La première, mercredi, c’était au Théâtre des Champs Élysées, pour un très réussi Thésée de Lully (la musique) et Philippe Quinault (le livret).

Je suis un baroqueux depuis longtemps déjà – depuis que, à 16 ou 17 ans, j’ai découvert que le Te Deum de Marc-Antoine Charpentier n’était pas que le générique de l’Eurovision. J’aime le Grand Siècle, Racine, Saint-Simon, La Bruyère et les lettres de la princesse Palatine (pleines d’esprit, d’art du portrait, du cruauté sur la cour et les éternelles petitesses des grands hommes). Je considère Versailles comme une des dix merveilles du monde (malgré les aberrations du récent règne de la sinistre dame Albanel, ci-devant liquidatrice des politiques culturelles de ce pays ).

J’aime chez Louis XIV le jeune roi libertin, épris de danse, de lumière et de grandeur – le protecteur des arts et des plaisirs, le roi qui a fait lire, parler, rêver toute l’Europe en français. Sa volonté acharnée de domestiquer l’aristocratie. J’aime le roi qui fait passer la compétence avant le nom, qui s’appuie sur Colbert et Louvois, qui impose l’intérêt national aux féodaux.

C’est avec Louis XV et Louis XVI que la monarchie rompt le pacte qui unit le peuple et ses couches montantes au souverain. C’est la réaction aristocratique qu’ils ne savent empêcher ou que, par faiblesse, ils encouragent, qui engendre la révolution. Toutes choses que devrait méditer notre roi.

Je déteste chez Louis XIV l’époux de cette cul-serré de Maintenon (« la vieille ordure », « la vieille guenon » ou la « vieille ratatinée » sous la plume de la Palatine) qui assure le triomphe des cagots, la révocation de l’Édit de Nantes, les dragonnades et les horreurs des persécutions anti-protestantes, la cécité politique et la glaciation culturelle qui s’emparent de la France à partir du moment où le roi préfère aller à la messe qu’au théâtre, à confesse plutôt qu’au lit des belles :

« La cour devient si ennuyeuse qu’on n’y tient plus, car le roi s’imagine qu’il est pieux s’il fait en sorte qu’on s’y ennuie bien. C’est une misère quand on ne veut plus suivre sa propre raison et qu’on ne se guide que d’après des prêtres intéressés et de vieilles courtisanes ; cela rend la vie bien pénible aux gens honnêtes et sincères. » (Lettre de la Palatine du 1er octobre 1687).

Toutes choses que devrait aussi méditer notre pieux souverain.

Ce Thésée, lui, date de 1675 ; la période solaire du Grand Roi, alors qu’il n’est pas encore tombé dans les pattes des curés et de la vieille ratatinée. Solaire, comme la production du Théâtre des Champs Élysées et de l’Opéra de Lille où il sera monté en mars.

La partition est superbe, pleine de moments de grâce et de vitalité grandiose : tout ce que j’aime dans le baroque ! Et puis, pour l’auteur de L’Or d’Alexandre, que j’aurais pu intituler L’Or d’Athéna, la présence dans cette œuvre de « Minerve savante, guerrière Pallas », à qui est notamment dédié l’air sublime qui clôt le premier acte, fut en quelque sorte une divine surprise.

Rien à dire de la mise en scène due à Jean-Louis Martinoty : impeccable, classique, avec utilisation désormais rituelle de la vidéo (projections un peu longuettes et répétitives, malgré tout, de personnages venus des tableaux de Jérôme Bosch pour évoquer les tourments du Tartare déchaînés par la magicienne Médée). Mais rien non plus du choc (mon plus grand, au théâtre, toutes catégories confondues) que fut, il y a vingt ans l’Atys de l’Opéra comique dans la mise en scène de Jean-Marie Villégier – spectacle à jamais inoubliable, génial, j’ose le mot sans le galvauder, et que j’ai dû voir au moins trois fois.

La distribution elle aussi est impeccable : Jean-Philippe Lafont un peu déroutant au début, s’en tire très bien, Sophie Karthäuser est superbe, Paul Agnew... souverain. Nathan Berg, en Arcas, est mieux qu'irréprochable. Quant à Anne Sofie von Otter, à propos de qui, semble-t-il, il est de bon ton d’avancer qu’elle n’est plus ce qu’elle était, ce qu’elle est suffit en tout cas à mon oreille et à mon bonheur.

Encore faut-il dire quelques mots d’Emmanuelle Haïm, de l’orchestre et du chœur du Concert d’Astrée qu’elle dirige : on approche là de la perfection ! Elle et eux savent nous faire goûter tout des plaisirs ineffables que peuvent procurer les notes du divin Jean-Baptiste – des nuances les plus subtiles aux éclats les plus triomphants.