Que n'entend-on pas sur les médias dominants depuis que Tsipras a remanié l'équipe des négociateurs avec les créanciers ! En résumé : cette fois, c'est sûr, il capitule, puisqu'il désavoue et met de côté Varoufakis !

Le problème c'est que tous ces journaleux qui exultent ne connaissent rien à la Grèce, ni rien à Syriza ! Mais rien. Ils se contentent de réciter leurs mantras eurolâtres, et de penser que, parce qu'ils le disent, ce qu'ils disent va arriver.

Si ces journaleux étaient journalistes, s'ils se documentaient avant de baver de l'encre et de vomir leurs mensonges sur les ondes, que diraient-ils donc ?

1/ Que Varoufakis est une espèce d'électron libre dans la galaxie Syriza, qu'il n'a pas ou peu participé au travail collectif d'élaboration du programme économique du parti, qu'il est arrivé à son poste grâce, semble-t-il, aux relations personnelles qu'il avait avec Tsipras, non parce qu'il représente quelque-chose dans Syriza. Par ailleurs, s'il a du brio, son côté provo lui a valu ce qu'il n'est pas exagéré de qualifier de haine de la part de ses "collègues" de l'Eurogroupe. Du coup, son équation personnelle risquait de troubler des tractations qui la dépassent. Le remaniement de l'équipe des négociateurs vise donc à la fois, sans doute, à calmer un jeu devenu excessivement polarisé par le facteur personnel, et à "protéger" le ministre sur lequel s'exercent des pressions dont on imagine combien elles peuvent être difficiles à supporter.

2/ Varouf n'est pas un radical ni un jusqu'au-boutiste : au contraire ! Sa ligne est plutôt conciliante par rapport à bien des économistes syrizistes. Un ami qui connaît bien mieux que moi ce parti, et que j'ai consulté pour avoir son avis sur le remaniement de l'équipe, me l'a décrit comme "un macro-économiste financier qui n'a pas compris que la dette n'est pas un problème centralement financier mais est le résultat du "mal-développement"."

3/ Avant hier soir à la télévision, Tsipras a fait l'éloge des qualités de Varouf, mais il a aussi critiqué certaines de ses idées... que j'ai moi aussi trouvées parfois baroques et critiquables, tenant du gadget un peu rapidement présenté comme une solution... Ainsi de son "projet" d'installer des caméras ou d'embaucher des enquêteurs volontaires pour dissuader ou dénoncer les commerçants tentés de frauder à la TVA. Tsipras a dit à ce sujet qu'il lui semblait plus efficace d'encourager l'usage de la carte bancaire ; on ne saurait lui donner tort.

4/ Pour que le remaniement soit un signe de capitulation, il faudrait que le promu, Euclide Tsakalotos incarnât une ligne de capitulation. Or, comme le relève Stathis Kouvelakis, membre de la plate-forme de gauche de Syriza, maître de conf en philosophie politique au King's College de Londres, le "discret" (qualité mise en avant par la presse dominante) Tsakalotos est "un fervent marxiste" et non le "marxiste erratique" que Varoukais a récemment revendiqué être. Tsakalotos n'est donc en aucune manière moins "radical" que Varoufakis - tout au contraire. Et selon une source inter à Syriza, "Varoufakis n'a jamais prononce dit un mot, durant les negociations, qui n'ait pas eu auparavant l'accord de Tsakalotos et de Dragassakis".

5/ Tsakalotos a en effet, contrairement à Varoufakis, été élu au Comité central, et avec un total de voix qui le place en deuxième position derrière Tsipras. C'est donc un des piliers du parti et l'une des chevilles ouvrières de l'élaboration de son programme économique. Lors du congrès de 2014, il a été un des signataires de la "motion des 53" qui se plaçait nettement à gauche du bloc majoritaire de la motion Tsipras, insistant sur le maintien d'une ligne de gauche radicale et sur le rejet de la tentation d'un discours plus modéré censé attirer un électorat de centre-gauche. Kouvelakis précise en outre que, si Tsakalotos n'est pas un partisan de la sortie de l'euro, il l'est d'une ligne de rupture avec l'austérité et considère le défaut sur la dette comme une option sérieuse, ce que confirment ses dernières déclarations. On peut lire ici un entretien qu'il a donné à L'Humanité peu avant les élections de janvier dernier.

6/ Tsakalotos a déclaré qu'il n'avait aucune intention de remettre en cause les lignes rouges fixées par le gouvernement auquel il participe depuis le début puisqu'il est ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères chargé des Affaires économiques internationales ; il a en revanche reconnu, selon Kouvelakis, qu'une erreur a été commise lors de l'accord du 20 février, en n'y faisant pas inscrire la garantie de fourniture de liquidités - ce qu'a également relevé Tsipras dans son entretien télévisé.

7/ Enfin Tsipras a déclaré dans la même émission télévisée que, si la Grèce ne parvenait pas à un accord avec les créanciers compatible avec les engagements pris par Syriza et les Grecs indépendants devant le peuple, il aurait recours au référendum... et non à des élections législatives anticipées, vu le peu de temps qui nous sépare des dernières. Référendum pour entériner une capitulation, comme Papandréou naguère ? On peut tout de même en douter.

Si l'on considère l'ensemble de ces faits qui suggèrent une décision technique de repolitisation (Tsakalotos est plus "politique" que Varoufakis)/dépersonnalisation (le discret plutôt que le provo flamboyant, mais discret ne signifie pas plus "modéré"), non un changement de ligne, on constate à l'évidence qu'ils démentent le discours purement idéologique des médias dominants ici, donnant cette nomination pour preuve de l'imminent "tournant réaliste", c'est-à-dire la capitulation tant espérée du gouvernement Syriza/grecs indépendants - ce qu'ils annoncent toutes les semaines depuis le soir du 25 janvier. C'est en effet déjà ce que disait ce soir-là le soi-disant journaliste, à côté de moi sur I Télé, alors qu'on ne savait pas encore si Syriza aurait la majorité absolue. On me regarda ensuite avec des yeux ébahis lorsque j'annonçai l'alliance avec les Grecs indépendants, avant de me demander comment cela était possible. Puis ces yeux s'écarquillèrent davantage encore lorsque je répondis que c'était possible justement parce que les Grecs indépendants étaient une droite souverainiste hostile à la capitulation et donc le seul partenaire de coalition possible pour une politique de résistance. Et lorsque j'indiquai que le choix d'une alliance avec Potami, le Fleuve, parti créé sans doute avec l'argent de Bruxelles et sûrement avec celui des oligarques des médias eurolâtres, ou avec le PASOK expirant aurait évidemment signifié une trahison plus ou moins immédiate des engagements - par et au nom de l'Europe, comme celle d'Hollande dès le lendemain de son élection -, on m'opposa que, "comme tout le monde", ce gouvernement-là serait tôt ou tard, de bon gré ou sous l'empire de l'inexorable fatalité (autre nom de l'Union européenne), contraint d'en revenir à la seule politique possible. Tina, toujours Tina. Rideau.

Depuis, le discours des médias dominants sur la Grèce ne consiste qu'à répéter, dans la plus pure tradition de la propagande, ce qui ne peut manquer d'arriver et d'interpréter chaque événement comme le signe de ce prochain et inévitable retournement. En l'occurrence, la nomination de Tsakalotos ne pouvait donc qu'annoncer, cette fois sans aucun doute, la désormais imminente et néanmoins glorieuse épiphanie de sainte Tina. Mais il ne s'agit, une fois encore, que d'une piteuse opération de désinformation, dont on ne sait si elle tient plus du penchant à prendre ses désirs pour des réalités ou de la volonté de faire passer les vessies pour des lanternes.