Si même l'armée turque n'est plus foutue d'exécuter "proprement" un coup d'Etat, je vous demande où va le monde, mon bon monsieur !

Hier soir, lorsqu'on a appris le putsch en cours en Turquie, j'ai évoqué deux hypothèses sur Facebook. La première était un coup sérieux patronné par les Ricains pour se débarrasser d'un Erdogan devenu insupportable en raison de son soutien à Daesh, jamais démenti contrairement à ce que prétend la propagande, et du fait qu'il tire dans le dos des Kurdes, alliés de Washington sur le terrain.

"L'autre hypothèse - écrivai-je -, c'est la manip téléguidée par Erdogan pour justifier la concentration du pouvoir entre ses mains, un état d'exception et une réforme constitutionnelle à la hussarde."

On est désormais fixés.

Quelques déclarations d'officiels américains manifestement de plus en plus énervés du petit jeu si peu trouble (blanchiement du pétrole et des autres production du califat, libre-circulation des combattants de Daesh, alimentation de ceux-ci en armes, délivrance de vrais faux passeports à leurs tourroristes...) d'Erdogan avec Daesh, et notamment celles du du secrétaire à la Défense Ashton Carter, sur le non-contrôle de la frontière turco-syrienne par le sultan, constituaient des avertissements sans frais... D'autant que, sur le terrain, les Américains ont choisi les Kurdes comme alliés, des Kurdes dans le dos desquels Erdogan n'a jamais cessé de faire tirer.

La première hypothèse était donc envisageable, d'autant que Kerry était à Moscou et qu'on pouvait penser que, sur ce dossier, malgré les désormais permanentes provocations de l'OTAN à l'égard de la Russie, une convergence d'intérêts existait entre Russes et Américains.

Par ailleurs, Erdogan est chaque jour plus engagé dans une folle dérive autoritaire et mégalomaniaque. Il faut être aussi bête ou cynique que l'UE pour ne pas la voir... ou pour refuser de la voir et la financer, comme c'est le cas depuis les imbéciles équipées de Merkel à Ankara, l'UE cédant honteusement, devant l'alliance du sultan et de la chancelière du Reich, à son chantage aux migrants : note salée dont pas un sou n'arrivera aux migrants et dont l'essentiel ira dans les poches de l'islamofasciste, de sa famille, de son clan, de son parti dont le pouvoir repose en grande partie sur un clientélisme de plus en plus difficile à financer du fait du marasme grandissant de l'économie turque - en plus de la fraude, de la terreur... et d'une réelle popularité dans la Turquie traditionnelle qui n'a jamais accepté les réformes kémalistes et qui, dès les années 1950, a toujours voté, sitôt que les élections avaient une apparence de sincérité et de liberté, pour des partis islamo-réactionnaires.

En outre, tandis qu'Erdogan s'appuyait sur les services spéciaux, l'armée turque subissait, depuis une décennie et demie, des purges a répétition et des procès truqués. Une armée qui, depuis la fin des années 40, est formée et armée par les Etats-Unis. Une armée qui a déjà réalisé de nombreux coups d'Etat, au nom de la sauvegarde de l'héritage kémaliste dont Erdogan a conduit la liquidation systématique - héritage kémaliste, qu'il convient de ne pas prendre pour ce qu'il n'est pas : la laïcité kémaliste est plus proche de la religion contrôlée de type bonapartiste que de la laïcité IIIe république, et l'Etat kémaliste n'a jamais été qu'une dictature, souvent sanglante, fondée sur un parti unique et plus proche du fascisme italien que de la démocratie.

Et puis il y a l'économie, qui dépend de la consommation européenne de plus en plus exsangue grâce à la géniale politique de Merkel (n'en déplaise à Eurostat dont les calculs sont aussi fiables que ceux de l'instut de statistique nord-coréen) et qui est donc fort mal en point. Aussi Erdogan n'est-il resté au pouvoir, l'an dernier, après de premières élections législatives dont il a refusé de tenir compte des résultats, que grâce a une sanglante stratégie de la tension probablement organisée par l'Etat profond à sa botte, destinée à montrer qu'il est le seul garant de l'Ordre, et des fraudes électorales massives. Il voulait une majorité lui permettant d'établir un régime de démocrature - un régime autoritaire et personnel à façade parlementaire dans le genre Orban en Hongrie.

Il a eu sa majorité, après quelques attentats bienvenus, lors des deuxièmes législatives, mais les choses traînent. Trop. Et puis l'armée, la magistrature, le barreau, la presse, l'opposition parlementaire restaient des obstacles à l'accession du néo-sultan à une toute-puissante présidence à vie. Le putsch est la divine surprise, ou l'occasion qu'on a laissé mûrir et arriver à terme pour mieux l'utiliser, qui va permettre de faire le ménage, sans aucun... ménagement.

Gageons qu'en plus des exécutions sommaires qui se multiplient (combien de jeunes soldats de la troupe seront-ils égorgés par des barbus ? combien seront-ils fouettés comme on le voit sur les premières photos ?) et des 2745 magistrats déjà révoqués (les magistrats étaient donc de mèche avec les putschistes ? On le saurait déjà, 12h après l'échec du putsch ? Les listes auraient-elles été déjà prêtes ?), l'accusation de liens avec les putschistes va permettre d'incriminer, de torturer, d'embastiller, d'exécuter (légalement si on rétablit la peine de mort comme on le demande déjà à l'AKP, ou pas), tout ce qui ne chante pas encore les louanges du sultan d'Ankara.

Ou comment un coup d'Etat peut en cacher un autre ; je ne sais pas si Erdogan a lu Machiavel, mais je suis sûr qu'il en maîtrise toutes les subtilités.

Ce qui n'est pas le cas de la misérable UE dont on gage également qu'elle fermera les yeux, les oreilles et la bouche - vous me direz que cela vaut mieux, quand on lit le communiqué pondu cette nuit par l'inexistante et pourtant calamiteuse Mogherini appelant au "respect des institutions démocratiques" (que l'UE piétine joyeusement en Grèce depuis plus de six ans...), tandis que le secrétaire général de l'Otan (une organisation experte en démocratie !), Jens Stoltenberg, appelait au "respect total des institutions démocratiques en Turquie" ... qualifiée d'"allié estimé" par Stoltenberg et de "partenaire clé" par Tusk et Juncker qui se sont fendus eux aussi (après combien de verres de quel alcool fort ?) d'un communiqué en direct de Mongolie. D'allié et de partenaire de qui, au fait ? Si c'est du Qatar et de Daesh, ça, au moins, c'est incontestable !

Quant au respect des institutions démocratiques... on en reste pantois. La Turquie pointe au 151e rang, sur 180, au classement de la liberté de la presse 2015 de Reporters sans frontières (imaginez où elle sera en 2016 avec les purges qui s'annoncent !!!) : "Avec 72 professionnels des médias actuellement emprisonnés, dont au moins 42 journalistes et 4 collaborateurs le sont en lien avec leur activité professionnelle, la Turquie est la plus grande prison du monde pour les journalistes" constatait l'ONG en 2012... Ils étaient 13 quand l'AKP a pris le pouvoir en 2002 ; ils sont aujourd'hui 40, dont ceux qui ont dénoncé le trafic d'armes des services de sécurité turcs vers Daesh et Erol Önderoglu, représentant de RSF en Turquie tout récemment arrêté, tandis que l'ONG recense des milliers de procédures.

Où l'on regrette amèrement que, dans l'OTAN et son annexe de l'UE, le ridicule ne tue pas.