En réaction à mon billet d'hier, Dominic, un lecteur philhellène que je ne connais pas (encore ?) "en vrai", mais qui me fait le plaisir de lire et de réagir régulièrement à mes humeurs, disait qu'il avait la curieuse impression de se radicaliser.

Et je lui répondais que, garçon sage, bon élève, gaulliste, moi qui avais eu longtemps, dans le monde de ma jeunesse où régnait l'hégémonie intellectuelle de la gauche, le sentiment d'être classé "à droite" (même si je n'ai jamais pensé que le gaullisme, en tout cas le mien, fût fondamentalement de droite) par les bonnes âmes (qui sont devenues depuis, pour la plupart, des socialo-libéraux si peu socialos), j'avais aujourd'hui, presque chaque jour un peu plus, sans avoir fondamentalement changé d'idées sur le monde, l'histoire, l'économie, l'impression d'être devenu une espèce de gauchiste dans un univers devenu depuis trente ans celui d'un capitalisme mafieux de pure prédation, totalement insoucieux de justice sociale, totalement méprisant de la dignité humaine, et qui révèle ces jours-ci l'étendue des désastres qu'il est capable d'engendrer.

J'ajoutais que je me souvenais avoir écrit quelque-chose sur ce sentiment de radicalisation dans Les Ombres du levant, paru en 1995 mais pour l'essentiel écrit, avant d'être retravaillé à de nombreuses reprises, entre 1989 et 1992.

Or donc, hier soir, au lit, je suis allé y voir. Ce n'est pas si souvent que je rouvre mes livres. Et voilà donc ce que dit, à la page 301, mon vieux gaulliste de Granier d'Hautefort, retiré du monde sur son île grecque :

"Encore une fois, j'ai biché à le faire enrager en lui disant que, pour moi, la révolution reste une idée d'avenir. Mais je n'ai pas dit cela seulement par provocation. Car je crois fermement que la rétraction bornée sur ses privilèges d'une caste dirigeante, toutes fausses couleurs politiques confondues et fût-ce au nom de l'Europe, de l'entreprise ou de la compétitivité, ça finit toujours par un violent coup de pioche sur la tête des "élites" - histoire de leur remettre les idées en place pour une paire de siècles.

Le plus étrange, finalement, lorsque je considère ma ligne de vie, c'est que j'ai l'impression qu'elle va au rebours de la pente qui passe pour normale et vous emmène d'une jeunesse "de gauche" vers une vieillesse de plus en plus rétive au changement. Inverti aussi en politique, en somme."

Eh bien, je vais vous confier une chose : ça me fait plutôt plaisir de me trouver ainsi, à dix ans de distance, au mot près - et y compris le coup de pioche -, à ce point en accord avec moi-même !