Et c'est une grande perte pour l'hellénisme, la science, l'humanisme.

Pour avoir eu la chance de l'interviewer longuement (en 2002 à la demande de le revue franco-hellénique Desmos-Le Lien qui a publié cet entretien dans son numéro 10-11), sur le thème "la Grèce ancienne pour penser l'avenir" je puis de surcroît témoigner de sa gentillesse, de sa bienveillance, de son exquise manière de vous mettre à l'aise, et de son incroyable familiarité avec les Anciens. Nous avions rendez-vous à 14h00. J'arrivai à 13h50 et la trouvai, confus, assis dur les marches d'escalier du hall de son immeuble : elle m'attendait là parce que, si elle m'eût attendu chez elle, le temps de trouver l'interphone avec ses yeux qui ne voyaient plus guère, elle m'eût fait attendre... quelques minutes !

Au fil de notre entretien, Mme de Romilly m'avait cité Hésiode, et j'avais eu l'incroyable surprise en retournant au texte lors de la mise au point la version écrite de notre entretien de constater qu'elle l'avait cité... littéralement, sans la moindre approximation. Ses yeux l'avait trahie, pas sa profonde connivence avec ses écrivains qui sont si loin et dont le message est souvent si actuel. Je lui avais également demandé si, pour les conférence qu'elle préparait alors sur Hippocrate, elle se faisait aider par un étudiant qui aurait sans doute été ravi d'un tel privilège. Elle m'avait aussitôt répondu que non, qu'une telle aide eût pu se transformer en handicap si l'étudiant n'avait pas rangé à sa place exacte chaque livre dans sa bibliothèque et que d'ailleurs, sa véritable bibliothèque était sous ses cheveux blancs, qu'elle n'avait besoin de l'autre que pour des vérifications, qu'à cela ses yeux presque éteints, mais pas totalement, et sa machine à lire suffisaient.

Mme de Romillly était de ces rares remparts qui nous restent contre la barbarie qui nous menace chaque jour un peu plus. Contre la barbarie de ceux qui, depuis des lustres, veulent la peau des études grecques et de l'humanisme et contre qui elle a lutté jusqu'au bout.

Aujourd'hui, je suis triste.

Que les dieux veillent sur vous, Mme de Romilly, et qu'Hermès, psychopompe, conduise avec cette douceur grecque à laquelle vous avez consacré un livre, votre âme jusqu'aux Champs élyséens, au-delà de l'Achéron.

Vous avez bien mérité de la Grèce, de la culture et de l'humanité !