Jean-Claude Malgloire est de ces précurseurs, un de ces artistes qui ont fait plus pour rendre la vie plus belle que la plupart des fausses gloires (artistiques, littéraires, politiques...) plus ou moins faisandées qui monopolisent de nos jours l'intérêt des médias.

Jean-Claude Malgloire a créé la Grande Écurie de la Chambre du Roy en 1966, dit le programme de l'Orlando de Haendel que je suis allé écouter (en version de concert) avec une de mes amies les plus chères, avant-hier soir au Théâtre des Champs-Élysées.

Jean-Claude Malgloire est de ceux qui, en France et dans le monde, ont ressuscité la musique baroque tuée par le goût bourgeois, de ceux qui ont fait ensemble un travail extraordinaire de chercheurs et d'artistes pour exhumer les partitions oubliées, redonner à cette musique des instruments qui n'existaient plus, former des musiciens, des chanteurs, des danseurs...

L'aventure de la redécouverte et de la renaissance de la musique baroque après la deuxième guerre mondiale est probablement l'une des plus belles entreprises culturelles du siècle passé, conduite par des passionnés, des chefs comme Malgloire, Harnoncourt, Gardiner, Pinnock, Herreweghe et William Christie bien sûr ; des voix extraordinaires comme Lesne, Jacobs ou Bowman - mon préféré, sans conteste.

Cette aventure-là aura apporté à quelques-uns dont je suis un supplément de bonheur, de jouissance, de sérénité, dont Malgloire a sa part : M. Malgloire, je vous le dis comme je le pense, vous êtes un bienfaiteur de l'humanité !

Bon, à part cela, la soirée d'avant-hier n'était pas inoubliable. L'Orlando n'est pas l'opéra de Haendel que je préfère. Même si la partition est pleine de beautés, elle ne me transporte pas comme le Giulio Cesare in Egitto, mon Haendel préféré. Il y a, à mon goût, trop de tunnels et de langueur entre les coups d'éclat et les vertiges de sensualité ou de virtuosité qui font de Haendel, à mes oreilles, un des dix plus grands musiciens de tous les temps.

Restait l'incroyable magie de la voix des contre-ténors (on rêve toujours de savoir quelle serait la différence si l'angélique monstruosité de l'institution des castrats avait survécu). Malheureusement, Christophe Dumaux, qui tenait le rôle titre... On l'a senti tout de suite : le timbre est exceptionnel, la richesse des nuances prometteuse, la prestance en scène et la... beauté doivent faire miracle dans une version mise en scène, mais il lui manquait cruellement la puissance.

C'était la première fois que j'entendais ce chanteur dont la carrière est fulgurante. Je ne peux dire qu'une chose : il m'a séduit mais il ne m'a pas convaincu. Sans doute n'était-il pas en forme ce soir-là. Cela arrive à tout le monde, mais on avait mal pour lui à tendre l'oreille dès que l'orchestre prenait le relai des clavecins. La version concert ne pardonne rien : l'orchestre n'est pas dans la fosse mais sur la scène, derrière les chanteurs, si bien que... plus d'une fois, on a eu envie de demander à M. Malgloire de baisser le son.

Et la faiblesse de M. Dumaux était d'autant plus flagrante et cruelle que le reste de la distribution était impeccable : très belle basse d'Alain Buet, deux sopranos de grande classe, Mmes Eléna de La Merced et Yvette Bonner qui nous a gratifiés de moments de grâce pure, avec une mention spéciale à l'autre contre-ténor, Jean-Michel Fumas, dont la voix a sans doute moins de velouté, de raffinement, mais qui, lui, est audible sans effort depuis le poulailler, ce qui, tout de même, est la première des qualités au concert.