin de la « crise grecque » – dans un entre-soi d’où le peuple était soigneusement tenu à l’écart, et pour cause ! –, une fin qu’aurait prétendument sonnée le récent accord sur la dette avec les ministres de la zone euro.

Et tous les médias français dominants, dont je lis les titres sur mon téléphone mobile, sur mon balcon nisyriote, exultent de joie : la crise grecque est finie, grâce à la purge, au courage de Tsipras, à la croissance qui revient, au tourisme qui explose…

J’ai déjà expliqué – et le FMI ne dit pas autre chose – que la croissance n’est pas de retour. Parler de croissance quand le PIB a repris 1,2 % en 2017 alors qu’il a perdu entre 25 et 30 % durant les années précédentes est une pure imposture. La croissance n’est pas repartie, la situation a simplement, comme ailleurs en Europe, cessé de se dégrader du fait de l’effet retard de la baisse du taux de change de l’euro par rapport au dollar. Une baisse qui est derrière nous. La croissance va donc – nonobstant les prévisions régulièrement démenties par les faits depuis le début de la « crise grecque » – ralentir puis s’évanouir.

Prétendre que ladite croissance peut reposer sur l’explosion du tourisme est une deuxième imposture. J’ai déjà expliqué, ici et ailleurs, qu’un des effets de la « crise grecque » était une spoliation, à une échelle à ma connaissance jamais atteinte en temps de paix, des biens publics et privés des Grecs, qu’il s’agisse des terrains et biens immobiliers que les Grecs sont obligés de brader pour survivre, se faire soigner ou payer des impôts qui, eux, ont atteint, sous la férule de la Germano-Europe, des niveaux aussi absurdes qu’insoutenables, ou qu’il s’agisse des infrastructures, portuaires, aéroportuaires, routières, ferroviaires, bradées à des intérêts étrangers par l’intermédiaire du TAIPED, structure de type colonial de liquidation des biens publics imposée par la Germano-Europe et copiée sur celle créée en Allemagne de l'Est après son Anschluss par l’Allemagne de l'Ouest.

De surcroît, ce qui « explose » en Grèce aujourd’hui ce sont les entrées et non les recettes du tourisme. Car le tourisme qui « explose » est un tourisme all inclusive dont les recettes sont encaissées dans les pays de départ et par des sociétés de tourisme allemandes, suisses, françaises, belges, britanniques… Seule une partie de ces recettes revient en Grèce pour payer les salaires de misère pratiqués dans l’hôtellerie depuis que les mémorandums germano-européens ont liquidé le droit social, et donc le salaire minimum (devenu purement théorique, sans parler des salaires qui ne sont plus versés qu'un mois sur deux, trois ou cinq), ou des prestataires de service pressurés, dans un pays où le chômage est massif et il faut travailler à n’importe quel prix, et souvent à un prix qui ne permet plus de vivre décemment. En revanche, les commerces de proximité profitent fort peu de ce tourisme-là (les estivants à bracelet consomment essentiellement à l’intérieur de leurs hôtels) alors qu’ils sont écrasés par une TVA qui se monte désormais à 24 % et par des impôts qui, au total, atteignent communément 70 % du… chiffre d’affaires !

Prétendre que la situation s’améliore alors que l’exil des jeunes et des diplômés, contraints au chômage ici, s’accélère (c’est la seule cause de la baisse infinitésimale du chômage dont se gargarisent les médias dominants) et vide le pays de ses compétences pour aller enrichir les États-Unis, le Canada, l’Australie, la Suède ou… l’Allemagne, alors que de plus en plus de Grecs sont exclus de l’accès aux soins, que les retraités (qui ont souvent le seul revenu régulier d’une famille) voient leurs pensions coupées encore et encore (une nouvelle coupe vient d'être opérée, une autre est programmée par les dernières mesures, plus de 80, votées récemment par le Parlement grec en échange du versement de la dernière tranche « d’aide »), qu'au moins la moitié de la population vit désormais autour ou sous le seuil de pauvreté, est une troisième et tragique imposture.

Mais à ces trois impostures vient de s’ajouter une quatrième, celle de la conclusion de l’accord sur la dette.

Pourquoi ?

D’abord parce que, avant comme après cet accord, le stock de dette grecque est inchangé : deuxième boulet, avec l’euro, qui empêchera tout redressement de l’économie du pays. La valeur créée par le travail des Grecs, leurs impôts continueront à être affectés en priorité au paiement des intérêts et principaux de cette dette, plutôt qu’à l’investissement et aux services publics, à la formation de fonctionnaires compétents et à leurs salaires (or c’est la faiblesse des salaires de la fonction publique qui est la première responsable de la pratique des enveloppes réclamées aux administrés par des agents auxquels leur salaire ne permet pas de vivre décemment), à la santé, à l’éducation… tous sinistrés depuis bientôt dix ans par les politiques germano-européennes.

Or si la croissance ne repart pas, et elle ne peut pas repartir, le ratio entre le stock de dettes et le flux de création de richesse (PIB) ne peut pas baisser. Et avec un stock de dette de 180 % du PIB, comment la Grèce pourrait-elle « inspirer confiance », se refinancer sur les Marchés, comme cela semble être le seul objectif poursuivi par le gouvernement de « gauche radicale » ?

D’ailleurs, le FMI ne dit rien d’autre ! La dette grecque n’est pas plus soutenable aujourd’hui qu’elle l’était hier. Elle n’est soutenable, dit le FMI après l’accord, que jusqu’en 2030 et ne l’est plus après.

Et c’est là qu’est la quatrième imposture !

On n’a rien réglé, on a repoussé le problème de dix ans. On n’a pas allégé le stock de dettes, on a allongé les délais de remboursement. C’est-à-dire qu’on a alourdi le poids de la dette sur les Grecs et l’économie de leur pays puisque les Grecs devront payer les intérêts sur cette dette durant dix ans de plus. C’est-à-dire qu’on enrichit un peu plus les créanciers, qui ne cessent, au fil des « plans d’aide », de faire leur beurre sur le dos des Grecs. Et c’est-à-dire que l’économie grecque, qui ne peut pas se redresser dans l’euro et avec un pareil stock de dettes, sera incapable de rembourser les prêts arrivant à échéance après 2030, alors que les Grecs auront payé dix ans de plus d’intérêts.

Trompe-l’œil et imposture – doublement puisqu’il semble que le ministre allemand (ô surprise !) se soit opposé avec la dernière énergie même à cette mesure qui ne règle rien. Or ce ministre est en sursis, et il y a peu de probabilités que le suivant soit plus arrangeant !

Trompe-l’œil et imposture puisque, de l’aveu même de la presse de propagande, la Grèce va sortir de la tutelle (en principe ! car quel sera le niveau des taux d’intérêt le 20 août, lorsque la Grèce devra se refinancer sur les Marchés, si le gouvernement Merkel est tombé, si la précaire situation politique de l’Espagne se détériore, si les rapports entre l’Italie et la BCE tournent vinaigre ?) sans en sortir. Le système de « surveillance » des créanciers après cette date est en effet, nous dit cette presse, sans commune mesure avec la manière dont ont été traités Chypre, le Portugal ou l’Irlande. Beaucoup de bruit pour rien, donc.

Reste la question politique. Car après le tintouin sur l’accord avec l’ARYM qui reste suspendu à des ratifications bien problématiques, à Skopje comme à Athènes, ce tintouin sur la dette vous a un petit fumet d’élections anticipées.

En Grèce, les législatives doivent avoir lieu en septembre 2019. Mais au 1er janvier 2019, un train de mesures budgétaires et de coupes tous azimuts doit entrer en vigueur en application des textes votés sous la pression germano-européenne. La situation de centaines de milliers de Grecs va donc une nouvelle fois se détériorer gravement. Or, au printemps 2019, auront lieu à la fois les élections municipales, régionales et européennes. La déroute de l’actuelle majorité risque donc fort de rendre la position du gouvernement intenable. D’autant que l’Assemblée élue en 2015 devra aussi, ce même printemps, élire le président de la République. Mais la majorité qualifiée requise pour cette élection ne peut être atteinte sans le vote de l’opposition et, si cette majorité n’est pas réunie, l’Assemblée est automatiquement dissoute.

En 2014, Syriza avait, par ce moyen, contraint le gouvernement à anticiper l’échéance législative au début 2015. Or, si aujourd’hui les oppositions ont intérêt à une élection législative (elles peuvent la provoquer au printemps 2019 en refusant de voter pour un président de la République), au moment où les nouvelles mesures entrées en vigueur au 1er janvier entraîneront mécaniquement un mécontentement accru des Grecs contre leur gouvernement, l’intérêt de celui-ci est clairement de tenter de sauver les meubles avant le 1er janvier.

En se targuant du succès en trompe-l’œil sur la dette et de l’accord sur l’ARYM, lequel risque de capoter au Parlement grec (l’ANEL, indispensable à la majorité, ne le votera pas) comme en ARYM où le succès au référendum est plus que problématique, Tsipras espère sans doute pouvoir revenir à l’Assemblée avec assez de députés… pour être l’indispensable appoint d’un gouvernement de Grande Coalition à l’allemande ? alors que celui-ci, justement, vit peut-être ses derniers jours. Les rumeurs qui laissent penser à un possible renversement d'alliance ne seraient dans ce cas que le prélude à une manoeuvre de plus grande envergure : en effet si Syriza était lâché par l'ANEL sur la question de l'ARYM, il se dit que Tsipras pourrait chercher et trouver le soutien de Potami, formation fantôme qui n'a jamais existé que pour servir de roue de secours aux partisans de Bruxelles et Berlin, qui n'ayant plus guère d'électeurs a déjà rejoint une énième coalition autour des rescapés du PASOK...