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samedi 15 mars 2014

Iménos le débauché

J'indiquais dans mon précédent message qu'à 56 ans, Kavafis écrivait "Iménos" et j'en donnais la traduction de Dominique Grandmont, tout en signalant qu'à 56 ans, Yourcenar publiait sa traduction de Kavafis... Du coup, j'ai eu envie de replonger dans la bibliothèque pour comparer les trois versions françaises de ce poème qui s'y trouvent :

Yourcenar/ Dimaras (Gallimard, 1958) :

... Et il faut aimer davantage encore la volupté malsaine dont la possession nous use... Trouvant rarement le corps qui éprouve les sensations souhaitées. Volupté malsaine dont la possession nous use, mais qui procure des jouissances amoureuses que la santé ne connaît pas...

Fragment d'une lettre du jeune Iménos (de famille patricienne), célèbre à Syracuse pour sa vie de débauche, sous le règne licencieux de Michel III

Socrate Zervos et Patricia Portier (Imprimerie nationale, 1992) :

"... Encore plus que les autres plaisirs,
Aimons celui qui nous pourrit et nous détruit.
Trouvant rarement de corps qui se prête à ce plaisir-là,
Celui qui nous pourrit et nous détruit
Et qui nous offre une intensité que la morale ne connaît pas..."

Fragment d'une lettre
Du jeune Imènos, patricien, célèbre
Dans Syracuse pour sa dépravation
Dans les temps dépravés de Michel III

Dominique Grandmont (Gallimard, 1999) :

"...Il n'en faut aimer davantage
la volupté malsaine qui s'alimente de notre ruine ;
même si elle ne trouve pas souvent le corps qui réponde à son désir -
cette nocivité qui nous mine lui procure
une intensité dans l'amour que la santé ne connaît pas..."

Fragment retrouvé d'une lettre
du jeune Iménos (fils de patricien), bien connu
à Syracuse pour sa vie de débauche,
sous le règne non moins dissolu de Michel III

Sublime, n'est-il pas ? Incomparable Kavafis... Et mon choix est bien sûr celui de Yourcenar... même si elle est plus "infidèle" au texte, c'est elle qui, a mes yeux, est la plus fidèle à la magie du texte.

Hier, j'ai eu 56 ans

À 56 ans, Stendhal publie La Chartreuse de Parme.

À 56 ans, il ne reste à Richelieu qu’une année à vivre.

À 56 ans, Offenbach a déjà composé tous ses chefs-d’œuvre... sauf Les Contes d’Hoffmann.

À 56 ans, Kavvadias navigue ; il a publié Le Quart, un chef d’œuvre absolu, à 44 ans.

À 56 ans, de Gaulle qui avait incarné pendant cinq ans la France, la Liberté, l’honneur, le refus de la soumission à l’Allemagne et au nazisme - ce qui pour moi se confond - se retire devant des partis qui vont emporter une nouvelle fois le pays à l’abîme ; il reviendra au pouvoir 12 ans plus tard.

Lully est mort à 55 ans.

À 56 ans, Lawrence Durrell a déjà fini de publier Le Quatuor d’Alexandrie... 8 ans auparavant ! et fait paraître Tunc.

À 56 ans, Flaubert publie ses Trois Contes ; il a déjà écrit Madame Bovary, Salambô et L’Éducation sentimentale.

À 56 ans, il reste à Louis XI 4 ans à vivre ; il a déjà accompli l'essentiel de ce qui le range parmi ceux qui ont fait la France.

À 56 ans, Malraux met la dernière main à La Métamorphose des dieux qui deviendra le premier volet de sa trilogie sur l’art (Le Surnaturel). Il n’est plus romancier et pas encore ministre.

À 56 ans Tsarouchis peint les deux panneaux ci-dessous pour la chambre de Hadzidakis, lequel, au même âge, la même année, composait Pornografia.

Périclès est mort à 46 ans et Alexandre le Grand à 33.

À 56 ans, Clemenceau publie « J’accuse » de Zola, qui en a 57, dans L’Aurore, et, à 56 ans, Anatole France termine sa géniale tétralogie de L’Histoire contemporaine sur la France de l’affaire Dreyfus.

À 56 ans, Voltaire part vivre chez Frédéric II.

À 56 ans, Yourcenar vient de publier (avec Constantin Dimaras) sa Présentation critique de Constantin Cavafy (elle a publié Mémoires d’Hadrien à 48 ans) et, à 56 ans, Kavafis écrit, entre autres, « Iménos » :

"... Il n'en faut qu'aimer davantage
la volupté malsaine qui s'alimente de notre ruine;
même si elle ne trouve pas souvent le corps qui réponde à son désir -
cette nocivité qui nous mine lui procure
une intensité dans l'amour que la santé ne connaît pas..."

Fragment retrouvé d'une lettre
du jeune Iménos (fils de patricien), bien connu
à Syracuse pour sa vie de débauche,
sous le règne non moins dissolu de Michel III

(Constantin Cavafis, En attendant les barbares et autres poèmes, trad. Dominique Grandmont, Gallimard, 2003, p. 138)

À 56 ans, en 404, exilé d’Athènes depuis deux décennies, Thucydide voit sa cité vaincue par Sparte, dans la guerre du Péloponnèse dont il est en train d’écrire l’histoire en même temps qu’il fonde la méthode historique.

À 56 ans, Séféris vient de publier son Journal de bord III et Iannis Ritsos, libéré du camp de concentration de Makronissos à 43 ans, sera de nouveau arrêté à 58 pour être déporté à Giaros puis Léros.

À 56 ans, Hugo publie Les Contemplations et travaille aux Misérables.

Nietzsche, devenu fou à 45 ans, meurt à 56.

À 56 ans, il y a deux ans que Tsirkas a fini de publier Cités à la dérive.

À 56 ans, Chateaubriand est vidé du gouvernement.

Saint-Just et Louis Rossel sont morts à 27 ans, et Jean Moulin à 44.