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mercredi 26 mai 2010

rendez-vous place de la Comédie !

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mercredi 19 mai 2010

Festival In&Out (4 et fin) - Jean-Gabriel Périot et Panos Koutras

Voici donc un peu plus d'un mois que nous sommes rentrés, Frédéric et moi, du festival du cinéma gay et lesbien In&Out de Nice...

... et je n'ai pas encore parlé de la soirée pour laquelle les organisateurs de ce festival, qui fut une parfaite réussite (je tiens à me faire bien voir !...), m'y avaient invité (des fois qu'ils auraient l'idée saugrenue de récidiver !).

Mais encore une minute, monsieur le bourreau : avant de parler de Panos Koutras, je voudrais dire qu'une de nos plus étonnantes découvertes de ce festival, à Frédéric et à moi, fut celle des courts métrages de Jean-Gabriel Périot : on pourra en voir quelques-uns sur son site personnel... un brin minimaliste, ce qui en dit déjà beaucoup sur le monsieur.

Son Gay ? concluant un long développement du genre "Je suis gay, je suis bien dans ma peau" par une désopilante conclusion à laquelle j'adhère totalement, dénotait déjà un sens de la provocation peu commun. Et puis le bougre m'avait intrigué en lâchant à un déjeuner sur la terrasse ensoleillée du QG des Ouvreurs, aussi laconique que sibyllin, qu'il n'avait jamais été bon en histoire jusqu'à ce qu'il se mette à faire des films d'histoire... de 3 ou 4 minutes.

L'homme avait au moins le talent d'intriguer. Il en a d'autres ! Cinéma politique, corrosif, ironique, méchant, violent... mais cinéma d'abord ; avec des exigences esthétiques manifestes, qui vous conduisent parfois, qu'il s'agisse de voies ferrées et de routes, ou de matraques, jusqu'au bord de l'hypnose.

M. Périot est un artiste, un vrai, parce qu'il a des choses à dire, contrairement à tant aujourd'hui qui croient que la forme dispense du fond, mais parce qu'il ne les dit pas comme tout le monde, parce qu'il travaille une manière parfaitement originale de les dire. M. Périot n'aime pas la connerie, les truismes, les autorités morales, le capitalisme triomphant ni l'esprit d'entreprise. Moi non plus ; tout cela crée entre M. Périot et moi quelques affinités électives, des connivences qu'on est heureux de se découvrir. Pour le reste, allez donc voir ses films, le cinéma ça se regarde, surtout celui de M. Périot !

Restait donc Panos Koutras. N'étant pas tout à fait pour rien dans le fait que la Grèce fût présente au festival, son talentueux (si avec ça je ne suis pas réinvité...) programmateur, Benoît Arnulf (qui est depuis devenu membre de l'éminent jury de la Queer Palme qui sera pour la première fois décernée à Cannes cette année), m'avait demandé de venir interviouver Panos Koutras entre la projection de son dernier film, ''Strella'', et sa mythique Attaque de la moussaka géante.

C'était la première fois qu'on me demandait pareil exercice, mais la rencontre humaine avec Panos, les connivences évidentes, là aussi, le rendirent tout naturel. Car en plus d'être bourré de talent et de culot, Panos est un vrai Grec. Pas un de ces fainéants qui vivent sans vergogne aux crochets de la vertueuse Allemagne, qui profitent honteusement du travail des laborieux Aryens pour se goberger en d'éternelles vacances méditerranéennes, comme cela se dit dans les couloirs des irréprochables banques, de la très clairvoyante Commission de Bruxelles et de l'infaillible Banque centrale de Francfort. Non, c'est un vrai Grec, c'est-à-dire quelqu'un avec qui le contact est facile, immédiat, chaleureux. Un vrai Grec sans complaisance avec la société à laquelle il appartient, qu'il croque avec férocité, qu'il bouscule virilement (enfin...), mais avec une énorme tendresse.

Nous avons donc vu Strella qui est véritablement un film extra-ordinaire. Humour, tragique, profondeur humaine, émotion, rire, violence, bonheurs simples, dérision, amour, jouissance et tendresse s'y mêlent dans un coquetèle aussi étonnant que détonnant. Subversif, bien sûr - lorsqu'après avoir sans cesse frôlé le mélodrame, la fin impose sa vitale leçon de liberté. Un film pareil ne se raconte pas : réinterprétation du mythe d'Oedipe, difficultés de vivre la transexualité, prostitution, rapport père/fils ou fille, famille génétique ou tribu choisie... Strella est tout cela et bien plus encore, parce que les personnages, les dialogues et les corps, vous prennent aux tripes.

Ensuite, il y eut notre discussion. A moi, en tout cas, elle aura procuré bien du plaisir. Panos m'a confirmé la référence (Strella est un mélange entre le prénom Stella et l'adjectif "trellos", fou) au superbe film de 1955, tourné par Kakoyannis avec Melina Mercouri, ''Stella, une femme libre'' (décors de Tsarouchis, et musique de Hadjidakis, tous deux monstres, peintre et musicien, de la culture grecque contemporaine et homosexuels affichés), un film qui, lui, se finit mal, parce que Stella, non plus, n'a pas voulu renoncer à vivre ses amours - les temps changent, pas toujours en pire. Panos a aussi raconté ses difficultés pour financer le film, trouver l'interprète du père (il a dû avoir recours à un non-professionnel, au demeurant bluffant, les pros ayant tous refusé...). Puis, répondant positivement à ma question de savoir si, dans Strella, il avait utilisé la kaliarda, cette langue que les pédés grecs des milieux populaires s'étaient inventée, dans les années 1920, afin de se comprendre sans être compris des autres, il nous apporta cette précision (pour moi aussi réjouissante qu'admirable) qu'en kaliarda la bouche se dit... chaos.

Que dire de plus ?

Que tous les acteurs de Strella sont épatants, la vieille trans qui a pris Strella sous son aile notamment, émouvante, qui lui fait la morale, antique : l'hybris - ou quand l'homme cède à la démesure, ressort de toute tragédie - ces choses-là sont tabous, elles attirent le malheur, la vengeance des dieux ; avant de balayer sa leçon : et puis, après tout, si vous vous aimez...

Que la réplique du père à Strella lui disant que, grâce à elle, il aura appris toutes les manières dont un père peut aimer son enfant est incroyablement gonflée.

Que nous avons pris un plaisir toujours aussi jouissif à revoir La Moussaka géante (après avoir dégusté celles que les Ouvreurs nous avaient mitonnées, accompagnées d'un ouzo de bon aloi), pur chef d'oeuvre qui n'a pas pris une ride.

Qu'il est le meilleur film politique que je connaisse sur la Grèce (les experts du FMI, de la BCE, de la Commission, Mme Merkel et consorts auraient dû être obligés de le regarder !).

Que La Vraie Vie (I alithini Zoi réalisée par Koutras entre La Moussaka et Strella) est également un film aussi surprenant qu'épatant : Panos y fout le feu à l'Acropole, puis la fait reconstruire, en mieux, par une de ces très riches grecques qui ne payent sans doute pas d'impôt (ce dont se tape le "socialiste" Strauss Kahn du moment que les petites gens, eux, sont mis au pain sec et à l'eau...)

Ah si tout de même, au début de ce mois de mai, l'Académie du cinéma grec a décerné l'équivalent de nos "Césars". Strella y était onze fois nominée (jamais compris pourquoi "nommé" ne suffisait pas). La Grèce n'a pas encore de Pacs pour les pédés et les gouines, elle ne reconnaît pas, comme l'a fait cette semaine le Portugal, le mariage entre individus du même sexe. Mais sa société a bougé, elle y est prête, comme chez nous, les sondages le montrent. Comme chez nous, et comme pour les problèmes financiers, c'est une oligarchie politique (en France comme en Grèce, ne nous berçons pas d'illusions, même si les formes sont moins criantes parce que moins archaïques), totalement déconnectée des réalités, qui s'est approprié la démocratie, qui bloque les vrais changements, l'imagination, les aspirations des peuples au lieu de les traduire dans les faits.

Strella a donc été couronnée, par les "césars grecs" du meilleur maquillage, des meilleurs costumes, des meilleurs décors. Hélas pas du meilleur film ni du meilleur réalisateur. Je n'ai pas vu le film qui les a emportés, je ne peux donc avoir d'avis sur la pertinence de ces choix, mais ce qui m'a réjoui au plus haut point, d'autant plus qu'elle est originaire d'une île qui n'est pas loin de la nôtre, et qu'elle a dû la quitter, chassée par sa famille, c'est que Mina Orphanou, qui incarne Strella avec un stupéfiant talent, Mina Orphanou "transexuelle pré-opératoire", comme elle le dit dans le film et comme le montre le film, a obtenu le "César grec" de... la meilleure actrice.

Une subversion de plus, superbe ! Chapeau bas !!! à Panos d'abord, à Mina surtout, et à tous ceux qui ont voté pour elle !!!

vendredi 7 mai 2010

Rendez-vous à la Foire du livre de Saint-Louis

Entre Mulhouse et Bâle, la Foire du livre de Saint-Louis est le grand salon du livre alsacien du printemps, j'y serai reçu à partir de cet après-midi jusqu'à dimanche soir, pour la deuxième fois, sur le stand se l'excellente librairie strasbourgeoise, "L'Usage du Monde" de Gilles Millon.

Venez nombreux ! je vous attends de pied ferme.

mardi 4 mai 2010

Festival In&Out (3) - L'Arbre et la forêt

J'avais adoré Drôle de Félix, randonnée libertine, ouverte à tous les possibles, d'un jeune beur dieppois à la sensualité rayonnante, traversant la France à pied pour rencontrer son père. Je l'avais adoré aussi, parce que ce n'est pas le but qui compte, mais le chemin dont on jouit. Toute une philosophie de la vie.

J'avais adoré Coquillages et crustacés, vu chez de chers amis un premier janvier, au coin d'une cheminée crépitante : une seconde fois, je me sentais en parfaite communion avec Olivier Ducastel et Jacques Martineau, avec l'impression qu'ils veulent filmer les pédés comme j'essaye de les écrire. Peut-être est-ce une question de génération - à 4 ou 5 ans près, nous avons le même âge.

Aussi quand j'ai appris qu'ils sortaient un film "sur" la déportation homosexuelle, ai-je eu très peur. D'autant plus après avoir entendu les critiques contrastées du "Masque et la plume", je crois.

Pendant trois ans, j'ai été juré dans un prix de la nouvelle créé par les promoteurs de la Journée mondiale contre l'homophobie, et pendant trois ans, toutes les nouvelles (il y en eut beaucoup) portant sur la déportation homosexuelle ont été mauvaises.

Non qu'elles fussent mal écrites. Elles n'étaient pas des nouvelles, mais des mises en fiction, à peine, du témoignage incroyablement bouleversant de Pierre Seel, recueilli naguère par Jean Le Bitoux, fondateur récemment disparu d'un Gai Pied dont l'équivalent, de notre époque, manque tant. Ou bien des remake à peine maquillés de ''Bent'' ; elles n'échappaient jamais à une orgie descriptive de violences et de tortures. Elles me laissaient toujours dans un profond état de malaise, incapable de me déprendre de l'impression qu'il y avait dans ces mots décrivant la violence et la torture, comme une manière... de complaisance, au mieux ; de fascination, au pire.

Et puis la question est marquée aujourd'hui par un tel confusionnisme... je ne veux pas ici rentrer dans le jeu des chiffres et de la concurrence des victimes. Les victimes sont toutes égales, quel que soit le motif pour lequel elles l'ont été d'un système monstrueux. Il n'est pas nécessaire, comme, je crois, ces nouvellistes en herbe en éprouvaient l'impérieux besoin, de s'appesantir sur la cruauté des bourreaux pour démontrer l'innocence des victimes.

Quant aux chiffres... Il y a tant de confusion sur la question (voir mon développement dans le billet précédent sur l'histoire et la mémoire) ! Disons pour faire simple que, en attendant qu'on me prouve le contraire, les homosexuels déportés pour homosexualité l'ont été au titre du paragraphe 175 (voir mon billet précédent) du code pénal allemand, c'est-à-dire de textes qui ne se sont appliqués qu'à l'intérieur des frontières du Reich. Contrairement au reste de la France - occupée, placée sous le régime de territoires interdits, ou laissés à l'administration de Vichy -, l'Alsace-Moselle fut annexée au Reich, le paragraphe 175 y fut donc appliqué - et c'est à cette situation particulière que Pierre Seel, son compagnon que les SS firent, par jeu, dévorer par leurs chiens, et tant d'autres homosexuels alsaciens ou mosellans durent d'être déportés.

Quant au reste de la France, si des homosexuels y furent déportés, ce ne fut pas en raison de leur seule homosexualité. En la matière, Vichy se borna à relever l'âge de la majorité sexuelle pour les relations homosexuelles. L'homosexualité ne fut donc pas, en France, poursuivie en tant que telle ; elle ne fut pas non plus un discriminant politique : bien des résistants, parmi les premiers, les fondateurs de réseau, les cadres, peut-être le plus illustre d'entre eux étaient homosexuels ; ils ne sont pas entrés en résistance, parce qu'ils étaient homosexuels. Bien des collabos l'étaient aussi, séduits par la plastique des vainqueurs teutons, l'esthétique d'un Arno Brecker ou d'une Leni Rifensthal. Souvenons-nous que Radio Londres en français avait surnommé l'académicien Abel Bonnard, ministre de l'Instruction publique, thuriféraire de Pétain s'il en fut... Gestapette.

Cette époque est rien moins que simple !

Aussi ai-je eu très peur en apprenant que Ducastel et Martineau avaient choisi la déportation homosexuelle comme sujet de leur dernier film. Mais voilà, Ducastel et Martineau sont des bons !

Car L'Arbre et la forêt, qui était projeté au festival niçois de cinéma gay et lesbien IN&Out, auquel j'ai déjà consacré mes deux derniers papiers, sait éviter tous les écueils.

Pas de complaisance : le film commence par la rencontre d'un Guy Marchand magistral et d'un chien loup dans une forêt ; on le voit "visiter" le camp du Struthof où il a été détenu... Pour le reste, tout passe par les mots, les regards, la musique - Wagner que le héros n'a pas voulu laisser à ses tortionnaires. Ce film est très littéraire - ce qui, sous ma plume, ne peut être qu'un compliment : il ne montre rien, suggère et laisse tout deviner.

Pas d'amalgame ni de caricature : Marchand a été libéré du camp. Les homosexuels étaient sans doute parmi les plus durement traités, dans les camps. Ils pouvaient mourir à tout instant, à cause de l'arbitraire, du caprice de tel ou tel des tortionnaires tout-puissants - comme le compagnon de Pierre Seel. Mais ils n'étaient pas voués à l'extermination, comme les Juifs ou les Tsiganes.

Dans la logique pathologique du nazisme, il s'agissait non d'êtres à éliminer mais de pervers à "rééduquer" - ainsi que l'ont précisé Ducastel et Martineau lors du débat qui a suivi la projection. Pierre Seel, après avoir vécu le pire, fut libéré et enrôlé de force parmi les Malgré Nous, envoyé combattre le bolchevisme.

Ce film est une pleine réussite, d'abord par son scénario, par la tension dramatique qu'il installe, par la justesse de ce parcours de vie accidenté, puis dissimulé, aux siens, à ses enfants et petits-enfants, qu'il révèle - tellement caractéristique d'une époque, pas seulement de la guerre, mais de l'avant et de l'après.

Il est aussi une pleine réussite parce qu'il est servi par une distribution épatante (la première scène de famille nous a fait peur, à Frédéric et moi, elle nous a semblé sonner faux, à côté ; impression vite oubliée tant, ensuite, chacun des comédiens joue à merveille sa partition). Marchand et ses airs, parfois, de Mitterrand sur le retour, est au-delà du sympathique ou de l'antipathique ; ses yeux, ses silences, ses provocations disent bien plus que n'importe quelle image par quelle machine à déshumaniser il est passé, que personne ne peut sortir indemne d'une telle machine. Françoise Fabian est incroyable d'humanité, Catherine Mouchet enfin, campe avec un talent fou un personnage ironique et tendre, mais tout les autres sont également impeccables.

Bref, ce fut une excellente soirée niçoise, une de plus !