Rappelons une fois de plus que la Ve République est un régime parlementaire et non présidentiel. C'est le Premier ministre qui (article 20) détermine et conduit la politique de la nation et c'est pourquoi il est responsable devant le Parlement qui a la faculté de le renverser par une motion de censure. C'est lui et nul autre qui, lors d'un discours de politique générale suivi d'un vote de confiance ou en engageant sa responsabilité sur un texte qu'il juge capital, vérifie qu'il dispose de la confiance de la représentation nationale. Et il ne peut pratiquement gouverner s'il ne dispose pas de cette confiance. C'est notamment ce qu'ont démontré les trois cohabitations : la France fut alors gouvernée, contre les orientations du président, dès lors que la majorité parlementaire lui était également opposée, justement parce que la Ve République est un régime essentiellement parlementaire.

Les deux stupides révisions de 2000 et 2008, toutes deux de convenance (Chirac pensait pouvoir être réélu plus facilement pour un quinquennat que pour un septennat ; Sarkozy, égocentrique et admirateur maladif des Etats-Unis d'Amérique, entendait pouvoir singer à sa guise le discours sur l'état de l'Union du président américain, dans un régime politique radicalement différent de la Ve République) ont introduit un indicible désordre et une funeste confusion dans le fonctionnement d'institutions dont le but était de mettre fin à l'instabilité ministérielle de la IIIe République finissante et de la IVe, doublée d'une dictature des minorités et des appareils politiques que suppose le scrutin proportionnel (car ce ne sont plus, en système proportionnel, les électeurs qui désignent les élus, mais les appareils partisans qui distribuent les places éligibles sur des listes, comme va encore le montrer le scrutin pour la désignation des pseudo-députés au pseudo-parlement européen, et ce sont les groupes charnières, minoritaires ou ultra-minoritaires qui dictent leurs conditions pour faire et défaire les majorités) en rationalisant le fonctionnement du parlementarisme, non en lui substituant un régime de type présidentiel.

Les débats du Comité consultatif constitutionnel de 1958 sont là-dessus aussi clairs que la pratique constante de 1959 à la funeste instauration du quinquennat. Lorsque, en 1962, l'Assemblée nationale censure le gouvernement Pompidou, le président de la République dissout celle-ci, c'est-à dire qu'il demande au peuple de trancher entre sa légitimité présidentielle, distincte de celle de l'Assemblée, et la légitimité de celle-ci ; le peuple eût-il renvoyé une majorité conforme à celle qui avait censuré le gouvernement que de Gaulle, comme MacMahon en 1877, n'aurait eu d'autre choix que se soumettre ou se démettre.

L'exercice auquel se livre aujourd'hui ce qui tient lieu de président de la République est donc une simple aberration au regard de la logique de la Ve République comme des principes fondamentaux de tout régime parlementaire.

Ne peuvent et ne doivent s'exprimer devant la représentation populaire que ceux qui sont responsables devant elle et qu'elle peut congédier. Réduire la représentation nationale au rôle d'auditoire passif ne pouvant exprimer critiques et voeux pieux qu'après le départ de celui auquel elle répond est une stupidité doublée d'une absurdité. Ainsi, par exemple, le souverain britannique, dans un régime qui est la matrice de toutes les démocraties représentatives, ne lit-il devant son Parlement que le discours écrit par son Premier ministre, chef de la majorité parlementaire.

Il est pitoyablement savoureux de voir aujourd'hui des parlementaires indignes de leur mission cautionner cette guignolade et de voir s'indigner des membres de LR , fossoyeurs de la Constitution qu'ils prétendent défendre alors qu'il y a dix ans ils votaient presque comme un seul homme (avec 10 socialistes et radicaux) la révision constitutionnelle qui a permis cette guignolade. Il est risiblement pathétique de voir des élus socialistes dont l'honneur eût été, dès l'élection de Hollande, d'obtenir l'abrogation de cette révision aussi bête que nuisible, critiquer une pratique qu'ils ont cautionnée et continuent à cautionner.

Une fois de plus, Macron n'est qu'un symptôme et un aboutissement de la confusion mentale qui règne dans nos prétendues élites et du viol des principes élémentaires de la démocratie représentative (largement dû à l'appartenance à l'UE qui démonte, pierre à pierre, la démocratie que nous avons héritée de notre histoire) dont elles sont devenues coutumières par habitude de soumission européenne.

De sorte que l'absurdité devient la norme.

Et qu'on ne vienne surtout pas me chauffer les oreilles avec une VIe république qui conjuguerait l'impuissance impersonnelle chère à Mme Girard et le happening permanent. Nous avons besoin, en ces temps difficiles, d'une Constitution qui conjugue la démocratie, la responsabilité et l'efficacité : c'est exactement ce qu'était la Ve République, qui a fait la preuve qu'on pouvait gouverner dans la démocratie et avec efficacité dans des temps autrement troublés, avant qu'on la défigure par des révisions européennes ou en raison d'imbéciles et subalternes raisons de circonstance.