ll y a 42 ans, la Turquie prenait le prétexte d'un coup d'Etat de la junte grecque, téléguidé par les Etats-Unis d'Amérique, contre l'archevêque Makarios, président démocratiquement élu et non-aligné (surnommé à Washington l'archevêque rouge ou le Castro de la Méditerranée), et qui ne menaçait nullement la minorité turque, organisée en enclaves depuis que, en 1963, ses chefs, en accord avec Ankara, s'étaient retirés des institutions démocratiques chypriotes, la Turquie prenait ce prétexte pour envahir le nord de Chypre.

Elle était alors dirigée par un gouvernement de coalition entre le social-démocrate Ecevit et son Vice-Premier ministre islamiste Erbakan dont le le Parti du salut national fut le moule de l'AKP et d'Erdogan.

L'invasion se déroula en deux temps, sous le regard satisfait d'Henry Kissinger : avant elle, Makarios envisageait de remettre en cause le statut aberrant des bases militaires britanniques hérité de la guerre d'indépendance et des accords léonins qui y mirent fin. Après l'invasion, aucun gouvernement chypriote ne songerait plus à remettre en cause cette présence des Anglais, c'est-à-dire de l'OTAN, tandis que la Turquie, membre de l'OTAN, occupait le nord. Ce magnifique porte-avions (et station d'écoute) qu'est Chypre, au large du Proche-Orient, passait d'un non-alignement actif à une soumission de fait à l'OTAN.

Meurtres, tortures, nettoyage ethnique, spoliations, disparition de prisonniers de guerre et de civils, femmes, enfants, vieillards, popes... : il y eu plus de disparus, en proportion de la population chypriote, que de déportés en France durant la seconde guerre mondiale, plus que dans n'importe quelle dictature d'Amérique latine des années noires, et sur leur sort, les gouvernements turcs, civils ou militaires, laïcs ou islamistes, ont toujours refusé de donner la moindre explication, refusant même, contre toute évidence, de reconnaître que l'armée turque les avaient enlevés (dans la tradition des janissaires ou du génocide arménien, et comme en Amérique latine, des enfants auraient été distribués à des familles turques) et détenus - pour certains pendant plusieurs décennies, quand d'autres ont fait l'objet de massacres collectifs (voir mon roman : Le Château du silence).

La Turquie s'est rendue coupable à Chypre de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité restés impunis.

Au regard des conventions de Genève, elle se rend en outre constamment coupable depuis, en établissant dans les territoires qu'elle occupe, sur les terres des propriétaires grecs spoliés, des milliers de colons qui sont aujourd'hui aussi ou plus nombreux que les Chypriotes turcs qui, eux, ont eu tendance à partir, notamment vers l'ancienne métropole anglaise, et quitter le pseudo-Etat de Chypre-Nord, largement mafieux, dépendant entièrement d'Ankara et reconnu par la seule Turquie.

Tout ceci dans l'indifférence de l'UE qui a successivement fait dépendre l'adhésion de la République de Chypre de l'accord... d'Ankara, qui a soutenu l'inique Plan Annan, reconnaissance pure et simple du coup de force turc et de la colonisation, qui reste inerte devant toutes les provocations militaires de la Turquie visant à empêcher Chypre d'exploiter les gisements de gaz se trouvant entre ses côtes et celles du Proche-Orient, qui a étranglé Chypre au moment de la crise bancaire et qui n'a jamais exercé la moindre pression sérieuse sur Ankara, qu'elle finance pourtant très largement au titre de l'aide à l'union douanière (sans même parler des récents cadeaux de la chancelière Merkel, notre chancelière à tous, au sultan Erdogan), pour obtenir, enfin, une solution à cette question de Chypre, solution dont chacun sait quels sont les contours mais que personne n'a la volonté politique ni le courage d'imposer à Erdogan.