Gaullien ! voilà le premier mot qui m'est venu à l'esprit, lorsque j'ai entendu Tsipras à la radio.

Ce n'était pas tout à fait en direct. Je m'étais couché vers 23h00 sur mon moni - le lit traditionnel du Dodécannèse - on y monte par un petit escalier ; autrefois, en hiver, on mettait les bêtes dessous pour assurer le chauffage central. J'avais lu pendant une bonne heure les passionnantes Histoires grecques de Maurice Sartre, éteint vers minuit...

Je me suis réveillé vers 3h30, pourquoi ? Ca ne m'arrive jamais ici. Frédéric était lui aussi réveillé, dans la pièce d'à côté, la radio à l'oreille. Lorsqu'il m'a entendu bouger, il m'a crié : - Tsipras a annoncé un référendum.

- Quoi ?

- Un référendum.

J'ai cru rêver.

- Sur quoi ? La sortie de l'euro ???

- Sur les propositions des institutions...

On s'est mis à discuter... une semaine avant le vote, c'est constitutionnel ? Je n'ai pas ma Constitution grecque ici. Pas de vraie campagne, quelles conséquences...

On ne s'est rendormit que lorsque le char d'Apollon pointait au-dessus de la presqu'île de Cnide. Le vieil Homère et l'aurore aux doigts de rose... Comment mieux dire les choses ? Hier, je me suis aussi replongé, pour mon prochain projet romanesque, dans Mémoires d'Hadrien... A vous décourager d'écrire, Yourcenar, tellement c'est beau, bien, juste...

Mais revenons à nos moutons.

Gaullien, Alexis. Devant un problème qui met en jeu l'avenir de la nation, devant le chantage des vautours, devant l'ultimatum de l'eurrocrature qui, chaque jour depuis cinq mois, montre un peu plus son hideux visage paratotalitaire - propagande, négation de la souveraineté des peuples, adhésion exigée à son projet européen de destruction systématique de l'Etat social et de la démocratie -, il en appelle au peuple.

Impardonnable pour l'eurocrature. Lorsque Papandréou en avait eu la velléité - le seul moment où il aurait pu s'élever au-dessus de son triste destin de laquais, de collabo, il s'était rapidement couché, avalant l'humiliation infligée par la patronne Merkel et son roquet Sarko qui lui avaient interdit de consulter le peuple sur le plan d'aide et lui avaient intimé l'ordre de ne le faire que sur la sortie de l'euro, puis se retirant devant un banquier qui faisait entrer l'extrême droite au gouvernement - pour la première fois depuis la chute de la dictature en 1974, et sans que cela n'émeuve personne à Bruxelles, à Berlin, à Paris.

Alexis, lui n'a pas cédé. Alexis n'est pas un Gauleiter d'une province périphérique de "l'Empire". Alexis n'est pas un comptable, c'est un politique. Il a préparé le kairos, et il l'a saisi. Il ose parler de souveraineté, de chantage, d'humiliation, de dignité.

Alexis, c'est Alexandre devant le noeud gordien. Un noeud indénouable, on le tranche.

Maintenant la parole est au peuple. J'espère qu'il donnera la bonne réponse : celle du courage, de la dignité, du refus de l'humiliation continuelle et de la mort lente, sans fin, que signifierait la perpétuation des politiques criminelles de déflation. C'est maintenant au peuple de dire - ou pas - le grand NON de Kavafis dont je parlais dans mon précédent billet. Le OXI, comme le firent les Grecs le 28 octobre 1940 face à l'ultimatum fasciste.

Dimanche nous avons écouté le débat au Parlement, retransmis toute l'après-midi et une partie de la nuit; en direct, sur l'ERT, qui avait été fermée par le collabo Samaras et qui a recommencé à émettre le matin du jour où je partais d'Athènes vers Patras.

Deux discours sortaient du lot, celui du ministre de la Défense, Panos Kaménos, des Grecs indépendants, ces gaullistes grecs qui ont eu le courage de transcender les clivages partisans pour appuyer et participer à la politique de sursaut national de Syriza et qui sont, depuis le début, bien plus proches des positions de la plate-forme de gauche que de celles de l'aile "modérée" de Syriza dont toute la tactique de Berlin et de Bruxelles visait à ce qu'elle trahisse pour gouverner, selon les Diktats de Bruxelles et Berlin, avec le parti fantoche Potami. Cette tactique-là aussi a échoué.

Kaménos a beaucoup parlé des îles, qu'étoufferait une nouvelle hausse de la TVA, au mépris du pribncipe de la continuité territoriales dont bénéficient toutes les autres îles européennes - à commencer par la Corse. Il a parlé des coupes budgétaires qui empêcheraient les avions de l'armée grecque de voler, les bateaux de sortir des ports... qui livreraient les îles grecques à la moindre provocation d'un pouvoir turc qui pourrait bien chercher dans l'aventure extérieure une solution à ses problèmes internes. Il a parlé en somme de salut public. Des sanglots dans la voix.

Et puis il y a eu le discours de Zoé Konstantopoulou, la présidente du Parlement, qui elle a parlé de la crise humanitaire, des mesures imposées par la Troïka qui sont contraires aux principes de la Charte des Nations Unies, d'une logique mortelle pour les plus faibles...

A côté de cela, les pitreries dérisoires de la droite, la rage du Pasok qui a perdu son âme et son honneur depuis si longtemps, et la bêtise à front de taureau du KKE (communistes orthodoxes) renvoyant une fois encore dos à dos Syriza et la droite étaient franchement pitoyables.

Maintenant la parole est au peuple. ici tout est calme. Les gens parlent beaucoup, avec passion. Dans un sens ou dans l'autre. Il y a ceux qui ont peur : on leur a tellement répété que recouvrer sa souveraineté monétaire entraînerait une catastrophe biblique ! Alors que les pays qui vont bien en Europe sont ceux qui ont su conserver leur souveraineté monétaire ! Alors que le reste de l'euro a plongé dans la croissance molle puis dans la récession sans fin en même temps qu'elle adoptait l'euro ! Et puis il y a ceux qui préfèrent vivre debout qu'à genoux, en obéissant, à la schlag, aux Diktats de Bruxelles et Berlin, même s'ils savent qu'il y aura une période difficile à passer avant de renouer avec la vie...

J'espère de tout mon coeur que les seconds seront, dimanche, plus nombreux que les premiers !!!