Dans mon cas, je ne sais pas bien ce que cela signifie, puisque je vais travailler au petit polar que m'a commandé H&O pour fêter ses dix ans d'existence, au printemps prochain, mais je me considère en grève.

Je ne peux même pas, comme les braves travailleurs japonais, porter un brassard avec l'inscription "en grève" : à part mon mec, ce soir, je ne sais pas très bien qui le verrait. C'est ça la solitude existentielle du romancier de fond !

Mais, qu'on se le dise, je suis en grève !

En grève contre trente ans de démantèlement de l'Etat providence au prétexte que le libéralisme et le libre-échange généralisé l'exigeaient pour prix de la félicité universelle alors qu'ils nous ont conduits, comme en 1929, à une faillite du système dans laquelle les salariés sont appelés à payer une deuxième fois, par l'impôt, pour empêcher le collapsus du système failli,

En grève contre trente ans de mise en concurrence d'économies qui assuraient aux salariés une protection et un honnête confort avec des économies où le salarié est un esclave sous-payé,

En grève contre cinquante ans de politique européenne qui a privé les Etats démocratiques de l'arme monétaire, de l'arme budgétaire, de la possibilité de faire de l'inflation, si nécessaire, c'est à dire de faire payer au capital plutôt qu'au travail l'endettement de l'Etat,

En grève contre trente ans de politique européenne qui a supprimé, sous la pression anglaise, la préférence communautaire et le tarif extérieur commun, qui a créé une monnaie surévaluée qui correspond peut-être à la structure et aux besoins des économies néerlandaise ou allemande mais qui depuis, depuis trente ans, par les politiques qu'elle a générées a condamné la France et tant d'autres pays, à une croissance anémique et aujourd'hui à la dépression,

En grève contre l'autisme des Trichet et autres responsables, journalistes ou experts économiques qui n'ont pas vu venir cette crise mais qui ont imposé l'idée, depuis trente ans, que la "modération salariale" était la clé de toute politique économique et la déréglementation la condition de la croissance ; alors qu'une économie saine devrait avoir pour but principal d'augmenter les revenus des salariés (pas de gonfler hors de toute proportion raisonnable ceux d'une couche d'hyper-privilégiés) et que la déréglementation du capitalisme a toujours, partout, conduit à des crises dans lesquelles les salariés n'ont aucune responsabilités mais dont ils sont les premières victimes,

En grève contre la redistribution massive des richesses, depuis trente ans, en faveur du capital et au détriment du travail,

En grève contre le gouvernement Sarkozy qui s'est fait élire sur l'aggravation de cette politique-là, qui est le plus réactionnaire et le plus bête que la France ait eu depuis Vichy, qui n'a pris que des mesures - paquet fiscal et soi-disant réformes - aggravant le sort des pauvres, des humbles, des classes moyennes, qui n'a cessé de prendre aux pauvres pour donner aux riches, qui précarise chaque jour davantage, qui jette les retraités dans la gêne, qui empêche chaque jour davantage un égal accès aux soins, qui prétend, avec la désinvolture révoltante de François Fillon avant-hier au Vingt-Heures, que la baisse de l'inflation règle la question du pouvoir d'achat, qui conduit aujourd'hui le pays à la dépression en refusant obstinément d'augmenter les salaires et pensions ou de baisser susbstantiellement la TVA,

En grève contre ce gouvernement de la morgue et de la noce, de la Banque et de l'autoritarisme rampant,

En grève contre le danger qu'il représente pour notre société, sa cohérence et son avenir, contre les menaces qu'il fait peser sur les libertés et la démocratie.

J'espère que cette grève sera puissante et qu'elle n'est qu'un début.

Et puis un élément de satisfaction malgré tout : j'ai assez brocardé ici le PS, son inexistence idéologique, la vacuité mégalomane de Mme Royale, son total découplage des réalités, ses responsabilités écrasantes, à commencer par celles de Mitterrand et Jospin qui, au nom de la construction européenne, ont consenti à l'inacceptable et créé les conditions du naufrage actuel, pour relever que le "plan économique" présenté par le PS (notamment l'idée de création d'un pôle bancaire public) renoue enfin avec quelque chose qui ressemble avec la tentative de faire de la politique.