Henri Rousso a donné, le 8 avril, un passionnant entretien à ''Libération'' sur la manie mémorielle qui triomphe dans ce quinquennat d'impuissance, comme sur l'incapacité de l'Europe à se fonder symboliquement sur autre chose qu'un plus petit dénominateur commun et une négativité - ce qui ne fait ni une communauté de vie et d'avenir, ni un projet, ni une identité... et encore moins une identité attractive !

"Un tel investissement sur le passé est significatif d’une incertitude sur le présent. Les sociétés ou les élites politiques qui ont moins d’hésitation sur leur vision du présent et de l’avenir n’ont, en général, pas besoin de la mémoire au sens contemporain du terme. De Gaulle s’en moquait comme d’une guigne, il était dans la tradition…

(...) C’est bien de regarder son passé, mais pas au prix d’un aveuglement face au présent. Contrairement à l’idée sur laquelle s’est fondé «le devoir de mémoire» depuis les années 90, l’oubli n’est pas forcément négatif. Il fut le mode de gestion le plus traditionnel des traumatismes passés. L’histoire de mon père en est une banale illustration. Il y a aujourd’hui une illusion que le souvenir perpétuel nous prémunit contre la répétition des catastrophes."

Je pense cela depuis bien longtemps déjà ! Et je suis heureux qu'un historien de la qualité d'Henri Rousso le dise.

Déjà l'un des pères de l'Institut d'histoire du temps présent, le regretté François Bédarida, le répétait : plus on parle de mémoire et moins on fait d'histoire. C'est-à-dire que plus on se plaît dans le ressassement émotionnel, la délectation morose toute pétainiste à dénoncer nos "fautes", les bons sentiments, les repentances à deux balles, plus on se lamente sur le passé et moins on tente de l'éclairer pour comprendre le présent - et agir.

Pendant ce temps-là, en Grèce, la situation sanitaire continue inexorablement à se dégrader, comme le montre le rapport de Juan Pablo Bohoslavsky, expert indépendant auprès de l’ONU... et pendant ce temps-là, le gouvernement Syriza vient de finaliser, pour une bouchée de pain, le bradage à l'entreprise d'Etat "communiste" chinoise Cosco Shipping Corporation, l'ensemble du port du Pirée - bradage qui a provoqué aujourd'hui de sérieux incidents entre dockers et police, bradage dont Unité populaire, la scission antimémorandaire de Syriza détaille ici les enjeux.

Une trahison de plus - de ses engagements et des intérêts du peuple grec.

Avant son arrivée au pouvoir, en janvier 2015, Syriza avait fait une campagne d'affichage dont le slogan était : "Tu ne peux pas vendre quelque chose qui ne t'appartient pas ! La privatisation des ports ne passera pas !"

Mais ça c'était avant.

Enfin il faut signaler que Baptiste de Ricquebourg, qui publie sur son blog, la traduction en français d'articles importants parus dans la presse grecque, nous donne pour sa deuxième livraison un passionnant papier de Yerasimos Livitsanos, publié dans le Unfollow de mars 2016, consacré à une autre vision de la crise migratoire, géopolitique, intitulée : "L'OTAN en mer Egée – une manœuvre qui a eu le temps de mûrir".