Je suis sans doute trop historien... et sans doute aussi trop classique, mais je reste incapable de lire Céline en faisant abstraction des gens qu'il a tués à coups de plume. C'est-à-dire que je suis incapable de le lire ; je crois trop à la responsabilité de l'écrivain.

Je me souviens, au retour d'un spectacle aux Amandiers mettant en scène un brouillon du Voyage au bout de la nuit, un spectacle fort réussi, avoir pris la résolution de tenter de rouvrir, une énième fois, Le Voyage... et une énième fois, il m'est tombé des mains.

Je dois donc confesser qu'il n'est pas le moins du monde, pour moi, un grand écrivain. Un novateur sans doute ; mais il y a des novateurs qui ouvrent la porte sur des impasses. Je ne suis d'ailleurs pas vraiment sûr que la manière dont il a été unanimement porté aux nues pour son (prétendu) style (que pour ma part je trouve assez imbitable) n'a pas été pour partie (importante ? déterminante ??) l'effet d'un snobisme qui consistait à se donner un frisson canaille en déclarant qu'une immonde crapule était aussi un génie littéraire.

Ce dont je suis certain, en revanche, c'est que la République française n'a en aucun cas à célébrer cette immonde crapule.

Que des colloques, des spécialistes, des universitaires l'étudient le dissèquent, rien de plus normal.

Que le ministre de la Culture ait pu ne pas voir, quand on lui a soumis la liste des célébrations nationales qu'il y avait une totale et radicale incompatibilité entre ce qu'a été Céline et le fait que la République commémore officiellement sa mémoire, en dit long - hélas - sur l'incompétence de son cabinet qui aurait dû le mettre en garde contre une pareille monstruosité, ou bien sur l'insuffisance, le confusionnisme intellectuel et la l'incroyable légèreté du titulaire de ce portefeuille ministériel.

Il a vite réparé sa monstrueuse bourde, tant mieux.

Il eût été préférable qu'il ne la commît point.

Mais cette bourde en dit long sur le fonctionnement de l'Etat sarkozien qui s'est inauguré, rappelons-le, par un discours du tout nouveau président à la cascade de Boulogne où sont tombées des victimes de ce nazisme que Louis-Ferdinand Céline a si ardemment défendu et qu'il n'a jamais, le moins du monde, renié. On célèbre la Résistance tout en expulsant les Roms sur des critères ethniques et en démantelant systématiquement les acquis sociaux qui en sont issus, on fait pleurer Margot sur le cas extraordinairement ambigu de Guy Môquet arrêté alors qu'il distribuait des tracts contre la guerre impérialiste des Anglais, c'est-à-dire qu'on privilégie toujours le sentimentalisme sur la réflexion, on va à Londres pour commémorer le 18 juin et on ne voit pas de problème à valider une liste de commémoration nationale dans laquelle se trouve un des collaborateurs les plus violents, les plus venimeux, qui a embarqué sans les fourgons nazis afin d'échapper à la justice et qui na cessé, jusqu'à sa mort, de cracher sa bille nauséabonde et meurtrière.