OD

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

samedi 24 avril 2010

Festival In&Out (2) - Magnus Hirschfeld

Triomphe des Lumières et de la pensée rationnelle sur une Eglise catholique restée (et qui reste encore aujourd'hui, par nature, pas par hasard ; Benoît XVI n'est pas un hapax, c'est un symptôme) solidaire de tout ce que la société comptait de plus autoritaire et réactionnaire, le XIXe siècle ne fut pas celui du retour à une perception pré-chrétienne, grecque, des rapports amoureux et sexuels entre partenaires du même sexe. La Grèce ne connaissait pas l'homosexualité parce que les désirs pouvaient se porter sur n'importe quel objet, ensemble ou alternativement, sans que ces désirs fussent appréciés moralement.

Le XIXe siècle rejetait ce que le catholicisme avait imposé de plus totalitaire, de plus paralysant pour le développement économique, de plus radicalement contraire à l'affirmation des libertés individuelles et publiques, des libertés de conscience et d'opinion, à l'organisation de la société non plus sur le droit divin (seul vraiment légitime aux yeux de l'Eglise, depuis Constantin jusqu'à aujourd'hui, la monarchie pontificale reste la seule monarchie absolue de droit divin en Europe) mais sur le gouvernement représentatif.

Le XIXe siècle, celui du triomphe de la bourgeoisie, n'en conserva pas moins de l'autoritarisme catholique la notion d'une morale conçue non comme l'expression d'un consensus social relatif, susceptible de varier en fonction de nombreux paramètres, mais comme une série de règles données pour invariantes - ce que Nietszche nomma la moraline. Tout en laïcisant la société, tout en permettant au capitalisme de prendre son essor en s'émancipant des contraintes du catholicisme (ce que les sociétés protestantes avaient déjà en partie réalisé par la Réforme à partir du XVIe siècle), il s'agissait donc de maintenir intactes les règles qui donnaient sa cohérence à une société dont on pensait que, sans elles, elle s'effondrerait.

On pouvait bien établir la libre-pensée et la démocratie politique ; il fallait, pour que la société tienne debout, que chacun se tienne à la place que lui assignaient les ordres économique et moral. Intimement liés : la frustration sexuelle, la culpabilisation du désir, la criminalisation du plaisir sont encore les meilleurs moyens qu'on ait inventés pour aliéner les esprits en même temps que les corps. Les classes dominantes pouvaient s'affranchir de ces règles et de cette aliénation (le XIXe siècle est celui de l'adultère et du vaudeville), à condition que ce fût dans la clandestinité - tout en appartenant à ces classes dominantes, lui et son amant, Wilde est envoyé en taule non parce qu'il contrevient à la loi, mais parce qu'il revendique d'y contrevenir.

Le syndicalisme, la grève, la revendication féministe, l'homosexualité, à des titres divers, remettent en cause cet ordre-là, cette aliénation, cette règle, cette morale ; ils sont donc combattus. Mais la vieille légitimité chrétienne d'une morale descendue du ciel ne suffit plus. Qui mieux que la science et la médecine, dans ce siècle de rationalité, pourraient en prendre le relais ? La médecine n'explique-t-elle pas les comportements subversifs de ceux qui contestent l'ordre économique et moral, ou qui s'en abstraient dans leur vie ? L'alcoolisme ronge la classe ouvrière, l'hystérie sert à montrer combien toute femme est une malade en puissance, à qui on ne peut donc accorder de droit sur son corps physique (criminalisation de l'avortement) comme dans le corps civique (refus du droit de vote). La prohibition de l'alcool aux Etats-Unis d'Amérique en 1919, celle des drogues (sous laquelle nous vivons) qui se généralise dans le monde occidental entre 1920 et 1930 (alors qu'en 1839 l'Angleterre, suivie par la France et les Etats-Unis faisaient la guerre à la Chine, pour lui imposer la libéralisation du commerce de l'opium) sont des conséquences de ce mouvement.

Pour les homosexuels, il en va de même. Une fois éteints les très catholiques bûchers de sodomites (1783 en France), il convient de trouver d'autre modes de légitimation de la prohibition et de la répression d'un vice qui, de contraire aux Ecritures, devient anti-physique et anti-naturel.

La médecine générale, la psychiatrie, la psychanalyse, l'endocrinologie, la génétique déploieront pendant des décennies des discours d'apparence rationnelle et de nature délirante, rivalisant d'inventivité, de bêtise et de cruauté dans la découverte des "causes" de l'homosexualité comme dans l'application des traitements visant à "guérir" les homosexuels. Louis-Georges Tin, notamment, en a donné quelques exemples dans l'article "Psychiatrie" de son Dictionnaire de l'homophobie (Paris, PUF, 2003) et dans le dernier chapitre ("XXe siècle : l'ultime et vaine résistance du discours médical) de son passionnant L'Invention de la culture hétérosexuelle (Paris, Autrement, 2008).

C'est dans ce monde-là que naît, en 1868, Magnus Hirschfeld. Et c'est dans ce paysage médical et psychiatrique que Magnus Hirschfeld fait ses études de médecine : Louis II de Bavière est interné en 1886. Cette même année, deux ans avant d'accéder au trône, le futur Kaiser Guillaume II, rencontre Philipp zu Eulenburg-Hertefeld, dont Bismarck confiera que Guillaume l'aimait "plus que tout autre homme vivant" ; Eulenburg qui appelait Guillaume "mon pauvre empereur", Eulenburg dont le frère, accusé d'homosexualité, divorce en 1897... l'année où Hirschfeld fonde le Comité scientifique humanitaire (Wissenschaftlich-humanitäre Komitee) dont le premier objectif est l'abrogation du paragraphe 175 du code pénal de l'Empire allemand, repris d'une loi prussienne de 1794 lors de l'unification allemande, disposant que « La fornication contre nature, pratiquée entre personnes de sexe masculin ou entre gens et animaux, est punie de prison."

De 1902 à 1909, une atmosphère de scandale règne autour de l'empereur d'Allemagne, dont les proches sont tour à tour accusés d'homosexualité - à la grande satisfaction d'une presse française qui utilise alors tous les stéréotypes homophobes. (Mais en France, grâce à l'archichancelier de l'Empire, Cambacérès, l'homosexualité n'a pas été inscrite dans le Code pénal. Et elle ne le sera jamais, contrairement à ce que sous-entendent ceux qui parlent aujourd'hui, trop rapidement, de dépénalisation en 1981. Ce qui intervint en 1981, ce fut d'abord la destruction des fichiers sur ordre du ministre de l'Intérieur, Gaston Defferre, puis l'établissement d'un âge unique de la majorité sexuelle pour relations hétéro et homosexuelles.) Et, en 1909, Eulenburg est condamné en vertu du paragraphe 175. Ses relations avec le gouverneur militaire de Berlin, Kuno von Moltke, auront notamment alimenté l'accusation. Appelé à témoigner, Hirschfeld défendra à la barre le droit des homosexuels à vivre ce qu'ils sont, sans être menacés par la loi - Moltke comme les autres, forme d'outing qui, pour n'avoir pas été pénalement payante n'en était pas moins un acte politique refusant la honte et la logique pénale.

Pour le médecin Hirschfeld, théoricien du troisième sexe, l'homosexualité n'a pas plus à être punie qu'elle n'a à être guérie. Position éminemment révolutionnaire. Elle est. Innée. Parmi les possibles. Retour à la position grecque ? On s'en rapproche en tout cas.

Dans l'Allemagne de Weimar, Hirschfeld développe son action. Médicale, culturelle, d'aide et de soutien, psychologique, politique. Il crée l’Institut pour la Science Sexuelle (Institut für Sexualwissenschaft) puis, en 1928, la Ligue mondiale pour la réforme sexuelle, à laquelle l'auteur du fondamental : Histoire de l’homosexualité en Europe. Berlin, Londres, Paris, 1919-1939 (Paris, Seuil, 2000), Florence Tamagne, a consacré en 2005 un passionnant article. Celle-ci se donne pour buts « (1) l’égalité politique, économique et sexuelle des hommes et des femmes ; (2) la libération du mariage (et spécialement le divorce) de la tyrannie de l’Eglise et de l’Etat ; (3) le contrôle de la conception, de manière à ce que la procréation ne soit engagée que de manière volontaire et responsable ; (4) l’amélioration de la race par l’application des connaissances eugéniques ; (5) la protection de la mère célibataire et de l’enfant illégitime ; (6) une attitude rationnelle à l’égard des personnes sexuellement anormales, et spécialement à l’égard des homosexuels, hommes et femmes ; (7) la prévention de la prostitution et des maladies vénériennes ; (8) les perturbations de l’instinct sexuel doivent être regardées comme des phénomènes plus ou moins pathologiques, et non, comme par le passé, comme des crimes, des vices ou des péchés ; (9) ne doivent être considérés comme criminels que les actes sexuels qui portent atteinte aux droits sexuels d’une autre personne. Les actes sexuels entre adultes responsables, conclus d’un commun accord, doivent être regardés comme ne relevant que de la vie privée de ces adultes ; (10) une éducation sexuelle systématique ».

Certes, ce programme reste encore empreint des notions de normalité, d'eugénisme, de déviance par rapport à une prétendue règle. Il n'en est pas moins révolutionnaire, émancipateur, profondément libérateur. Le mouvement connaît aussi un développement spectaculaire : 70 délégués au Congrès constitutif de Copenhague, 2000 à celui de Vienne deux ans plus tard ; et la Ligue compte alors 190 000 membres.

Malgré son dynamisme, Hirschfeld et ceux qui l'accompagnent échoueront néanmoins, de peu, une dernière fois en 1929, à faire abroger le paragraphe 175. Et celui-ci, durci, servira, à partir de 1933, à persécuter et déporter sous le triangle rose, les homosexuels du Reich allemand. Il faut lire, là-dessus, le témoignage de Heinz Heger, Les Hommes au triangle rose, réédité dans sa collection de poche par H&O (introduit par une préface de Jean Le Bitoux, récemment décédé) en 2006. Il faut voir aussi le film Paragraph 175 de Rob Epstein et Jeffrey Freidmann, meilleur documentaire au Festival de Berlin 2002, que les programmateurs du festival In&Out de Nice proposaient à leur public, le samedi 10 avril dernier, en deuxième partie de soirée, après la projection de Différents des autres, film muet de 1919, dû à Richard Oswald et co-écrit par Hirschfeld. En première partie, nous avions eu droit à L'Arbre et la Forêt, d'Olivier Ducastel et Jacques Martineau, auquel je consacrerai mon prochain billet.

Document d'époque, film documentaire, fiction : comment ne pas relever une fois encore l'intelligence de cette programmation, autour d'un même thème ? Je n'aime pas le mot de "mémoire". Le grand historien François Bedarida disait, je crois, que plus il y a de mémoire et moins il y a d'histoire. La mémoire, c'est Sarkozy : lire la lettre de Guy Môquet la larme à l'oeil en oubliant de préciser qu'il fut arrêté parce qu'il distribuait des tracts contre la guerre impérialiste anglaise, à l'heure du pacte germano-soviétique, ou décider que des enfants se chargeront de la "mémoire" d'une victime de l'extermination raciale. Substituer le pathos à la réflexion.

Cette programmation autour de la persécution des homosexuels dans le Reich était aux antipodes de cela. La grande qualité, justement, du film de Martineau et Ducastel, c'est de rejeter le pathos, le simplisme et l'amalgame pour privilégier la compréhension. Et la soirée illustrait à merveille comment le cinéma peut nous aider, dans ses différentes formes, à appréhender une réalité historique - non à pleurnicher dessus.

Cette soirée, enfin, avait été précédée d'une matinée. Ce jour-là, les organisateurs avaient prévu un hommage à Magnus Hirschfeld qui avait quitté l'Allemagne en 1933 pour... Nice, où il est mort le 14 mai 1935. Si je n'aime pas la "mémoire", je crois en revanche, comme Renan, qu'une nation est un pacte toujours recommencé, toujours en évolution, autour de valeurs, et que ces valeurs sont illustrées par des "grands hommes" dont il est bon que chaque génération transmette à la suivante ce qu'ils ont su bâtir ou détruire, pourquoi ils ont combattu parfois jusqu'à la mort. Cette transmission passe d'abord par le savoir et la réflexion sur le passé. Elle passe aussi par des rites qui signifient la présence d'une question dans l'espace public.

Je sais que cela peut paraître byzantin à certains mais, à mes yeux, les rites commémoratifs participent non pas de la mémoire, mais d'une pédagogie civique. Magnus Hirschfeld était allemand, il n'était pas français. Mais la liberté pour laquelle il a combattu est universelle, elle participe donc des idéaux de la République, de ce qui fait notre pacte civique. Comme y participe, demain, dernier dimanche d'avril, la Journée de la déportation dans laquelle devraient être honorés, au même titre que les déportés politiques et raciaux, les déportés pour homosexualité.

Dans cette matinée niçoise ensoleillée, limpide, il y eut donc, dans la sérénité du cimetière de Caucade, entre les pins et les cyprès sombres fichés au ciel, une cérémonie commémorative, en présence de deux représentants de la République, conseillers généraux de la majorité et de l'opposition, au cours de laquelle fut déposée une gerbe sur la tombe de Magnus Hirschfeld. Elle le fut après que Benoît Arnulf eut expliqué ce qui nous rassemblait là - un combat du passé, mené par un étranger, mais pour des valeurs qui sont indissociables, aujourd'hui, de notre pacte républicain, de nos libertés. Elle le fut, symboliquement, par le plus jeune des Ouvreurs, l'association organisatrice d'In&Out. Elle le fut avant que le gardien du cimetière ne nous racontât que, régulièrement, des visiteurs déposaient sur cette tombe, qu'on aurait pu croire bien oubliée, de petits galets, témoignant que, pour eux aussi, le combat d'Hirschfeld n'est pas un combat du passé.

dimanche 18 avril 2010

Festival In&Out (1) - le retour

Nous sommes rentrés mardi, mais la semaine a été chargée avec, notamment, jeudi à l'Université interâges de Créteil, ma deuxième conférence sur le génocide arménien, et la reprise du boulot sur le bouquin d'histoire consacré à la Grèce et aux Balkans que je dois rendre en septembre.

Bref, je n'ai pas repris la plume sur le blog depuis notre retour, et ce n'est pas bien, car Frédéric et moi avons passé à Nice quelques jours d'exception. D'abord parce que nous y avons retrouvé (enfin moi, Frédéric a fait leur connaissance) Benoît et Sébastien, les chevilles ouvrières du festival In&Out, parce que nous y avons été accueillis comme des rois par toute une équipe aussi efficace, professionnelle, dynamique, que disponible, amicale, chaleureuse. Merci à Isabelle, Matthijs, Vincent, Loïc, Louis, Maxime, la maman de Benoît... (que tous les autres m'excusent) qui nous ont logés, transportés, cocoonés, accompagnés jusque tard dans les folles nuits niçoises !

Ensuite parce que chauffer sa carcasse au soleil et plonger dans la grande bleue (le vendredi ; j'ai raté la seconde occase samedi, dimanche fut frisquet et le vent n'est plus complètement tombé ensuite), prendre le pastis sur la plage ou déjeuner au Castel plage, en avril, au terme (enfin, on espère ! ) de cet interminable hiver, tenait un peu de la magie, du souverain bien, de la renaissance.

Aussi parce que la cuisine niçoise (ah ! la pissaladière et la daube aux raviolis du dernier déjeuner !) est une merveille.

Et puis parce qu'il y avait les soirées cinoche. Pour cette deuxième année (en fait troisième, In&Out est devenu In&Out la deuxième année après une première édition sous un autre nom), Benoît Arnulf, directeur artistique et programmateur, avait fait très fort. Il n'est pas facile, sur huit jours, de mettre au point un programme qui remplisse les salles, qui mélange harmonieusement des ambitions esthétiques exigeantes et des films grand public, qui permette à son public de rencontrer des créateurs, qui programme des oeuvres de patrimoine et d'autres qui sont dans l'actualité. Benoît et son équipe, les institutions niçoises qu'ils ont su mobiliser autour d'eux (le Conseil général et son cinéma d'art et d'essai, Le Mercury ; la cinémathèque de Nice ; le Musée d'art moderne et l'association Héliothrope pour les courts métrages ; l'Ecole d'art de la villa Arson...), ont pleinement réussi leur pari.

Pour ma part, je suis arrivé à Nice le quatrième jour du festival, dédié à Hervé Guibert. La soirée avait lieu à la villa Arson et a commencé par un spectacle vivant autour de textes de Guibert sur les images (des textes forts, tous ; et l'un plus encore que les autres, où Guibert raconte son histoire d'amour avec la photo d'un garçon qui finit par faire corps avec lui, par s'unir et se dissoudre sur sa peau, dans sa sueur : un moment superbe !) dits par Loïc Bettini (mise en scène), Fabien Duprat et Laurent Herrou, entrecoupés de musiques choisies et jouées par un pianiste de talent.

Puis fut projeté l'incroyablement émouvant La Pudeur ou l'impudeur, dans lequel Guibert se filme, en 1990, dans les derniers mois de son Sida, lui, Apollon dans la fleur de l'âge, aussi flétri par le mal qui le tue que ses deux tantes, vieilles femmes qu'il fait parler de la souffrance, de la mort et du suicide. Avec cette seule scène obscène, au milieu des images de ce corps de jeune homme qui fut rayonnant de beauté, transformé en corps de damné des camps de la mort, au milieu de ces images de Guibert sur les chiottes, de Guibert face à son miroir, dans sa baignoire, tentant de sauver ce qui lui reste de muscle ; seule scène obscène : la femme de lettres catholique lui écrivant combien elle a été émue par leur dernière rencontre à La Coupole, combien elle voudrait pouvoir mourir à sa place (les cathos ont cela de terrible que, pour les pires, ils croient que le sacrifice de leur petite personne, que personne ne leur demande, suffirait à annihiler n'importe quelle tragédie), combien elle va prier pour lui, et puis... in cauda venenum, que ses prières qui ont été si souvent efficaces, auraient plus de chances de l'être pour Guibert si seulement celui-ci voulait bien prendre l'engagement de renoncer, au cas où les prières de la dame réussiraient, à sa vie d'avant, à ses désirs si contraires aux Evangiles ! Comble du dégoût face à cette fausse charité, à cette fausse bonté qui, jusque devant la mort, n'abdique jamais son obsession de culpabilité, de haine du corps, du désir, du jouir...

Ce film est incroyablement dur - et beau. Il est aussi incroyablement littéraire - ce qui, sous ma plume, n'a bien sûr rien d'infamant. D'une certaine manière, il est enfin l'un des films emblématiques de ma génération. J'ai trois ans de moins que n'en a (avait, aurait) Guibert et je me rappelle, comme si c'était hier, le choc émotionnel intense que fut la lecture de A l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie. Je me souviens aussi qu'à l'époque, lorsque TF1 (oui TF1, cette chaîne venait tout juste d'être privatisée et attribuée en vertu du principe du "mieux disant culturel"... autre obscénité !) a diffusé La Pudeur ou l'impudeur, je n'ai pas pu le regarder jusqu'au bout. J'ai zappé ou éteint le poste durant la scène de la douche. Pas pu. Insupportable. Nous vivions alors avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête ; nous sommes des rescapés, mais nous n'étions tous que des sursitaires, même si nous nous protégions, parce que, tous, nous aurions pu être contaminés avant même de savoir que nous devions nous protéger.

Les trithérapies n'ont rien changé à la nécessité de se protéger, soi et les autres - fût-ce contre l'avis des criminels irresponsables du Vatican et l'ignominie des dames patronnesses qui prient pour le salut des pervers en tentant de monnayer leur vie contre leur repentance d'être ce qu'ils sont. Mais les trithérapies ont tout changé. Malgré tout. Heureusement.

Ce qui ne doit pas nous empêcher de rester vigilants, vis-à-vis de nous-même, de nos amants, vis-à-vis de l'autre ignominie, celle de Sarkozy, au hasard, qui nomme sa chanteuse à mi-voix ambassadrice de mes deux contre le Sida et qui coupe les crédits de recherche de l'INRS, lequel ne sait même pas comment il bouclera l'année, comme aux associations qui accompagnent les malades, font la prévention que l'Etat ne fait pas... Il est vrai qu'il y a tant d'autres priorités que ces dépenses-là, à commencer par le bouclier fiscal qui, comme chacun sait, est une question... d'équité. C'est comme la dame patronnesse, faut pas avoir peur d'oser !

Bref, et pour en revenir à In&Out, la dernière partie de soirée fut consacrée à L'Homme blessé de Chéreau, que je n'avais pas revu depuis sa sortie (1983 ! ça ne nous rajeunit pas : à peu près contemporain de ma très progressive sortie du placard). Film événement, film qui fut un événement dans beaucoup de nos vies, et pourtant... Je dois bien l'avouer, j'ai trouvé ce film vieilli, vieillot. Complaisant aussi, avec cette légende noire de l'homosexualité - tellement chrétienne -, avec cette malédiction, complaisance au glauque, à l'hystérie, à la violence qui me sont si totalement étrangères et que je cherche à combattre depuis que j'écris.

Il y a des livres qu'on peut reprendre indéfiniment, relire, redécouvrir à chaque âge de la vie. C'est sans doute plus difficile pour les films parce qu'ils laissent moins de place à l'imagination, à la liberté du spectateur, alors que celle du lecteur est totale. Il y a des livres qu'on a peur de reprendre, parce que l'on pressent que l'émotion qu'ils nous ont procurée est liée à un moment, un âge de la vie, une adéquation aussi subtile que fragile entre ce que l'on était au moment où on les as lus et ce qu'ils sont. J'étais curieux de me voir revoir L'Homme blessé ; désormais, il s'apparente pour moi aux livres de cette seconde catégorie.

jeudi 8 avril 2010

Festival In&Out à Nice

Benoît Arnulf et Sébastien Lefebvre, je les ai rencontrés, au moment de la sortie de La Quatrième Révélation, à Marseille, à l'occasion de débats sur l'homophobie auxquels, eux, moi, et Jean-Louis Garac, qui avait lu mon livre, était venu m'en parler et avait suggéré que j'intervienne, à Nice, dans une rencontre sur les racines chrétiennes de l'homophobie.

Ils participaient tous les trois, à l'époque, à une fédération d'associations LGBT, le CADOS, qui pour le salon du livre de Nice suivant organisa une superbe rencontre dont je garde un souvenir ému, tant le public qu'ils avaient su mobiliser était nombreux, attentif, intéressé. Puis tous les trois, ils ont été parmi les créateurs d'une association culturelle, Polychromes, qui m'a reçu à plusieurs reprises, physiquement et sur son site Internet, pour un entretien avec Jean-Louis (on le retrouve désormais sur son blog), pour mon article sur le peintre grec Tsarouchis paru dans la revue ''Inverses'', et dans une autre occasion, où Jean-Louis et moi apparaissions... masqués.

Mais la vie associative est compliquée - la vie associative gay aussi, ou plus ? - et mes trois amis se sont éloignés, de Polychromes, et Ben et Seb de Jean-Louis. Moi, je suis resté en amitié avec tout le monde : Benoît et Sébastien sont même venus renifler les odeurs de soufre sur notre volcan.

C'est là-bas, l'été dernier, sur notre balcon qui regarde l'Asie, autour d'un ouzo, de paximadi frotté d'huile d'olive, d'ail et de tomate, qu'ils m'ont dit que je ravivais leur envie de consacrer, s'il y avait matière, une partie du festival de cinéma dont il venaient d'organiser la première édition - un franc succès - avec leur nouvelle assoc "Les Ouvreurs".

Je leur ai parlé du sombre Angélos de Katakouzinos, du beau Kavafis de Smaragdis, des superbes Garçons d'Athènesde Giannaris et de... la cultissime Attaque de la moussaka géante de Panos Koutras, bien sûr.

Et voilà donc que, pour la deuxième édition du festival In&Out,

Les Ouvreurs ont décidé de consacrer une journée du festival qui a commencé avant-hier (le programme est là) à Panos Koutras, lequel a récemment sorti son troisième film, le très déjanté, à la fois poignant et drôle, Strella.

Et comme ils m'aiment bien, ils m'ont aussi demandé si j'étais prêt à venir à Nice pour présenter Panos Koutras et discuter avec lui de son oeuvre, entre la projection de Strella (lundi 12 avril, 19h00 cinéma Le Mercury), une moussaka qui sera servie dans le hall du cinéma avant de l'être sur l'écran à 22h00.

Prêt à venir à Nice en avril ! Vous imaginez le sacrifice ? J'embarque donc demain à Orly, mon homme m'y rejoint samedi ; c'est un vrai bonheur de retrouver Les Ouvreurs que je connais et de rencontrer ceux que je ne connais pas, de découvrir et d'échanger avec l'homme qui a tourné ces deux films, tellement originaux, et le non moins étonnant La Vraie Vie, où l'on voit brûler l'Acropole (Koutras n'en est pas à un sacrilège près) mais qu'on ne verra pas à Nice,

d'être un peu pour quelque-chose dans le fait qu'on y parlera de la Grèce pour autre chose que ses déboires financiers, la répugnante position allemande et la lâcheté des Européens, de me faire une ventrée de films, de partager un déjeuner avec mon ami Gérard que je n'ai pas vu depuis trop longtemps, de me balader au soleil, avec mon homme, sur la Promenade des Anglais... et de piquer une tête dans la grande bleue, bien sûr !

Merci d'avance aux Ouvreurs de cette parenthèse qu'ils nous offrent dans ce gris, lugubre et froid printemps parisien !