Gérard, c'est ce garçon qui m'a dit un jour au téléphone, alors que je venais de lire sa critique sur le site handigay, que L'Or d'Alexandre était ce qui lui était arrivé de mieux depuis qu'un syndrome de Guillain Barret (le même qui touche Mouse dans Les Chroniques de San Francisco, que Gérard lisait justement lorsque Guillain Barré lui est tombé dessus) l'avait cloué sur un lit, avait failli le tuer, et l'avait privé en partie de l'usage de ses membres. Mouse lui a tout récupéré, pas Gérard.

Gérard, c'est ce garçon qui, grâce à Bernard, son mec qui a continué de l'aimer pendant et après comme avant, son mec qui l'a accompagné, jour après jour, qui l'aime et l'accompagne, comme le Stef de L'Or a continué à aimer et accompagner Philippe, ce garçon qui, avec son Bernard, a retrouvé le goût de la vie, a su trouver le courage de reconquérir, pas après pas, tout ce qu'il pouvait reconquérir - aussi parce qu'il a pu puiser dans la force que lui donnait le fait d'être deux.

Gérard c'est ce garçon qui a ajouté que ce livre contribuait aujourd'hui à lui donner envie de continuer à vivre et à avancer.

Gérard c'est ce garçon qui s'est pacsé sur un trottoir avec son Bernard, parce que, dans ce pays, on proclame des droits, on vote des lois, et puis on continue comme avant, en se foutant comme d'une guigne des moyens à mettre en oeuvre pour faire que les droits qu'on a proclamés acquièrent une véritable substance, que ceux à qui on les a reconnus puissent effectivement en jouir.

Gérard m'a fait une première grande joie quand, après le festival du livre de Mouans-Sartoux, le mois dernier, je suis allé le voir au centre héliomarin de Vallauris. Comme je lui avais dit que j'envisageais de faire de Philippe et Stéphane, les héros de L'Or, des personnages récurrents, il m'avait obtenu l'autorisation de visiter le centre, de rencontrer des patients, des toubibs, des kinés, des ergothérapeutes.

J'ai passé une journée avec lui, là-bas ; il a subi récemment une opération du pied qui devrait, qui va - j'en suis sûr, avec la volonté qu'il a, ça ne peut pas être autrement -, lui permettre de gagner en autonomie, parce que son pied restera bien à plat lorsqu'il le posera à terre. Et quand j'en suis reparti... je me suis tâté un peu de partout, pour m'assurer que tout fonctionnait bien. On ressort changé même quand on ressort sur ses deux pieds de cet endroit-là. On ressort bouleversé, remué. Baba devant le boulot des soignants, le courage des patients. Mort de trouille devant ce qui peut nous arriver à tous demain. Indigné par la manière dont on a laissé des locaux se dégrader, par la médiocrité de la cuisine qu'on inflige, en plus de ce qu'ils ont à surmonter, aux patients qui, au moins, devraient pouvoir jouir de tout ce qui peut leur procurer du plaisir, par ce qu'on comprend du manque de personnel, de la manière dont tout le monde est obligé de travailler aux limites de ce qui est possible à chacun.

Alors que des milliards se déversent pour sauver une économie financiarisée après que, au terme de trente ans de déréglementation et de politique européenne exclusivement orientée vers le profit de quelques-uns, cette économie nous pousse un peu plus chaque jour vers le gouffre où les plus faibles, les plus fragiles tomberont les premiers.

Bref, cette journée-là fut une de celles qui comptent dans la vie d'un homme. Et au milieu de cette journée, Gérard m'a fait un incroyable cadeau. Lorsque je suis arrivé, après le déjeuner que j'avais partagé avec les toubibs, pour le retrouver dans sa salle d'ergothérapie, je l'ai trouvé en train de couper à la pince des petits morceaux de céramique, qu'il collait ensuite pour composer une mosaïque.

Et sa mosaïque représentait...

... le plongeur de Paestum, que j'avais devant les yeux, à Nisyros, en écrivant Le Plongeon ; que nous avions choisi, avec H&O, pour mettre en couverture de la première édition du Plongeon.

Je ne peux pas vous dire ce que ça m'a fait. A peu près la même chose que lorsqu'il m'avait dit que L'Or l'aidait à continuer à vivre... Un moment de grâce et d'intense émotion en même temps.

Imaginez que, jusqu'à ce que je relise les épreuves de la réédition en poche de ce roman, j'avais oublié qu'un des personnages, déjà, y perdait ses jambes en moto. Ca doit me travailler au fond de moi depuis longtemps, finalement, cette histoire de handicap.

Voilà, comme Gérard vient de finir sa mosaïque et qu'il vient de m'envoyer ces photos, voilà la raison de ce billet.

Voilà, c'est bien lorsque des livres qu'on a écrits avec son coeur, non seulement rencontrent des lecteurs, mais qu'ils débouchent sur des rencontres humaines, nouent de vraies amitiés. Régine, Martial et Pierre, Charles-Louis, Michel, Alain, Eric et Cédric, Jean-Louis, Philippe-Jean, Benoît et Sébastien, et maintenant Gérard... sans oublier Henri et Olivier, mes deux éditeurs que j'aime et que j'estime, c'est pas si mal en dix ans d'écriture !

Voilà, et comme Gérard connaît mes travers, il m'a envoyé hier ce texte qui m'a lui aussi procuré un plaisir - sans rapport bien sûr, juste un petit coup de jubilation, qui fait que je ne résiste pas à vous le livrer... in cauda venenum !

"Avec cette pleine puissance, en huit mois un homme de génie eût changé la face de la France, de l'Europe peut-être.

"Seulement voilà, il a pris la France et n'en sait rien faire.

"Dieu sait pourtant que le Président se démène : il fait rage, il touche à tout, il court après les projets ; ne pouvant créer, il décrète ; il cherche à donner le change sur sa nullité.

"C'est le mouvement perpétuel ; mais, hélas ! cette roue tourne à vide.

"L'homme qui, après sa prise du pouvoir a épousé une princesse étrangère est un carriériste avantageux.

"Il aime la gloriole, les paillettes, les grands mots, ce qui sonne, ce qui brille, toutes les verroteries du pouvoir.

"Il a pour lui l'argent, l'agio, la banque, la Bourse, le coffre-fort. Il a des caprices, il faut qu'il les satisfasse.

"Quand on mesure l'homme et qu'on le trouve si petit et qu'ensuite on mesure le succès et qu'on le trouve énorme, il est impossible que l'esprit n'éprouve pas quelque surprise.

"On y ajoutera le cynisme car, la France, il la foule aux pieds, lui rit au nez, la brave, la nie, l'insulte et la bafoue !

"Triste spectacle que celui du galop, à travers l'absurde, d'un homme médiocre..."

Mais de qui peut-il bien s'agir, sacrebleu ?

Mais de Napoléon, le petit, bien sûr, vu par le grand Victor. Allez, allez ! ne me dites pas que aviez pensé à quelqu'un d'autre, je ne vous croirai pas !

Merci Gérard.