Hier est mort, à 98 ans passés, une des calamités de la politique grecque, un des symboles les plus accomplis du népotisme, du clientélisme et de la corruption d'une caste qui a conduit le pays à la catastrophe. Konstantinos Mitsotakis, neveu du grand Vénizélos, élu pour la première fois député en 1946, officiellement retiré de la vie politique en 2004, il s'est notamment illustré en trahissant Georgios Papandréou dont il était le ministre, lors de la brève ouverture politique dans un système de monarchie blindée d'apparence parlementaire (voir Z) héritée de la guerre civile, après les élections législatives de 1963.

Il devient alors le pilier des ministères instables que les Grecs nomment "Gouvernements des apostats", manipulés (et rétribués sur comptes en Suisse) en coulisse par l'ultra droitière, ancienne nazie, petite-fille du Kaiser, la reine-mère Frédérika dont les réseaux clientélistes couvrent alors tout le pays dans une véritable administration parallèle. Des ministères qui entretiennent une crise politique qui ouvre la voie au coup d'Etat des Colonels en 1967.

Détesté de Konstantinos Karamanlis qui, après avoir été Premier ministre de la monarchie blindée, s'est exilé à Paris en 1963 et devient, en 1974, l'artisan habile et éclairé de la transition démocratique et l'homme politique grec qui domine toute la seconde moitié du XXe siècle, Mitsotakis rallie en 1978 le parti de droite (enfin démocratisé) Nouvelle Démocratie fondé par Karamanlis et devient, dans la foulée, ministre de la Coordination économique puis des Affaires étrangères de 1978 à la victoire des socialistes (PASOK) d'Andréas Papandréou (dont il a fait tomber le père en 1965) en 1981.

En 1984, Mitsotakis s'empare de la direction de la ND, mais toujours aussi détesté par une grande partie des Grecs, échoue à obtenir une majorité aux élections législatives de juin et novembre 1989, malgré le discrédit qui frappe Papandréou et le PASOK alors compromis dans l'immense scandale financier Koskotas. Après une expérience de gouvernement de catharsis (de purification) d'union entre la droite et les communistes (dont Mitsotakis n'est pas membre), il finit par obtenir en avril 1990 150 députés sur 300.

Il imposera alors au pays une politique d'inspiration thatchérienne (Mikis Théodorakis siège dans ce gouvernement, sans portefeuille, jusqu'à sa démission en 1992...) qui le plonge dans sa pire crise sociale depuis la dictature, grâce au soutien d'un "indépendant" et de deux députés de la minorité turcophone de Thrace. Réélu (par le Parlement) président de la République en mai 1990, Karamanlis, qui s'entendait plutôt bien avec Papandréou (même si celui-ci s'était opposé à sa réélection à la présidence de la République en 1985), déteste toujours autant Mitsotakis et s'oppose publiquement à lui lorsque le Premier ministre envisage la libération des Colonels toujours emprisonnés.

En octobre 1993, ce gouvernement de droite dure sans réelle majorité finit par tomber sur la question de l'Ancienne République yougoslave de Macédoine, récemment devenue indépendante, dont le nom qu'elle adopte et la Constitution laissent craindre des prétentions irrédentistes sur la Macédoine grecque. Répliquant ce que Mitsotakis avait fait à Papandréou, le jeune ministre des Affaires étrangères Antonis Samaras poignarde son Premier ministre et quitte la ND avec plusieurs députés pour fonder "Printemps politique" sur une ligne d'intransigeance à l'égard de l'ARYM.

Le PASOK et un Andréas Papandréou cacochyme, de plus en plus sous la coupe de sa nouvelle, plantureuse, et souvent scandaleuse épouse, reviennent alors au pouvoir, jusqu'à ce qu'Andréas, hors d'état de gouverner, soit contraint de passer la main à Konstantinos Simitis... qui sera l'artisan de l'entrée de la Grèce dans l'euro.

Mitsotakis sera réélu député et siégera au Parlement jusqu'en 2004 ; mais il ne reviendra plus au pouvoir.

Lui... mais le clan ? Sa fille Dora (Théodora) a vu son mari Pavlos, député ND, en 1989, assassiné par le groupe du 17 novembre (date du soulèvement des étudiants de l'Ecole Polytechnique contre la dictature en 1973). Ce groupe est apparu en 1975 ; il a commis hold-up et attentats contre des biens appartenant à des militaires américains ou un bar qu’ils fréquentent. Il est également responsable de 23 assassinats, dont les victimes sont des tortionnaires de la dictature, un chef d’antenne de la CIA à Athènes, des attachés militaires américain et britannique, un diplomate turc, des juges, des industriels, un éditeur… Pour autant, et a partir d'un certain moment, nonobstant les procès de 2002-2003 (avant les Jeux olympiques de 2004) qui laissent bien des zones d'ombre, il semble à beaucoup d'observateurs que le "17 novembre" aurait surtout constitué une « marque », utilisée par des commanditaires politiques en fonction des circonstances pour régler certains comptes.

Quoi qu'il en soit, Dora "héritera" du siège de son mari et deviendra ministre de la Culture... de son père (1992-1993), maire d'Athènes (2003-2006) puis ministre des Affaires étrangères de Karamanlis (2006-2009) "le Gros", neveu du "Grand".

Mais si les clans Karamanlis et Mitsotakis sont ennemis, Dora enrage d'être battue dans le scrutin pour la direction de la ND, en 2009 (après la défaite de Karamanlis, le neveu de, aux législatives, face à Georgios Papandréou, le petit-fils et fils de), par... Samaras - celui-là même qui a fait tomber papa en 1993 ! A son tour, elle entre en dissidence, reprochant à Samaras de refuser (pour des raisons purement tactiques), en 2010, les voix de la ND au gouvernement de Georgios pour faire adopter le premier Memorandum dicté par l'Eurogermanie. Exclue de la ND, elle fonde alors son parti, L'Alliance démocrate qui n'obtient que 2,56 % des voix aux législatives de mai 2012... sans obtenir de député, elle a néanmoins contribué au score historiquement bas de la ND de Samaras (18,85 %) qui doit traiter avec elle, aucune majorité ne se dégageant, dans la perspective de nouvelles élections en juin où elle renonce à présenter des candidats... ce qui lui permet de redevenir député de la ND jusqu'à aujourd'hui.

Ajoutons que sa soeur, Alexandra, dirige le Centre culturel hellénique de Paris depuis 2009 - avec compétence, au demeurant, m'assure une amie en qui j'ai toute confiance, mais comprenons bien que je parle ici, avant tout, d'un système à travers les personnes.

Reste Kyriakos, né en 1968, et dont les mauvaises langues soutiennent que ses grands-parents l'auraient fait passer pour leur fils afin de sauver l'honneur de Dora (14 ans alors) - selon cette version, le père serait un chanteur de l'époque et les photos sont, il est vrai, troublantes. Toujours est-il que Kyriakos. Formé aux Etats-Unis (comme la quasi-totalité de la Nomenklatura grecque actuelle, y compris la syrizesque) dont il a fréquenté les meilleures universités, passé par la Chase Manhattan Bank puis par des groupes bancaires grecs, il est devenu... député ND, depuis que papa (grand-papa) lui a légué son siège en 2004. En juin 2013, il entre même au gouvernement de l'ennemi de papa (ou grand-papa), Samaras, comme ministre (stratégique sous le régime troïkan) de la Réforme administrative.

Puis, quand Samaras est expulsé de la direction de la ND après la victoire du Non au référendum de juillet 2015, et que le président par intérim (du clan Karamanlis), Meimarakis, est affaibli par le score médiocre de la ND aux législatives de septembre, Kyriakos emporte l'élection interne à la ND pour la présidence du parti - malgré les soupçons de son implication dans l'immense affaire de corruption Siemens et avec une avance que beaucoup d'observateurs jugent fort surprenante... ou suspecte pour les plus mauvaises têtes.

Depuis, Kyriakos est le leader de l'opposition et Premier ministre potentiel en cas de victoire électorale de la ND, à laquelle les sondages promettent un score autour de 30 % contre un score autour de 15 % à Syriza - le principal argument de Kyriakos étant sa proximité avec l'Allemagne censée lui permettre d'obtenir, dans le cachot européen, un régime de détention un rien moins sévère.

Quand à Konstantinos junior, le fils de Dora (neveu ou frère de Kyriakos), comme on voudra, il est déjà président de la région d'Evritanie (Grèce centrale) dont son père, puis sa mère, furent députés... et sans doute déjà prêt à prendre un jour la relève de tonton (ou frangin) à la tête de la ND... et du gouvernement !

Incontestablement, la mort du patriarche a tourné une page dans l'histoire politique grecque. Mais le clan reste là. Et bien là.