Dans "notre" île, il y a notre village. Et notre village, comme notre île, comme le Dodécanèse fut occupé par les Italiens à partir de 1912. Avec l'arrivée au pouvoir de Mussolini, l'occupation se transforme en projet colonial : 16 000 colons italiens sont installés sur des terres spoliées aux Grecs, une base aéronavale est installée à Léros (où la ville de Lakki est construite selon les canons de l’architecture futuriste), l’italien devient l’unique langue officielle, les manuels scolaires en grec sont interdits, les activités nationalistes grecques réprimées, des monopoles concédés aux sociétés de la péninsule et des prêts accordés aux entrepreneurs italiens auxquels les Dodécanésiens sont contraints de s’associer, l'Etat fasciste subventionne les établissements où enseignent religieux et nonnes envoyés d’Italie, tandis que le gouverneur tente de forcer le clergé orthodoxe à rompre avec le patriarcat de Constantinople pour se placer sous l’autorité d’un patriarcat uniate installé à Venise. Puis, devant la résistance de l’Église locale, il supprime les privilèges ecclésiastiques, interdit aux évêques d’ordonner de nouveaux prêtres, empêche que soient pourvus les sièges épiscopaux vacants : mort en 1934, le métropolite de Kos n’aura de successeur qu’en 1947.

Le patriotisme grec des douze îles n'en sera que stimulé et, le 28 octobre 1940, lorsque le dictateur grec Metaxas, proche de l'Axe idéologiquement, repousse l'ultimatum du dictateur de Rome, beaucoup de Dodécanésiens quittent leurs îles pour aller combattre l'agression italienne dans les rangs de l'armée grecque. Mussolini, outré de n'avoir pas obtenu Nice, la Corse, la Savoie, la Tunisie, la Syrie et le Liban lors de l'armistice français, blessé qu'Hitler ne l'ait pas prévenu de l'entrée des troupes nazies en Roumanie lors de leur rencontre récente au Brenner, convaincu que l'invasion sera une promenade de santé, décide d'attaquer la Grèce. Mais le 28 octobre 1940, le fascistoïde Metaxas dit Non (OXI) au fasciste Mussolini - ce Non que Tsipras a exploité l'an passé.

Tournant de la guerre, car le pays se soulève dans l'enthousiasme patriotique, le PC, pourchassé par le régime Metaxas, s'engage dans le combat patriotique, les Italiens sont repoussés loin à l'intérieur de l'Albanie, malgré la supériorité écrasante en hommes et en matériel de l'armée italienne. De sorte que, au printemps 1941, Hitler est contraint d'intervenir pour empêcher la défaite de son allié... et de différer l'offensive contre l'URSS. La résistance héroïque de l'armée hellénique, puis celle de la Crète, empêcheront les Allemands d'arriver devant Moscou avant l'hiver, tandis que la Résistance intérieure, rapide et massive, ralentira le ravitaillement de l'Afrikakorps qui menace le canal de Suez.

A Emborio, notre village à Nisyros, il y a, dans une maison ruinée qui abritait alors un café, une "fresque" réalisée à cette époque. Dans cette île sous occupation italienne depuis 1912, on voit le serpent italien ramper vers les drapeaux grecs, entre les hampes desquels est inscrit : Enosis (Rattachement, sous-entendu à la Grèce), au-dessus : la date du 28-10-1940, et le "OXI" (Non).

Le patriotisme ordinaire en somme ! Ou comment rien n'est jamais perdu lorsqu'on refuse de céder aux fausses fatalités...