Ce site m’a déjà réservé quelques bonnes surprises, par les contacts qu’il génère, voici la dernière en date. Le 6 mars, un lecteur amoureux de la Grèce m’écrivait qu’il avait eu le regard attiré par la couverture du Plongeon, qu'il l’avait acheté sans plus regarder, puis qu'il avait eu un temps d’arrêt en l’ouvrant et en s’apercevant que les personnages étaient homos – ce qu’il n’est pas. Puis ce lecteur me remerciait d’avoir écrit ce roman, ajoutant quelques gentillesses qui vont droit au cœur de l’écrivain dont la nature est quelque peu égocentrique.

Mais ce premier échange m’avait aussi fait plaisir parce que, en quelque sorte, il validait ma volonté d’écrire des livres dans lesquels l’homosexualité soit très présente, ni frappée de malédiction ou vécue dans le malheur, ni soi-disant provocatrice ou prétendument dérangeante, des livres qui parlent de la vie des pédés d’aujourd’hui, naturellement en somme, parfois crûment même, mais qui ne soient pas des livres écrits par un pédé pour les pédés, qui mélangent à cet aspect-là les autres aspects de toute vie (les pédés, en tout cas moi et ceux que je connais, ne sont pas que pédés), des histoires où se mêlent la rumeur du monde, les tragédies de l'histoire et le vent du large.

Et puis voilà qu’hier, ce lecteur récidive et m’écrit qu'il vient de lire L’Or d’Alexandre. Et du coup, en lui répondant ce matin, j’ai eu envie de poster la partie qui suit de cet échange, parce que là encore, ce lecteur avisé touche un point fondamental, pour moi, dans le passage à l’acte d’écrire.

« J’avais bien aimé, m’écrit-il, le processus narratif du Plongeon, le présent puis le passé lointain, l'action évoluant dans le présent, le passé moins lointain, les petites touches de vie successives qui éclairent chacun des personnages. Ici vous avez choisi de donner « la parole » à chacun des interlocuteurs de façon successive et équilibrée : bien vu, cela nous donne une liaison directe, si je peux dire, avec le personnage.

Dans L'Or, on est aussi dans un déroulement de l'action et du temps plus classique, l’action se déroulant du début jusqu'à la fin dans la même durée du temps, avec quelques retours en arrière pour donner vie aux personnages, pour les expliquer, rien que de plus classique dans un trilleur (en passant, j’adore sa manière d’écrire ce mot, comme j’écris toujours coquetèle ou ouiquende : l’appropriation orthographique est une des voies pour sortir de l’impérialisme anglophone, pour refuser l’abdication des pédants actuels qui se croient modernes, alors qu'il ne sont qu'imbéciles, en truffant leur discours généralement creux de mauvais anglais) mais c’est très bien réalisé.

J'ai commencé L'Or jeudi soir tard après mon début de lecture de Courrier International, neuf chapitres pour commencer cela met bien en appétit, un autre chapitre dimanche soir puis vingt hier et fin du livre pour cette soirée. »

Outre qu’il est toujours valorisant qu’un lecteur vous dise avoir lu le pavé que vous avez mis deux ans et demi à écrire en trois « sessions », ce message m’a donc particulièrement touché ; voici pourquoi, dans la réponse que je reproduis ici parce que je me suis dit (en toute modestie, pour laquelle je ne crains personne) qu’elle pourrait avoir un intérêt aux yeux de ceux qui en ont (de l'intérêt) pour mes livres.

« Merci pour ce nouveau message !

Que vous ayez ainsi enchaîné deux Delorme, et que vous ayez l'intention de poursuivre constitue le compliment qui peut toucher le plus un écrivain ! Puis-je vous dire que Le Château du silence est mon petit préféré ?... peut-être parce que, comme pour tous les parents, on chérit davantage celui qui a eu le moins de chance. Surtout parce qu'il s'agit du livre que j'ai écrit dans le plus grand état de nécessité, avec le plus grand sentiment d'urgence, le seul - jusqu'ici - que j'ai écrit d'un bout à l'autre à Nisyros et en ayant, parfois, le sentiment de n'être pas tout à fait seul derrière mon clavier.

Ce que vous dites sur la narration aussi me plaît beaucoup, parce que c'est cela qui, pour moi, est premier au moment où je me mets à écrire. Bien sûr, l'histoire, les personnages, le suspense ou l'humour sont également importants, bien sûr j'essaye toujours , comme le grand ancêtre Voltaire, "d'écrire pour agir" et j'ai toujours un ou des objectifs "politiques" en les concevant, mais je ne me lance jamais dans un nouveau roman tant que je n'ai pas l'idée de la structure narrative qui leur est indissociable à mes yeux. Et à cet égard, L'Or est le premier de mes livres qui soit linéaire dans son déroulement, la seule discontinuité étant l'alternance des voix et le choral de la fin.

C'était en quelque sorte pour moi un défi de ne casser le récit par rien (au contraire du journal intime du narrateur dans Les Ombres, des chapitres sur l'île, des procès-verbaux du capitaine et des flachebaques (aussi joli que trilleur, non ?) dans Le Plongeon, des poèmes en prose dans Le Château, des manuscrits décryptés de la vie non autorisée de saint Paul dans La Quatrième Révélation), même si l'histoire de Béatrice Obadia Nassi et celle de Slavko ne respectent ce principe que par artifice narratif. Cette linéarité m'avait jusque-là semblé intenable, j'avais peur d'ennuyer d'être incapable de maintenir la tension sans éclater d'une manière ou de l'autre le cadre narratif. Pour moi, cette fois, le défi formel était celui-là, et je suis heureux que vous estimiez que je l'ai bien relevé ! »