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mercredi 24 septembre 2008

En France aussi la justice tue

Cette nuit, la Cour suprême étazunienne a suspendu l'injection létale qui devait assassiner légalement Troy Davis en Géorgie. Troy Davis est noir et a été condamné pour le meurtre d'un policier blanc. L'ordre des choses est donc respecté. Sauf que sept des neuf témoins sur la seule foi desquels il fut condamné, sans preuve, se sont rétractés depuis le procès, indiquant que leur témoignage n'avait été acquis qu'au terme d'intenses pressions policières.

Je vous rappelle au passage que nous sommes dans ce qu'il est convenu d'appeler la plus grande démocratie du monde... où un président peut être élu avec une minorité des voix des citoyens, à la suite d'une fraude massive, déclencher un conflit sur des mensonges et pour le plus grand profit des forces économiques qui bénéficient de la privatisation de la guerre, ne pas financer ledit conflit quitte à plonger le monde entier dans la merde, organiser la détention arbitraire et justifier la torture, etc. - ce qui lui vaut logiquement la fervente admiration de notre Caligula national.

La peine de mort est une monstruosité. Elle l'est d'autant plus quand il y a le plus léger doute. Lorsqu'elle est prononcée non sur des preuves irréfutables mais sur des critères raciaux.

Pourtant, il ne faudrait pas que l'alibi américain nous empêchât de voir ce qui se passe chez nous.

En plus des vies blessées ou détruites de ceux qui ont résisté, Outreau a fait un mort : François Mourmand, suicidé à 32 ans, mort de l'embastillement que constitue, aujourd'hui en France, la détention provisoire de citoyens d'une démocratie présumés innocents.

Car si la peine de mort est une monstruosité, la manière dont en France on emprisonne pour un oui ou un non, dans des prisons abjectes qui sont une honte pour notre République, en est une autre.

Il y a eu, après Outreau, une commission d'enquête, un grand battage, des excuses et des indemnisations... mais rien n'a changé. Rien que des gadgets et quelques caméras vide tombées en panne faute de crédits pour la maintenance.

La procédure judiciaire, elle, celle qui génère les Outreau, est toujours la même. Aucun encadrement sérieux de la détention provisoire n'a été institué autrement que sur le papier (c'est-à-dire qu'on n'a pas défini précisément ce qui peut vous envoyer en taule, qu'on a juste rajouté quelques juges dans le circuit, quelques juges qui, par solidarité de corps, ratifieront de toute façon la décision de leur "cher collègue" dans 90 % des cas). Aucune limitation de l'arbitraire de la violence inouïe qu'est une garde à vue n'a été introduite. Trop de lieux de privation de liberté demeurent des endroits immondes, totalement indignes d'une réelle démocratie.

Chez nous, la peine de mort a été supprimée en 1981 mais elle s'applique chaque année sur les plus faibles de nos concitoyens, souvent avant même qu'ils aient été jugés, à cause de la manière dont est "organisée" notre procédure pénale et notre système pénitentiaire.

4 août 2008 : un homme de 30 ans, condamné à huit mois de prison, est ranimé de justesse après avoir été retrouvé pendu dans sa cellule au centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier, près de Lyon ;

9 août 2008 : un jeune homme de 21 ans, en détention provisoire, donc présumé innocent, se pend à Fleury-Mérogis ;

15 août 2008 : un jeune homme de 21 ans est retrouvé pendu dans sa cellule à la maison d'arrêt de Caen et meurt quatre jours plus tard ; il n'avait pas été jugé, il était donc présumé innocent, son casier judiciaire était vierge et il venait d'apprendre la prolongation de sa détention provisoire ;

25 août 2008 : un détenu de cinquante ans est retrouvé mort dans sa cellule du centre de détention de Caen ;

10 septembre 2008 : à la maison d'arrêt de Rouen, un détenu de 26 ans, emprisonné pour conduite en état d'ivresse (est-ce vraiment en foutant les gens au trou qu'on leur apprend à ne plus conduire bourré ?) est assassiné par son "compagnon de cellule" de 20 ans, en détention provisoire, immédiatement placé en hôpital psychiatrique ;

19 septembre : un professeur se suicide après avoir subi une garde-à-vue à la gendarmerie d'Hirson dans l'Aisne...

Plutôt que de se demander qui coller en taule, encore plus, encore plus longtemps, Sarkozy et Dati feraient mieux de réfléchir à la manière de garantir les droits élémentaires de l'homme face à un système judiciaire qui tue autant.

Pourquoi ne pas chercher à comprendre comment les Canadiens ont fait pour bâtir un des systèmes pénitentiaires les plus humains et les moins criminogènes du monde, alors que le nôtre génère la misère, la récidive, et le meurtre légal par suicide des détenus ?

Comment peut-on ne pas se poser la question de savoir s'il est bien nécessaire, normal, admissible de placer en garde-à-vue un professeur, avec tout ce que cela implique de violence psychologique, d'atteinte à l'honneur, à l'image de soi, d'interrogations sur ce qu'il va falloir ensuite affronter dans le regard des autres, seulement parce qu'un sale gosse arrivé en retard l'a accusé de lui avoir collé une torgnole - peut-être bien méritée ? La garde-à-vue, dans un tel cas, n'est-ce pas comme utiliser un pilon pour tuer une mouche ?

Le professeur était dépressif, croit s'exonérer le procureur. Mais comme à Outreau, la question n'est pas seulement l'inhumanité des acteurs de la procédure judiciaire, c'est l'abus de pouvoir permanent que permet la loi sur la vie de citoyens, encore une fois, en principe, mais en principe seulement, présumés innocents. Un abus de pouvoir qui, lorsqu'il s'exerce sur des personnes en état de faiblesse psychologique peut conduire au pire. La responsabilité n'en revient pas à la faiblesse psychologique, elle revient au système qui permet l'abus de pouvoir, qui permet l'inhumanité des acteurs de la procédure.

Il paraît qu'il y a dans ce pays une secrétaire d'Etat aux droits de l'homme. Je lui suggère donc, plutôt que de jouer les potiches décoratives lors de la réception en grande pompe des dictateurs qu'aime tant recevoir son patron, de reprendre les conclusions rendues en 1991 par la commission "Justice pénale et droits de l'homme" dirigée par Mireille Delmas-Marty, sur une réforme qui soit enfin autre que cosmétique du Code de procédure pénale, une réforme qui garantisse enfin autrement qu'en théorie les droits du citoyen face à une machine policière, judiciaire et pénitentiaire qui broie et qui tue, sans même à avoir à injecter quoi que ce soit ; je lui suggère aussi de faire en sorte qu'on n'emprisonne plus au lieu de soigner.

Car aujourd'hui, si tant de personnes meurent dans les prisons de la "patrie des droits de l'homme", c'est aussi qu'elles n'ont rien à y faire ; qu'elles sont MALADES, qu'on les colle en taule parce qu'on a coupé les crédits de la médecine psychiatrique qui se débat aujourd'hui dans une scandaleuse misère. Et que Melle Dati ferait mieux de se préoccuper de cela que de faire passer en jugement des gens que la médecine a reconnus irresponsables, au nom du "droit des victimes", qui s'apparente de plus en plus à la résurrection de pratiques aussi barbares que bibliques, dans le genre loi du Talion.

Il y a aussi une opposition, paraît-il, dans ce pays ; pourquoi ne s'indigne-t-elle pas face à une telle succession de morts qui ne peut être fortuite ? Où sont ses propositions en une matière tellement capitale au regard des principes fondateurs de notre Etat de droit ? Quelles sont ses réflexions sur une question qui devient critique pour la réalité-même de notre démocratie ? Est-ce moins important que de s'étriper pour savoir qui va devenir concierge rue de Solférino ?

Cinq morts en un mois et demi ! Mais enfin dans quel pays vivons-nous ?! et comment une telle répétition de scandales immondes ne provoque-t-elle pas une indignation démocratique au moins semblable à celle qu'a suscitée Edvige ? Attention, nous sommes tous menacés, tous susceptibles, un jour, à tort ou à raison, d'être happés dans cette broyeuse de vies ! Où sont les Mauriac de notre époque ? Comment peut-on s'indigner des injections létales outre-Atlantique et fermer les yeux et les oreilles sur les meurtres légaux qui se pratiquent ici ?

Et comment peut-on répercuter sans rigoler les rodomontades démagogiques de Caligula appelant à la punition des responsables de la crise financière ?! Des responsables... mais il en est, non ? avec Reagan, Thatcher, Bush, tous les économistes libéraux, les dérégulateurs de Bruxelles, demain les privatiseurs de la Poste, ses chers amis multi-millionnaires, les bénéficiaires du paquet fiscal, tous ceux qui ont pu vader comme des fous avec ce qu'ils n'ont pas versé au fisc grâce au bouclier sarkozien... Non ? Mais alors comment il va les trouver, Caligula, les VRAIS responsables ? Des Kerviel, c'est ça ? Et la punition ??? Il va en faire quoi de tout ce beau monde de responsables de la crise financière ? Allez hop, Rachida ! fous-moi tout ça au gnouf ! Ben mon colon ! ça va en faire de la surpopulation pénitentiaire en plus ! A moins qu'il ne songe à l'injection létale... Non mais vraiment, de la gueule de qui il se fout Caligula ?

samedi 20 septembre 2008

Euphorie dans les bourses

Je sais qu'il n'est pas très séant de se citer, mais là, franchement, je n'y résiste pas. Dans mon Or d'Alexandre, Philippe parlait ainsi de la bourse :

"Considérer la bourse comme un jeu ne signifiait donc pas que je m’y consacrasse de manière distraite. Cela supposait en revanche que j’en discernasse les règles. Les vraies, pas les apparentes. J’en dégageai quatre :

1/ les analyses rationnelles, fondamentale (de l’activité des entreprises) ou technique (des logiques mathématiques censées déterminer l’évolution d’un cours) ne sont que des pièges à gogos ;

2/ les analystes ne font jamais que justifier le lendemain les mouvements exactement inverses à ceux que, la veille, avec la même assurance, ils considéraient inéluctables ;

3/ spéculer sans vergogne ni scrupule sur la baisse d’une valeur que le marché massacre, même si on est persuadé que l’entreprise est saine et que l’action devrait monter (ou à la hausse, sur une valeur qui grimpe, même si, à l’évidence, il s’agit d’une daube sans avenir et mal gérée) ;

4/ seuls comptent l’estomac qui permet de réagir vite aux poussées d’hystérie, et le flair qui permet de sentir que les gros acteurs sont prêts à saisir n’importe quel prétexte pour inverser brutalement une tendance et tondre le petit porteur qui a toutes les raisons de la croire durable.

Ce ne fut pas simple. Mais ce renversement dialectique, en découplant le jeu de l’enjeu, me permit de commencer à vaincre les blocages logiques ou éthiques qui, dans cet univers irrationnel et amoral, ne peuvent conduire qu’à l’échec. Si bien qu’après avoir perdu juste un peu plus de 90 % de notre mise, je commençais à regagner du terrain et me trouvais psychologiquement prêt quand arriva le 11 septembre. Un œil rivé sur mes graphiques et l’autre fasciné, comme le commun des mortels, par les tours ladenisées, je vendis donc massivement à découvert ce jour-là. La v-a-d consiste à vendre des actions que l’on n’a pas préalablement acquises, avant de les « racheter » (mais le boursier dira, en bon chrétien, qu’il « se rachète »), avec de l’argent qu’on n’a pas davantage, une fois qu’elles ont suffisamment plongé. Car la baisse génère autant (parfois plus) de profits que la hausse et la bourse possède cette incomparable vertu de pouvoir transmuter des malheurs collectifs en bonheurs particuliers, des opérations terroristes bien sanglantes en occasions inespérées de booster son portefeuille, pourvu qu’on ait le cran de vader sans retenue sans même attendre l’apparition du premier cadavre à la télévision."

Eh bien, à la lumière des jours qui viennent de s'écouler, et en toute immodestie, je suis assez content d'avoir écrit cela il y a deux ou trois ans ! Hier, les autorités de marché américaines et anglaises, bien d'autres encore (mais pas les françaises !), ont ainsi interdit ces vad pour un certain nombre de valeurs et un temps limité, manifestant que la perversité intrinsèque de ces instruments financiers, comme celle des warrants et autres trackers, qu'on a laissé proliférer sans contrôle, est un des ressorts, parfaitement artificiels, de la crise actuelle.

Quant au concours de faux-culs auquel nous assistons depuis quelques jours il me fait ricaner... jaune il est vrai. Concours de faux-culs, entre politiques et journalistes s'indignant des excès du capitalisme financier et déplorant l'absence de régulation. Alors que les uns ont encensé régulièrement les autres, depuis vingt ans, d'avoir démantelé toutes les régulations existantes. Quand ils ne leur reprochaient pas amèrement de ne pas démanteler plus vite, davantage, les moyens qu'avaient mis en place les Etats, après la crise de 29, pour dompter le capitalisme, pour empêcher des excès qui ne sont pas le résultat de l'irresponsabilité d'un Kerviel ou de telle ou telle banque imprudente. Des excès qui lui sont consubstantiels.

Car ce qui est en cause, contrairement à ce que disait encore l'inénarrable Luc Ferry ce matin sur LCI (il n' y a pas de néo-libéralisme ! pour ce monsieur, c'est une invention d'esprit malade...), ce ne sont pas des excès du capitalisme, c'est sa nature. Ce qu'écrit aujourd'hui M. Soros qui, lui-même a tant participé à faire croire aux jobards que les petits peuvent aussi gagner à un jeu où ils sont toujours les dindons de la farce. Doublement, parce qu'ils y perdent leurs économies et que, comme contribuables, ils devront aussi payer les pots cassés par les capitalistes qui, eux, ne perdront rien.

Les marchés, professe Soros en substance, ne tendent pas vers l'équilibre comme on nous le répète depuis Reagan et Thatcher, avant de joindre le geste à la parole et de détruire tout ce qui retient les marchés d'atteindre naturellement ce mythique état pourvoyeur de félicité universelle. Ils tendent vers l'excès. Et quiconque suit d'un peu près la bourse ne peut avoir, honnêtement, d'autre analyse. "Les marchés" n'ont pas de nerf ; "les marchés" sont hystériques et moutonniers ; quels que soient les fondamentaux, ils perdent toute mesure, toute rationalité face à une panique (lundi) ou à une "euphorie" (hier) ; ils ne font qu'amplifier jusqu'à l'absurde, dans un sens ou dans l'autre, les mouvements une fois qu'ils se sont enclenchés.

Je n'ai jamais été marxiste ; je ne vais pas le devenir à 50 ans passés. Depuis que je suis en état de me faire une idée du monde, de réfléchir sur son histoire, j'ai toujours pensé que le libéralisme ne pouvait qu'aboutir à la crise de 29. Sous une forme ou une autre, en fonction du contexte, parce que l'histoire ne se répète jamais. Colbertisme, new Deal, keynésianisme, capitalisme rhénan, planification gaullienne, politique des revenus, protectionnisme raisonné, Etat interventionniste disposant de moyens d'action économiques... j'ai toujours cru, et je crois plus que jamais aujourd'hui, que le monde occidental, dans les années 50-60, a atteint le système économique le moins injuste, le plus humaniste auquel soit jamais parvenu l'humanité, celui qui a permis de concilier le moins inharmonieusement l'efficacité du capitalisme et l'exigence humaniste de justice.

La responsabilité de nos politiques depuis vingt ans est, sous prétexte d'Europe et de mondialisation, d'avoir démantelé ce modèle-là, en cédant à ceux qui n'avaient plus peur de la contagion communiste après la chute du Mur, et pour qui le temps était revenu de se goinfrer au dépens des pauvres et des classes moyennes qui avaient été les grands bénéficiaires du système mixte des décennies précédentes. Réaction libérale, plus que néolibéralisme - en France, Sarkozy en a toujours été un des chantres : réaction qui, aujourd'hui, comme toujours lorsqu'on lui laisse libre cours, nous conduit au bord du gouffre.

On va voir, la semaine prochaine à Toulon, si notre Caligula national peut prétendre au Nobel de ces faux culs qui hurlent au défaut de régulations après les avoir toutes éradiquées ! Mais à coup sûr il n'est pas le plus mal placé, vu sa participation, depuis vingt ans, à tous les gouvernements de droite qui ont dérégulé, vu sa campagne, vu son paquet fiscal qui prive aujourd'hui l'Etat de toute marge de manoeuvre budgétaire pour agir.

Sans compter que, personne ne l'a relevé, mais les subprimes c'est SA politique : rappelez-vous durant la campagne, ce face à face surréaliste avec une pauvre femme qui ne parvenait pas à trouver un appartement à louer parce que son salaire était trop bas : mais avec moi, Madame, vous allez pouvoir devenir propriétaire. La caméra de TF1 a vite zappé sur le regard effaré de la dame, et le journaliste qui servait la soupe, pas plus que les autres, ni le lendemain, ni après le début de la crise, ni aujourd'hui, n'a jamais mis ces propos de campagne sur la "France de propriétaires", sur les smicards qu'on voulait faire s'endetter pour qu'ils achètent leur logement, avec le mécanisme des subprimes. Et pourtant c'est bien exactement cette politique-là qui y a conduit !

mardi 16 septembre 2008

Panique dans les bourses

Depuis trente ans, la vulgate qu’on nous corne aux oreilles c’est que plus l’activité économique sera libérée de toute contrainte étatique, plus les marchés et les institutions financières seront libérés de tout contrôle, de toute entrave, plus les échanges seront libérés de toutes les barrières douanières, et plus l’humanité entrera rapidement dans les verts pâturages de la félicité universelle.

Pour atteindre ce paradis, il fallait bien sûr démanteler l’État-Providence, appauvrir les pauvres qui, on vous le promettait, deviendraient ensuite plus riches puisque le gâteau à partager serait plus gros, dépouiller les classes moyennes qui avaient perdu le goût du travail dans une fallacieuse sécurité (comme dit Mme Parizot, l'amour aussi est précaire), privatiser la Sécu, réduire les retraites à une misère, et surtout prendre moins aux riches qui le sont devenus, bien sûr, seulement parce qu’ils ont travaillé plus que la masse des feignants.

Il fallait aussi privatiser, détruire la planification, abolir le contrôle des gouvernements démocratiques sur la monnaie pour les remettre entre les mains de banques centrales prétendument indépendantes, c’est-à-dire idéologiquement favorables à un système économique qui fait de la pression sur les salaires la seule variable d’ajustement dans un monde où l’on a mis en concurrence des travailleurs ayant conquis des droits et des esclaves ; bref empêcher l’intérêt général d’avoir un quelconque moyen d’action sur l’économie.

Tout cela a été réalisé chez nous, indistinctement par des gouvernements de droite et de gauche – à certains égards d’ailleurs plus efficacement par ceux de gauche –, au nom de la modernité et sous couvert d’une construction européenne qui n’est plus depuis longtemps que le moyen le plus pratique pour des nomenklaturas politiques nationales parasitaires d’imposer aux peuples les choix dont ils ne veulent pas.

Ce discours est devenu hégémonique et, depuis vingt ans, on a assisté à une fabuleuse redistribution des richesses au détriment du travail, en faveur du capital. On a discrédité idéologiquement puis déconstruit pierre à pierre les modèles européens (capitalisme rhénan ou système mixte de la France gaullienne) d’une économie de marché tempéré par un rôle important de l’État, garant de l’intérêt général, dont le but n’était pas le profit maximum de quelques-uns mais la plus juste répartition possible des fruits de l’effort de tous.

On a dérégulé ; on a vendu au privé des entreprises qui avaient été construites par l’investissement de la nation, qui servaient l’intérêt collectif, afin d’en faire des machines à cash seulement gouvernées par l’intérêt à court terme du plus fort rendement possible pour l’actionnaire.

On a vendu Elf à Total, GDF à Suez privatisée, demain on bradera EDF à quelque autre capitaliste, on poursuivra la privatisation du nucléaire, privant l’État de tout instrument de politique énergétique à une heure où il est vital d’en avoir une, face à Gazprom, face à la Sonatrach et à des producteurs qui défendent légitimement leurs intérêts.

Aujourd’hui, on privatise la poste ; en organisant l’inefficacité de l’Éducation nationale, on privatise déjà l’enseignement ; demain on va « ouvrir » le marché des transports : Air France va pouvoir faire circuler des TGV, la belle affaire ! Et Bruxelles veut casser le monopole de la RATP paraît-il ! Et permettre aux pauvres de se ruiner en jeux et en paris au profit d’entreprises privées : priorité des priorités, on en conviendra ! Mais en ayant forcé depuis vingt ans la SNCF à se plier aux lois du marché, où en est-on arrivé ? À un sous-équipement dont les banlieusards constatent chaque jour les ravages quand ils doivent prendre le train et le RER, à des TGV cloués sur place parce qu’on a pas investi dans la structure. La logique du privé qu'on a imposée à la SNCF depuis vingt ans est en train de rapprocher insensiblement ce qui fut une des plus modernes entreprises ferroviaire du monde, de l'état lamentable des chemins de fer privés britanniques.

On a abdiqué tout moyen d’agir sur la monnaie au profit de la BCE, de dévaluer si besoin est, comme le font les Américains quand ils le jugent nécessaire ; on s’est emprisonné dans les dogmes de Maastricht qui enlèvent toute marge de manœuvre aux gouvernements en période de crise.

On a enlevé à l’État tout moyen d’action sur la sphère financière, permis toutes les dérives de banquiers irresponsables. On a inventé des produits financiers d’une perversité inouïe, transformé la bourse – dont le but est de financer des entreprises produisant des richesses – en un casino où l’on « parie », à la hausse comme à la baisse, où il n’y a plus ni bon sens, ni rationalité des choix, ni garde-fous. Où des entreprises dont la valeur n’a pas changé, dont la richesse qu’elles produisent continuent à l’être, peuvent perdre 15 % ou 30 % en deux jours. Vous avez remarqué comme les libéraux vous ont asséné, dans les années 90, que les investissements calamiteux du Crédit Lyonnais condamnaient, dans son principe, l’économie mixte, l’irresponsabilité de l’État actionnaire, etc. Mais comme ils ne vous assènent pas que la crise actuelle remet en cause, dans leur principe, les politiques libérales menées depuis vingt ans.

Non ! ils vous disent juste que, pour éviter la crise, il faut que, après avoir privatisé les profits, on nationalise les pertes.

Pendant vingt ans on a privatisé les profits au détriment des projets collectifs, en considérant l’intérêt général comme une vieillerie idéologique à ranger au musée du marxisme. On a nié qu’il existât une troisième voie entre le libéralisme et le dirigisme. On a démantelé systématiquement tout ce qui avait permis d’avancer dans cette voie-là.

Aujourd’hui, on se lamente sur la crise financière, on joue l’ahurissement, on essaye de se rassurer comme on peut. Mais cette crise n’est pas fortuite. Comme celle de 1929, elle est le résultat d’une politique, celle de Reagan et de Thatcher ; celle dont, Sarkozy, avec son paquets fiscal, son bouclier fiscal, illustre mieux encore que ses prédécesseurs la stupidité, parce qu’il est à contretemps. Une politique qui, depuis vingt ans, ne considère plus que les moyens de produire du profit. Qui a totalement oublié les fins collectives, l’idée de l’homme, que ce profit doit servir ; les mécanismes, les contrôles, les entraves, les interventions étatiques et démocratiques nécessaires qui doivent permettre d’atteindre ces fins.

Et maintenant, comme dirait le camarade Lénine : Que faire ? Comment reconstruire ce qu’on a systématiquement détruit depuis vingt ans ?

C’est peut-être ce que devraient se demander les socialistes plutôt que de s’étriper pour savoir qui sera le syndic de faillite !… À cet égard, j’ai entendu Vincent Peillon, la semaine dernière, sur France Culture. Je ne sais pas pourquoi il est derrière Ségolène, parce que ses propos m’ont semblé à l’exact opposé de l’action de la dame, mais, en l’entendant, je me suis dit que tout n’était peut-être pas perdu si certains commençaient à songer au réarmement idéologique, à la réflexion sur la manière de rompre avec la gestion des affaires courantes, en se coulant dans le moule libéral et en tâchant d’en limiter les dégâts – ce qui est illusoire –, sur la manière d’imaginer, à partir du passé, ce que pourraient être les moyens à redonner à l’État pour lui permettre de reprendre son rôle et de faire prévaloir, de nouveau, l’intérêt public sur les intérêts privés, de réorganiser une économie de marché selon d’autres normes, sociales et écologiques, que le profit.

samedi 13 septembre 2008

Nisyros, Yourcenar, Benoît XVI, saint Paul et l’éloge de la bêtise (1)

Bon, voilà, ça y est, je suis rentré. Choc thermique. Déjà ras-le-bol de la grisaille. Déjà affamé de lumière.

Parce qu’il y a déjà presque trois semaines que je suis rentré. Mais je n’ai pas pu reprendre ce blog, tout à la rédaction d’un article que je dois rendre lundi à La Documentation française, sur la Grèce depuis le début du XXIe siècle, aux mille choses à régler après deux mois d’absence, à commencer par celles que j’avais laissées derrière moi, en partant, après ce printemps où je n’ai cessé de courir après le temps.

J’aurais tant de choses à écrire sur ces deux mois à Nisyros ! Il n’est pas si courant qu’un rêve de trente ans se réalise et, grâce à mon homme, cette maison qui est désormais à nous, cette cabine de bateau échouée sur la lèvre d’un volcan avec balcon sur l’Égée, c’est bel et bien un rêve de trente ans qui s’est réalisé. Et je ne rêve maintenant que d’y retourner, pour y passer le début de l’année avec mon homme, pour écrire en mai et juin prochains, pour y vivre autant que je peux.

Donc tout fut bien. Nous en avons profité pour marcher, pour le farniente, qui, bien sûr, n’est pas ne rien faire, mais cultiver le temps qui passe avec amour, pour jouir de la mer, pour se gaver de figues et en faire quelques bocaux de confites, pour boire l’ouzo en regardant de notre balcon les côtes de l’immense Asie hostile se nimber d’un incroyable rose, s’enfoncer dans un sfumato à rendre dingues tous les maîtres de la Renaissance…

Nous en avons profité pour nous couper du monde : j’ai dû parcourir trois fois Le Monde en deux mois. Et ça fait un bien fou : on a soudain l’impression que les conneries de Sarko, les crimes de Bush ou les contorsions de Jack Lang relèvent d’une autre dimension. L’impression… Il y a Internet bien sûr, mais Internet au café Internet de Mandraki, face à la mer et un ouzo à la main (on a fait que picoler ? « que », non, mais on a bien picolé, oui et alors ?!), ce n’est plus vraiment Internet !

Bon, c’est vrai, on n’a pas coupé tous les ponts non plus, et on a arrosé dignement le passage de L’Or d’Alexandre à La Fabrique de l’histoire, sur France Culture, ainsi que l’entretien de deux pages que Marc Alpozzo a réalisé pour ''Le Magazine des livres'' de la rentrée littéraire – deux pages dont l’ami Gérard (le pacsé du trottoir) nous a immédiatement envoyé le scan.

J’en ai surtout profité pour me remettre à écrire – je suis rentré avec trente pages ; pour me remettre à lire, enfin, après tant de mois où le temps a manqué, où l’esprit refusait de se laisser circonvenir, toujours pris par les urgences, les déplacements, les soucis parasites. À dévorer. Peut-être, si j’en ai le courage, dans les semaines qui viennent, publierai-je quelques notes sur ces lectures estivales. La plus marquante, je la dois à un très cher ami, un certain Philippe-Jean : mais comment un roman de Yourcenar, le dernier, avait-il pu m’échapper jusqu’à aujourd’hui ? Je n’en suis pas encore revenu : Un Homme obscur, si vous ne l’avez pas encore lu, lâchez tout et courez l’acheter.

Ainsi des pages 53 et 54 (dans l’édition Folio) : « Oui ces paraboles nées dans les champs ou sur les bords d’un lac étaient belles ; une douceur s’exhalait de ce Sermon sur la Montagne dont chaque parole ment sur la terre où nous sommes, mais dit vrai sans doute dans un autre règne, puisqu’elle nous semble sortie du fond d’un Paradis perdu. Oui, il aurait aimé ce jeune agitateur vivant parmi les pauvres, et contre lequel s’étaient acharnés Rome avec ses soldats, les docteurs et leur Loi, la populace avec ses cris. Mais que, détaché de la Trinité et descendu en Palestine, ce jeune Juif vînt sauver la race d’Adam avec quatre mille ans de retard sur la Faute, et qu’on allait au ciel que par lui, Nathanaël n’y croyait pas plus qu’aux autres Fables compilées par des doctes. Tout allait bien tant que ces histoires flottaient comme d’innocentes nuées dans l’imagination des hommes ; pétrifiées en dogmes, pesant de tout leur poids sur la terre, elles n’étaient plus que de néfastes lieux saints fréquentés par les marchands du Temple, avec leurs abattoirs à victimes et leur cour des lapidations. »

Ah ! Marguerite… En entendant le pontifiant pontife, tout à l’heure aux infos, je me suis rué sur son Homme obscur pour relire ce passage qui colle si bien à ce vieillard engoncé dans ses surplis aussi amidonnés que sa pensée.

A l'intention de ceux qui veulent savoir pourquoi… ce billet à une suite.

Nisyros, Yourcenar, Benoît XVI, saint Paul et l’éloge de la bêtise (suite et fin)

Déjà hier, notre très catholique président (ça ne doit pas être facile tous les jours pour ce grand catholique, que l'Église qu’il aime tant et qui définit mieux que les instits le bien et le mal, d'être condamné sans appel et interdit de Sainte Table pour ses deux divorces !) m’a fait grimper au lustre avec sa laïcité, ouverte, ou rénovée, ou modernisée, on ne sait plus. Il n’y a qu’une sorte de laïcité : celle qui refoule la religion hors de la cité, celle qui lui interdit d’interférer dans l’État ; celle qui la tient étroitement cantonnée au domaine du privé. Et cette laïcité-là, depuis que Jack Lang a permis aux financements de l’enseignement confessionnel d’exploser, on l’a déjà bien trop ouverte, rénovée, modernisée… on l’a surtout bien trop violée.

Et pourtant ce matin l’inénarrable et pontifiant pontife a battu notre Sarko national dans les grandes largeurs ! Au passage, il faudrait exiger une bonne fois des médias qu’ils arrêtent de se comporter à l’égard de ce type, qui n’est ni saint ni père, comme s’il était le directeur de conscience des Français : il y avait deux cent mille Français ce matin aux Invalides, et alors ? est-ce parce que le PC est toujours capable d’organiser la Fête de l’Huma que son existence signifie encore quelque chose ?

Mais revenons à Benoît et à cette première épître aux Corinthiens du sinistre Paul de Tarse dont il fit ce jour d'hui le laborieux commentaire de texte devant une foule ébaubie. Les lecteurs de La Quatrième Révélation savent ce que je pense de Paul : il est le fondateur de tous les totalitarismes, parce qu’il a fondé le premier. Dans l’épître en question (6, 10), précision destinée à tous ces pédés qui se veulent ou se croient chrétiens, notre zélateur du Dieu d’amour et de miséricorde, dont toutes les épîtres transpirent la haine et suent l’anathème, nous informe, entre autres joyeusetés, que « ceux qui se livrent à la débauche, adorent les idoles, pratiquent l’adultère, les mous efféminés et les mâles qui se vautrent avec des mâles dans le même lit, les voleurs, les avaricieux, les ivrognes, ceux qui blasphèment et font preuve de cupidité, aucun de ceux-là n’héritera du royaume de Dieu », avant de préciser, dans celle aux Romains (I, 26-32) que lesdits mous efféminés et mâles se vautrant etc., « méritent la mort ». Dieu d’amour et de miséricorde…

Bref, ce soi-disant grand intellectuel qu’est Benoît XVI n’en avait pas après ces mâles-là aujourd’hui, mais après les idoles, ce qui, on en conviendra, est d’une actualité brûlante.

Ironie facile diront certains, car l’exégèse c’est justement de nous dire ce que Paul n’a pas dit et de cacher ce qu’il a dit mais qui gêne parce que c’est monstrueux, en faisant croire que les idoles qu’ils dénoncent en cachent d'autres, que ses prurits d'intolérance n'en sont pas et que ses élucubrations émises devant des païens généralement confondus par tant de bêtise, par un type persuadé que le Jugement dernier est pour demain ont encore le moindre sens dans le monde d'aujourd'hui. Soit. Mais alors quelle est cette actualité ? Écoutons Benoît :

« L’argent, la soif de l’avoir, du pouvoir et même du savoir n’ont-ils pas détourné l’homme de sa Fin véritable, de sa propre Vérité ? »

Autrement dit, soyez cons et ignares et vous serez sauvés. Bien sûr, tous les médias vont relever que la pape a condamné le capitalisme sauvage – l’argent et la soif de l’avoir –, aucun ne relèvera l’ironie qu’il y a à condamner la soif du pouvoir devant le très catholique Sarko.

Mais la soif du savoir qui détourne l’homme de sa Fin véritable et de la Vérité ?

On savait déjà que l’arbre de la Connaissance est à l’origine de tous les malheurs de l’humanité. On savait aussi qu’heureux les simples d’esprit… et qu’il vaut mieux chanter « des psaumes, des hymnes, des chants inspirés » (Paul, épître aux Colossiens, 3, 16-17) que se « laisser ravir par la philosophie, vaine supercherie » (Idem, 2,8), qu’il vaut donc mieux prier et croire que chercher à savoir. On savait encore que la très chrétienne Sarah Palin (elle me plaît beaucoup, celle-là aussi ! vous allez voir qu'on va regretter Bush de la même façon que Sarko est parvenu à nous faire regretter Chirac...) est une adepte du créationnisme, tellement en vogue chez les plus réactionnaires protestants comme chez les islamistes turcs promis à une entrée dans l’Union européenne, mais dont la forme cultivée, le dessein intelligent, fait sûrement son chemin dans l’Église catholique, sous la houlette de l’archevêque de Vienne, le cardinal Schönborn, et avec la bénédiction du grand intellectuel Benoît.

Maintenant on est fixé : le savoir c’est mal, et c’est Benoît qui le dit. Ça valait le coup de le recevoir en grande pompe et de réunir autour de lui deux cent mille ravis de la crèche, non ?

Bon allez, j’arrête là. Je vais encore me faire engueuler par mon homme qui trouve mes billets trop longs, qui voudrait que j’écrive plus court. J'ai bien essayé de conjurer son ire en coupant ce billet en deux, mais je sais qu'il ne sera pas dupe !

PS : message personnel à Tom Cruise : pardon de ne vous avoir pas répondu, mais je n’ai découvert qu’hier votre commentaire sur un vieux message. Je tâcherai donc de faire un court billet (pour contenter Frédéric) afin d’expliquer pourquoi, à mon avis, le quinquennat sec a totalement dénaturé les institutions de la Ve République.

PPS : je conseille à tous mes lecteurs pédés la lecture du premier ouvrage d’un très bon ami, le professeur gallois A.S. Steelcock : son ''Larry Poppers'' est franchement impayable ! Voir aussi son premier entretien accordé aux Niçois de l'association Polychromes.

PPPS : pour Fabio, dont je viens également de découvrir le commentaire sur un autre message ancien, merci de ce que vous me dites de votre lecture du Plongeon ; quant aux biscuits roses... il y a sans doute des traditions diverses : Frédéric avec qui je vis depuis bientôt 25 ans est Rémois lui aussi. Et la première fois que j'ai été reçu dans sa famille, à Reims... on m'a fait tremper mon biscuit rose dans mon champagne. Voilà, je ne peux en dire plus sur le fait que cette pratique soit ou non hétérodoxe, le fait est que les choses se passèrent ainsi, que les deux vont bien ensemble et que depuis, dès que je me trouve en présence d'un biscuit rose et d'une flûte de champagne, à tort ou à raison, je me fais ce petit plaisir... de tremper l'un dans l'autre.