Voici une semaine, j’étais sur le départ pour La Gaude (prononcer avec un o ouvert, comme les…, et non à la bourguignonne, avec un ô, comme les galettes de maïs bressanes de mon enfance), et je n’en ai pas encore écrit un mot.

Injustice ! car malgré l’azur qui manquait quelque peu sur la côte, nous avons été reçus comme des rois. Je ne dirai rien de l’hébergement que nous avait réservé le Maître Jacques de ce salon, Gilbert Lugara, du Panorama du livre. Rien, sinon, pour vous faire saliver, que nous avions une vue imprenable sur la Baie des Anges, un olivier (auprès duquel j’ai pu faire mes dévotions à Athéna), que nous sommes allés cueillir un citron pour en mettre une tranchette dans notre thé et que les fleurs d’oranger embaumaient !

Nous, en l’occurrence, c’est ma princesse byzantine et moi. Et ma princesse byzantine, c’est Marina Dédéyan , l’auteur de L’Aigle de Constantinople, que j’ai rencontrée (sur des passions communes… celle de la dignité humaine, notamment ; voir plus bas) aux Mots Doubs de Besançon, lors de la sortie de La Quatrième Révélation. Marina qui est devenue une amie au point qu’elle nous confie, à Frédéric et à moi, la garde du cochon d’Inde de son fils, nommée Miss Polémic : c’est dire l’étroitesse de nos liens ! C'est à elle aussi que je dois d'avoir rencontré Marc Menant, à Saint-Louis : tous sur Europe 1, samedi qui vient à 15h15 !

Gilbert est adorable, et l’équipe de bénévoles auquel il a su insuffler la passion est aussi efficace que chaleureuse. Comme à Saint-Louis pour Denise Fuentès, je veux redire ici combien, pour des auteurs comme moi, qui ont un lectorat (un lectorat qui s’élargit de livre en livre : merci à tous !) mais que la nomenklatura critique, dans sa quasi-totalité, ignore parce qu’il n’appartient, ni lui ni sa maison, au Milieu, doit aux salons, à la curiosité de leurs organisateurs, aux collectivités locales et aux amoureux des livres, bénévoles, qui donnent sans compter leur temps et leur énergie pour que, partout en France, le livre, les livres dans leur diversité, puissent rencontrer leur public. Dans une économie du livre de plus en plus marchandisée, c’est une chance incroyable que de permettre la rencontre entre des lecteurs en éveil, qui ne se contentent pas des conseils faisandés des médias, et des auteurs qu’ils ne connaîtraient pas autrement.

Bref, merci mille fois, Gilbert ! tout était parfait !

Et puis dès le samedi, m’attendait une merveilleuse surprise : la rencontre de Gérard et Bernard. Gérard est le garçon handi, qui voulut être archéologue, égyptologue lui, qui rencontra son Bernard la même année que moi mon Frédéric, qui, comme lui, sait un peu de copte, et qui a écrit le superbe papier du site handigay sur mon Or.

La rencontre de ces deux mecs fut pour moi bouleversante, riche, passionnante. De la volonté de chasser de sa vie celui qui vous aime lorsqu’on se retrouve handicapé à la préparation minutieuse du voyage à Amsterdam, de la sexualité au catholicisme familial qui voit dans le handicap une punition de l’homosexualité, Gérard se retrouve à ce point dans Philippe, et retrouve à ce point son Bernard dans Stéphane, que c’est pour moi profondément troublant.

Et puis nous avons pu passer du temps ensemble. Déjeuner. Et Gérard m’a raconté ; Bernard aussi. Moins. Le contrepoint du sourire qui apaise, de l’amour qui est resté fidèle, coûte que coûte, vaille que vaille. Qui a affronté simplement toutes les tempêtes parce qu’il aime son mec et que c’est l’évidence ! Une merveille de rencontre, je vous dis !!! Une merveille de rencontre que je dois à la rencontre initiale de Michel Robert… Quelle aventure humaine pour moi !

Avec en prime, puisque l’écrivain est avant tout un vampire, une moisson de fiches !

Pour le reste, le salon s’est fort bien passé. J’ai fait la connaissance du très sympathique Frédérick d’Onaglia qui, sur le stand, encadrait avec moi Marina : Marina et ses Dédé’s boys. On s’amuse aussi sur les salons, parfois, entre auteurs, en attendant nos lecteurs.

Mes copains niçois de l’association Polychromes m’ont enlevé deux soirées, pour deux dîners pleins d’amitié, d’échanges riches et de rires. Ils viennent de terminer un festival de film (avant que l’autre ne commence) qui fut un franc succès. Leur dynamisme joyeux, la variété de leurs activités, l’intelligence de leur conversation, leur enthousiasme à faire, montrent de quoi ce pays serait capable si ceux qui monopolisent le pouvoir, politique, économique ou médiatique, n’étaient pas si médiocres et si bornés dans la défense égoïste de leurs privilèges. Combien ce pays recèle de ressources, de générosité.

Le seul moment un peu hard de ce ouiquende fut celui de la table-ronde à laquelle j’étais convié, sur les tragédies de l’histoire. J’y ai parlé des spoliations des biens juifs bien sûr, mais il m’est revenu aussi une tâche plus difficile. En effet, parmi les tragédies que nous devions aborder, figurait le génocide arménien et, après une première intervention, pleine de nuances et de mesure, Marina Dédéyan dut partir prendre son avion... avant d’avoir pu répondre à sa contradictrice.

Car contradictrice il y eut. Pour qui il ne s’agissait pas de nier les massacres d’Arméniens mais, conformément à la variante la plus civilisée de la thèse turque, de les relativiser, de les « dégénocider » : en contestant leur ampleur (800.000 morts, assénés d’autorité, alors qu’il s’agit de la fourchette basse d’une estimation dont la limite haute est à 1.500.000), en usant d’arguments d’autorité pour discréditer d'emblée, sans laisser place au débat, les documents (certes discutés) les plus accablants, en niant absolument l’intentionnalité, et en faisant porter sur les Arméniens eux-mêmes, coupables de supposées trahisons vis-à-vis de l’Empire ottoman, la responsabilité de leurs malheurs.

En chevalier servant de ma princesse arménienne, il ne me restait plus qu’à partir à l’attaque. J'enfourchai donc mon blanc destrier. Je suis contre toutes les lois mémorielles – ce n’est pas à l’État de dire la Vérité en histoire. D’abord parce qu’il n’y a pas de vérité absolue en histoire. Mais il y a des erreurs. Ou des mensonges. J’ai donc repris point par point le discours que je venais d'entendre, défendu que le génocide dont furent victimes les Arméniens n'était pas un ensemble de massacres non coordonnés, résultat d'un quelconque malheur des temps - en quoi il se distingue radicalement des massacres d’Arméniens qui ont jalonné le XIXe siècle.

J’ai également essayé de montrer comment il prend logiquement place dans l’idéologie jeune-turque (puis kémaliste, Kémal terminant après guerre, en Cilicie et à Smyrne notamment, le sale boulot des Jeunes-Turcs), qui veut mettre fin à un Empire multinational pour créer un Empire turc, où les minorités (toutes ensemble majoritaires) sont sommées de se turquifier ou de disparaître, ce qui, au sud, permettra à la révolte arabe de se développer (voir, sur ce site, mon article sur les origines de la Grande Catastrophe ). J’ai dit qu’il se complétait de l’élimination moins systématique des Assyro-Chaldéens, des massacres et internement (signifiant souvent la mort par la faim, la maladie et l'épuisement : voir Terres de sang, le superbe roman de Dido Sotiriou) des Grecs de la frange occidentale et méridionale de l'Asie Mineure, et de la déportation des Grecs du Pont (accusés eux, d'avoir ravitaillé des sous-marins alliés) qui s'apparente par bien des points au génocide arménien.

J’ai rappelé que, dès le temps de la guerre, les télégrammes de l’ambassadeur américain Morgenthau attestaient l’organisation centralisée et intentionnelle des massacres (qui définit le génocide), que, dans une déclaration publique et officielle du 24 mai 1915, Français et Anglais dénonçaient des « crimes contre l’Humanité et la Civilisation » et en tenaient pour comptables les responsables jeunes-turcs, qu’un tribunal ottoman (entre la défaite et l’installation du négationnisme kémaliste comme vérité d’État) avait condamné ces mêmes responsables jeunes-turcs pour « les crimes commis lors de la déportation des Arméniens » par « une force centrale organisée composée des personnes sus-mentionnées, les a prémédités et fait exécuter, soit par des ordres secrets, soit par des instructions verbales ».

Ajoutons qu’en 1921, un tribunal allemand acquittera le jeune arménien qui vient de supprimer Talat pacha, le grand ordonnateur du génocide, en raison de ses responsabilités dans ce génocide… et qu’en 1943, Hitler restituera à Kémal les cendres du génocideur dont une avenue porte le nom à Ankara alors que ses restes reposent parmi les héros nationaux, à Istanbul, sur la colline… de la liberté !!!

Le moment fut rude. Je n’en suis pas mécontent.

Et puis enfin, pour terminer sur une note plus sereine, Gilbert nous avait aussi réservé une merveilleuse surprise : la soirée poétique du samedi soir. On nous distribua une liste de cent poèmes, le public demandait les textes et Thimotée Laine les interprétait. Superbement. Tout en laissant, de temps à autre, s'élever la voix d'un violon jouant Bach. Pindare et Ritsos, le récit de Théramène, " Le Mot et la chose " de l’abbé de L’Attaignant, Louise Labbé et " Le Dormeur du val "… Gherasim Luca que je ne connaissais pas et que Thimothée Laine m'a donné envie de découvrir.

Moment de grâce absolu. En remontant cette nuit-là vers mon olivier et mes fleurs d’orangers, alors qu’Athéna me faisait signe en passant dessus moi d’un coup d’ailes, j’avais celles d’Hermès à mes souliers.