Cette nuit, la Cour suprême étazunienne a suspendu l'injection létale qui devait assassiner légalement Troy Davis en Géorgie. Troy Davis est noir et a été condamné pour le meurtre d'un policier blanc. L'ordre des choses est donc respecté. Sauf que sept des neuf témoins sur la seule foi desquels il fut condamné, sans preuve, se sont rétractés depuis le procès, indiquant que leur témoignage n'avait été acquis qu'au terme d'intenses pressions policières.

Je vous rappelle au passage que nous sommes dans ce qu'il est convenu d'appeler la plus grande démocratie du monde... où un président peut être élu avec une minorité des voix des citoyens, à la suite d'une fraude massive, déclencher un conflit sur des mensonges et pour le plus grand profit des forces économiques qui bénéficient de la privatisation de la guerre, ne pas financer ledit conflit quitte à plonger le monde entier dans la merde, organiser la détention arbitraire et justifier la torture, etc. - ce qui lui vaut logiquement la fervente admiration de notre Caligula national.

La peine de mort est une monstruosité. Elle l'est d'autant plus quand il y a le plus léger doute. Lorsqu'elle est prononcée non sur des preuves irréfutables mais sur des critères raciaux.

Pourtant, il ne faudrait pas que l'alibi américain nous empêchât de voir ce qui se passe chez nous.

En plus des vies blessées ou détruites de ceux qui ont résisté, Outreau a fait un mort : François Mourmand, suicidé à 32 ans, mort de l'embastillement que constitue, aujourd'hui en France, la détention provisoire de citoyens d'une démocratie présumés innocents.

Car si la peine de mort est une monstruosité, la manière dont en France on emprisonne pour un oui ou un non, dans des prisons abjectes qui sont une honte pour notre République, en est une autre.

Il y a eu, après Outreau, une commission d'enquête, un grand battage, des excuses et des indemnisations... mais rien n'a changé. Rien que des gadgets et quelques caméras vide tombées en panne faute de crédits pour la maintenance.

La procédure judiciaire, elle, celle qui génère les Outreau, est toujours la même. Aucun encadrement sérieux de la détention provisoire n'a été institué autrement que sur le papier (c'est-à-dire qu'on n'a pas défini précisément ce qui peut vous envoyer en taule, qu'on a juste rajouté quelques juges dans le circuit, quelques juges qui, par solidarité de corps, ratifieront de toute façon la décision de leur "cher collègue" dans 90 % des cas). Aucune limitation de l'arbitraire de la violence inouïe qu'est une garde à vue n'a été introduite. Trop de lieux de privation de liberté demeurent des endroits immondes, totalement indignes d'une réelle démocratie.

Chez nous, la peine de mort a été supprimée en 1981 mais elle s'applique chaque année sur les plus faibles de nos concitoyens, souvent avant même qu'ils aient été jugés, à cause de la manière dont est "organisée" notre procédure pénale et notre système pénitentiaire.

4 août 2008 : un homme de 30 ans, condamné à huit mois de prison, est ranimé de justesse après avoir été retrouvé pendu dans sa cellule au centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier, près de Lyon ;

9 août 2008 : un jeune homme de 21 ans, en détention provisoire, donc présumé innocent, se pend à Fleury-Mérogis ;

15 août 2008 : un jeune homme de 21 ans est retrouvé pendu dans sa cellule à la maison d'arrêt de Caen et meurt quatre jours plus tard ; il n'avait pas été jugé, il était donc présumé innocent, son casier judiciaire était vierge et il venait d'apprendre la prolongation de sa détention provisoire ;

25 août 2008 : un détenu de cinquante ans est retrouvé mort dans sa cellule du centre de détention de Caen ;

10 septembre 2008 : à la maison d'arrêt de Rouen, un détenu de 26 ans, emprisonné pour conduite en état d'ivresse (est-ce vraiment en foutant les gens au trou qu'on leur apprend à ne plus conduire bourré ?) est assassiné par son "compagnon de cellule" de 20 ans, en détention provisoire, immédiatement placé en hôpital psychiatrique ;

19 septembre : un professeur se suicide après avoir subi une garde-à-vue à la gendarmerie d'Hirson dans l'Aisne...

Plutôt que de se demander qui coller en taule, encore plus, encore plus longtemps, Sarkozy et Dati feraient mieux de réfléchir à la manière de garantir les droits élémentaires de l'homme face à un système judiciaire qui tue autant.

Pourquoi ne pas chercher à comprendre comment les Canadiens ont fait pour bâtir un des systèmes pénitentiaires les plus humains et les moins criminogènes du monde, alors que le nôtre génère la misère, la récidive, et le meurtre légal par suicide des détenus ?

Comment peut-on ne pas se poser la question de savoir s'il est bien nécessaire, normal, admissible de placer en garde-à-vue un professeur, avec tout ce que cela implique de violence psychologique, d'atteinte à l'honneur, à l'image de soi, d'interrogations sur ce qu'il va falloir ensuite affronter dans le regard des autres, seulement parce qu'un sale gosse arrivé en retard l'a accusé de lui avoir collé une torgnole - peut-être bien méritée ? La garde-à-vue, dans un tel cas, n'est-ce pas comme utiliser un pilon pour tuer une mouche ?

Le professeur était dépressif, croit s'exonérer le procureur. Mais comme à Outreau, la question n'est pas seulement l'inhumanité des acteurs de la procédure judiciaire, c'est l'abus de pouvoir permanent que permet la loi sur la vie de citoyens, encore une fois, en principe, mais en principe seulement, présumés innocents. Un abus de pouvoir qui, lorsqu'il s'exerce sur des personnes en état de faiblesse psychologique peut conduire au pire. La responsabilité n'en revient pas à la faiblesse psychologique, elle revient au système qui permet l'abus de pouvoir, qui permet l'inhumanité des acteurs de la procédure.

Il paraît qu'il y a dans ce pays une secrétaire d'Etat aux droits de l'homme. Je lui suggère donc, plutôt que de jouer les potiches décoratives lors de la réception en grande pompe des dictateurs qu'aime tant recevoir son patron, de reprendre les conclusions rendues en 1991 par la commission "Justice pénale et droits de l'homme" dirigée par Mireille Delmas-Marty, sur une réforme qui soit enfin autre que cosmétique du Code de procédure pénale, une réforme qui garantisse enfin autrement qu'en théorie les droits du citoyen face à une machine policière, judiciaire et pénitentiaire qui broie et qui tue, sans même à avoir à injecter quoi que ce soit ; je lui suggère aussi de faire en sorte qu'on n'emprisonne plus au lieu de soigner.

Car aujourd'hui, si tant de personnes meurent dans les prisons de la "patrie des droits de l'homme", c'est aussi qu'elles n'ont rien à y faire ; qu'elles sont MALADES, qu'on les colle en taule parce qu'on a coupé les crédits de la médecine psychiatrique qui se débat aujourd'hui dans une scandaleuse misère. Et que Melle Dati ferait mieux de se préoccuper de cela que de faire passer en jugement des gens que la médecine a reconnus irresponsables, au nom du "droit des victimes", qui s'apparente de plus en plus à la résurrection de pratiques aussi barbares que bibliques, dans le genre loi du Talion.

Il y a aussi une opposition, paraît-il, dans ce pays ; pourquoi ne s'indigne-t-elle pas face à une telle succession de morts qui ne peut être fortuite ? Où sont ses propositions en une matière tellement capitale au regard des principes fondateurs de notre Etat de droit ? Quelles sont ses réflexions sur une question qui devient critique pour la réalité-même de notre démocratie ? Est-ce moins important que de s'étriper pour savoir qui va devenir concierge rue de Solférino ?

Cinq morts en un mois et demi ! Mais enfin dans quel pays vivons-nous ?! et comment une telle répétition de scandales immondes ne provoque-t-elle pas une indignation démocratique au moins semblable à celle qu'a suscitée Edvige ? Attention, nous sommes tous menacés, tous susceptibles, un jour, à tort ou à raison, d'être happés dans cette broyeuse de vies ! Où sont les Mauriac de notre époque ? Comment peut-on s'indigner des injections létales outre-Atlantique et fermer les yeux et les oreilles sur les meurtres légaux qui se pratiquent ici ?

Et comment peut-on répercuter sans rigoler les rodomontades démagogiques de Caligula appelant à la punition des responsables de la crise financière ?! Des responsables... mais il en est, non ? avec Reagan, Thatcher, Bush, tous les économistes libéraux, les dérégulateurs de Bruxelles, demain les privatiseurs de la Poste, ses chers amis multi-millionnaires, les bénéficiaires du paquet fiscal, tous ceux qui ont pu vader comme des fous avec ce qu'ils n'ont pas versé au fisc grâce au bouclier sarkozien... Non ? Mais alors comment il va les trouver, Caligula, les VRAIS responsables ? Des Kerviel, c'est ça ? Et la punition ??? Il va en faire quoi de tout ce beau monde de responsables de la crise financière ? Allez hop, Rachida ! fous-moi tout ça au gnouf ! Ben mon colon ! ça va en faire de la surpopulation pénitentiaire en plus ! A moins qu'il ne songe à l'injection létale... Non mais vraiment, de la gueule de qui il se fout Caligula ?