Voilà, cette fois c'est terminé... en principe jusqu'en décembre.

Je ne sais pas si ce sont les élections ou l'orage qui les a suivies de peu et déversé dans ma citerne 52 cm d'eau, mais la fin de septembre a été fraîche.

Comme si l'hiver tsipriote arrivait à grands pas. L'hiver tsipriote... vous savez, cette gauche radicale qui va gouverner plus à droite que la droite. Pour l'heure, les Grecs n'ont, dans les médias, que l'avant-goût, distillé jour après jour, au goutte à goutte, comme tout supplice qui se respecte, des mesures que le faux rebelle devenu gendre idéal de Mme Merkel va infliger à une économie et une société déjà ravagées par cinq ans de stratégie du choc germano-européenne.

Pour l'heure, la saison touristique se termine avec de bons chiffres, dus à la situation en Afrique du Nord, en Egypte, en Turquie. Des chiffres en trompe l'oeil, comme le reste, car le nombre d'entrées, flatteur, ne signifie plus rien depuis que le tourisme, en Grèce, est devenu massivement du all inclusive. Autrefois, le tourisme irriguait un tissu économique local : chambres chez l'habitant, petites structures hôtelières locales, restaurants, cafés, pâtisseries, commerces de proximité... Depuis quelques années, il est massivement devenu un tourisme qui rapporte essentiellement au tour operateurs occidentaux ou russes qui encaissent les recettes du "tout compris" dans le pays de départ et possèdent souvent les structures hôtelières gigantesques, dont le personnel grec reçoit des salaires de misère grâce à la politique germano-européenne endossée par Syriza. Parqués dans leurs colonies localisées hors des agglomérations, les touristes ne sortent plus que pour des excursions - elles aussi payées aux tour opérateurs - et ne dépensent plus guère dans les commerces locaux.

Pour l'heure, on attend l'hiver et les effets du Mémorandum Tsipras. Pour l'heure, c'est la désillusion et le discrédit de toute parole politique qui dominent. On le jure, avec Tsipras, c'est la dernière fois qu'on s'est fait avoir ; on ne veut plus rien savoir de ces gugusses qui disent une chose et font le contraire six mois plus tard, tout cela pour occuper la place des autres.

De 2009 à 2013, nous avions senti, Frédéric et moi, le pays sombrer dans le désespoir, après la révolte étouffée dans les gaz et les provocations/violences policières et les élections de 2012. Puis comme l'avait dit le slogan de Syriza, à la mi 2014, on avait nettement senti que l'espoir revenait, que les gens reprenaient courage en ayant enfin une perspective de rupture avec la spirale mortelle dans laquelle les avaient enfermés le Reich germano-européen et les collabos ND-PASOK chargés par les maîtres d'exécuter les ordres, au mépris de la Constitution et des principes fondamentaux de la démocratie représentative.

Puis il y a eu l'incroyable élan du référendum - ce moment où tout était possible et où, quelque décision de rupture qu'il eût prise, Tsipras eût eu derrière lui bien plus encore que les 61,3 % qui avaient voté NON. Le sentiment de la dignité nationale retrouvée ; cette axioprépeia que la voix mâle et grave de Tsipras scandait si bien et si régulièrement depuis un an, à côté et en corollaire de l'espoir.

Et vint le 13 juillet : la trahison éhontée de l'espoir, de la dignité et du NON ; avec, dans la foulée, ces élections de la désespérance, afin de prendre de vitesse la strucuturation de l'opposition anti-euro, anti mémorandum (ce qui est la même chose) et de se faire reconduire avant que les désastreux effets de la désastreuse politique que Tsipras a accepté de conduire ne se fassent sentir. Maintenant l'attente de l'hiver et de l'application qui s'annonce tragique du Mémorandum Tsipras... Winter is coming et on ne sait pas, dans ce Game of throne tsiprio-euro-allemand, combien de temps il durera.

Résignation ? Ca y ressemble. Il va falloir payer toutes les taxes et les impôts anciens et nouveaux, tous en augmentation, qui vont dégringoler en cascade, il va falloir gérer les nouvelles baisses de retraite - souvent la seule ressource de familles élargies où le chômage s'est enkysté depuis cinq ans -, il va falloir absorber la nouvelle vague de faillites des entrepreneurs et paysans contraints de payer des impôts en avance et sur la base des revenus de l'année précédentes, il va falloir se chauffer, se nourrir, se soigner... ce qui, avant le Mémorandum Tsipras, était déjà mission impossible pour près du tiers de la population.

On va claquer des dents, en Grèce, et crever la dalle, et crever tout court, faute de soins, dans ce premier hiver du Mémorandum tsipriote. Car c'est cela la réalité de la politique que la gauche dite radicale a accepté de conduire.

Résignation, sans doute. Et comme toujours résistance avec les moyens du bord : l'Etat se montrant une fois de plus illégitime, en appliquant la politique qui lui est dictée plutôt que celle pour laquelle les partis au pouvoir ont été mandatés, le travail au noir et la double comptabilité vont exploser. J'ai eu mille fois l'occasion de l'écrire et de le dire : le problème fiscal de la Grèce n'est pas un problème de fraude, c'est un problème de consentement à l'impôt. C'est en faisant que l'impôt soit juste et proportionné aux services rendus par cet Etat qu'on fera progresser ce consentement. En appliquant la fiscalité délirante qu'il accepte d'appliquer et en acceptant de dégrader encore les services rendus par l'Etat, le gouvernement Syriza-ANEL ne peut que faire reculer ce consentement. Les recettes fiscales vont donc probablement s'effondrer, sous le double effet de la récession aggravée par le Mémorandum Tsipras et de la défiance accrue par rapport à l'Etat.

Résignation et amertume ironique devant le scandale Volkswagen qui a dû, en mon absence, je n'en doute pas un instant, déchaîner l'ire vengeresse non moins qu'éditoriale des Quatremer, Leparmentier, Guetta, Couturier et consort contre un peuple allemand intrinsèquement fraudeur et menteur, comme ils s'égosillent à dénoncer le grec depuis cinq ans. Dans mon île en tout cas, ça a fait rire jaune, cette affaire : ben oui, quoi, c'est nous les fraudeurs...

Résignation, amertume, mais aussi immense colère rentrée. Rentrée, pour l'instant. Mais jusqu'à quand et comment explosera-t-elle ? Pochette surprise.

Et puis le gouvernement actuel n'a que 4 voix de majorité ; et les députés des îles commencent déjà à ruer dans les brancards à la perspective de la prochaine hausse de TVA, appliquée d'abord aux principales îles touristiques (sans doute afin d'y étouffer le tourisme), puis au plus grand nombre, puis au moins favorisées. Mesure d'une bêtise insigne, imposée et acceptée au mépris de la continuité territoriale, tout étant déjà plus cher dans les îles du fait justement que la situation insulaire impose des contraintes que n'ont pas à gérer les territoires continentaux. Subtilité qui dépasse sans doute les capacités intellectuelles des oligarques germano-européens en charge du gouvernement colonial de la Grèce dont les Tsipriotes se sont faits le relai.

Alors aux prochaines nouvelles exigences du Reich, qu'adviendra-t-il lorsque 4 députés feront défection parce qu'ils ne les accepteront pas ? Une alliance avec le PASOK, Potami, une Union mémorandaire baptisée Union nationale, de nouvelles élections ?

De retour samedi à Paris, je renoue avec Facebook, avec le flux d'informations en continu, alors que depuis juin (hors la parenthèse parisienne d'août) j'étais en désintoxication d'Internet : pas de connexion wi-fi cette année au village, une ou deux par semaine, en bas, à Mandraki... et l'impression, en renouant, que je n'ai absolument rien raté.

Je renoue aussi avec les papiers de Romaric Godin, toujours pertinent dans la marée d'ignorance, d'insignifiance et lâchons le mot - vraiment justifié quand on voit la Une de Libération hier - de merde journalistiques. Celui de ce jour revient sur les oeuvres du gendre grec idéal de Merkel expliquant qu'il se doit de se montrer "bon élève" d'abord parce qu'il n'a pas le choix : "Le fonctionnement du troisième mémorandum le place sous une surveillance étroite, comme on le voit : l'argent n'est versé qu'au compte-goutte et moyennant une législation précise. Le mémorandum ne laisse aucune initiative en matière budgétaire au gouvernement d'Athènes."

Et oui, car c'est bien là le noeud de ce Mémorandum de gauche dite radicale, pire que ceux du PASOK et la droite réunis, signé sous le fallacieux prétexte du moindre mal et du "rétablissement de la confiance"... qui aurait donc été détruite (ce qui suppose qu'elle existait auparavant et que la politique dans l'UE est affaire de bonne volonté, de confiance... et pas de rapports de force brute : ravageuse illusion tsimpriote, une de plus !) et dans l'illusion d'obtenir une réduction de la dette, ignorant ainsi l'axiome Pasqua selon lequel les promesses n'engagent que ceux qui les croient.

La vraie question à mes yeux est : s'agit-il d'aveuglement (refus délibéré de voir la vraie nature de l'Europe), de trouille (incapacité à assumer la nécessaire résistance et l'indispensable rupture par manque de caractère, peur d'affronter les conséquences de cette rupture, lâcheté qui conduit à s'abandonner à une logique qu'on sait mortelle), ou bien de pure duplicité/arrivisme (avoir mimé la résistance sans préparer d'alternative à l'échec d'une négociation qu'on savait vouée à l'échec pour enfumer le peuple, par simple désir de prendre la place des autres et les profits qui vont avec, en étant dès l'origine résolu à tenir le rôle du syndic de faillite aux ordres) ? Je n'ai toujours pas tranché, mais au final le résultat est le même.

Catastrophe économique, sociale, humanitaire, démocratique.

Enfin, il faut signaler que la défunte commission sur la légitimité de la dette grecque, créée - on le sait maintenant - contre la volonté de Tsipras, Dragasakis et de toute la clique néo-mémorandaire au pouvoir, à l'initiative de Zoé Konstantopoulou, présidente de l'ancienne ''Vouli'', que sa dignité, son énergie, sa résolution, son courage destinent bien sûr à être une âme de la Résistance dans cette ère qui s'ouvre de collaboration tsipriote, et une des personnalités qui incarnent l'avenir, car l'affaissement actuel dans cette collaboration - je crois ou je veux croire - ne durera pas, vient de présenter son testament : la lecture de ce document, si elle est ardue, est passionnante, et pour tout dire indispensable.

Pour le reste, ma dernière décadie nisyriote fut marquée par une jolie rencontre. Un jour que j'allais retirer de l'argent à la poste de Mandraki, je vois un monsieur, au coin de la rue, qui s'arrête, me regarde prendre mes billets... Je me demande les raisons de cette attitude. A Mandraki, on ne craint guère les braquages au distributeur automatique ! Je range mes billets et je vois alors le monsieur s'avancer vers moi : " Vous êtes monsieur Delorme ? " Moi, interloqué, je réponds qu'en effet... et de me dire alors qu'il a lu La Grèce et les Balkans, mes romans, qu'il suit ce blog... A vrai dire, sur le coup, je n'en reviens pas. C'est la première fois qu'on me reconnaît dans la rue... et ça se passe à Mandraki ! Je lui dis aussi mon émotion - réelle. Ouzo peu après à la terrasse d'Alexandros, puis quelques jours plus tard sur mon balcon, dîner au Balkoni d'Emborio, chez Katina... Prof de lettres classiques en retraite et son épouse ancien censeur (je ne sais plus le nom idiot que ça porte aujourd'hui, j'ai tiré un trait depuis longtemps sur les euphémismes stupides de l'EN) à Rouen, nous avons longuement échangé et je me suis dit, une fois de plus, que l'écriture et la Grèce étaient des passions qui créaient de solides connivences...

Enfin, il y eut la préparation de la maison et du jardin pour l'hiver... perfectionnement de ma Ligne Maginot anti-chèvres, derniers coups de peinture, de vernis. Derniers bains dans une mer jamais aussi douce qu'en cette fin d'été, et une journée où la limpidité de l'air faisait voir la côte turque comme si on était à quelques centaines de mètres. Le pincement au coeur du départ au petit matin, alors que le char d'Apollon embrasait les hauteurs de la presqu'île de Cnide - aurore aux doigts de rose. La traversée jusqu'à Kardaména, l'avion... Paris.

"Où que j'aille, la Grèce me blesse" écrivait Séféris.

Voilà, en principe, le prochain retour là-bas devrait être juste après Noël. Dans quel état le pays sera-t-il alors ?

Ici, en tout cas, rien n'a changé : vide du débat politique, empire du compassionnel, impuissance, organe dits d'information à côté desquels la Propagandastaffel ou Tass de la grande époque font province et petit genre... encore dans le déchaînement, depuis hier, pour une histoire de chemise, alors qu'on fait silence sur la remise en cause par le PDG d'Air France... de l'interdiction du travail des enfants.

Pour ma part, et au vu des résultats actuels de l'expérience de laboratoire grecque, je pense que le fait que les gens dont les décisions, prises en application d'une idéologie dont ils se font les agents serviles, engagent la vie des autres, réalisent qu'il y a des risques, que leur violence en col blanc ne s'exerce pas impunément - car ne nous y trompons pas, la violence première est la leur, celle du néolibéralisme, de la concurrence ordonnatrice universelle, du coût toujours plus bas, de l'Europe jungle qui écrase les individus et les peuples - me paraît à vrai dire... sain. Qu'un des larbins du système y perde sa chemise plutôt drôle. Que le Premier ministre croie indispensable de s'en indigner, significatif de l'idéologie que sert ce funeste personnage. Et que ce genre de chose n'arrive pas aux tortionnaires de la Troïka, par exemple, regrettable.

Là-dessus se terminent les chroniques nisyriotes d'un drôle d'été 2015 qui, l'avenir nous le dira, sera peut-être un point de bascule de l'histoire des peuples européens. La révélation du vrai visage, totalitaire, de l'Union européenne et du néo-impérialisme allemand ne resteront pas, j'en suis convaincu, sans conséquence. La poussée historique de la gauche anti-austérité et anti-euro, hier, au Portugal, provoque le recul de la droite de collaboration et met dans l'obligation, une fois de plus, les "socialistes" locaux de choisir entre le peuple et l'intérêt national, ou le soutien (actif ou passif) à la droite au nom de l'Europe. Ces combinaisons dites d'union nationale prolongent un statu quo intenable. Elles auront une fin. La question, à mes yeux, est de savoir, désormais, si cette fin peut encore passer par les voies de la démocratie parlementaire que l'Europe et le néo-impérialisme allemand ont vidé de tout contenu et de toute réalité. Ou si elle passeront par un processus révolutionnaire.

En attendant, je me sens pleinement solidaire d'une récente initiative, prise par des jeunes de diverses organisations, se donnant pour but la reconquête par la gauche du terrain, trop longtemps laissé à l'extrême droite, de la souveraineté nationale, ou populaire. Parce que c'est entre nations, entre peuples souverains, que peut se bâtir demain une Europe solidaire de la coopération, parce que, pour cela, il faut d'abord en finir avec le piège mortel pour la démocratie et l'Etat social que constitue une Union européenne dont les traités scélérats ont tout ordonné autour de la concurrence, de la finance et d'une monnaie criminelle qui enrichit les pays les plus riches et appauvrit les autres. On trouvera là leur appel, une pétition que j'ai signée et la page Facebook de leur structure en gestation.