Surprise et trouble d'entendre que les obsèques de Régine Desforges, grande prêtresse du libertinage littéraire à qui tous les libertins dont je suis, sont redevables des combats qu'elle a menés contre la censure, la pudibonderie et l'Ordre moral - sous-produit, hier comme aujourd'hui, du catholicisme et de sa prétention à régir l'Etat, les "bonnes moeurs", l'expression artistique, etc. -, que ces obsèques, donc, ont eu lieu en... l'église Saint-Germain-des-prés !

Régine Desforges était donc une catholique - convaincue ? fervente ? - en plus d'être libertine ? Je trouve qu'aujourd'hui, où l'exigence de cohérence est sans doute plus forte qu'à n'importe quelle époque, faire ce genre de concession post mortem, à une Eglise qui représente le contraire de ce qu'on a défendu dans sa vie, à une Eglise qui aujourd'hui encore mobilise dans la rue, dès qu'elle le peut, les franges les plus réactionnaires, les plus hostiles à la liberté de vivre, par chacun, sa sexualité comme il l'entend, est une regrettable erreur à la fin d'une vie libre. Par foi ? Par inadvertance ? Par conformisme ?

Chacun voit midi à la pendule de son église, de son temple, de sa mosquée ou de sa synagogue bien sûr, mais si l'on ne croit pas, si l'on a passé sa vie, par sa plume, ses paroles et ses actes à combattre une répression de la liberté de l'esprit, du corps et des sens qui, pour l'Eglise catholique et toutes les variétés de culs-bénits, est l'expression du Mal, alors quel est le sens de consentir à ce que ses propres obsèques se fassent dans le cadre de cette Eglise-là ? N'est-ce pas lui rendre les armes sur son lit de mort ? Reconnaître qu'on a eu tort en défendant, tout ce que, au long de sa vie, on a défendu ? Lui donner raison dans sa condamnation de la vie qu'on a choisi de mener et dire aux générations suivantes qu'on s'est repenti de ce choix ?

Je ne comprends tout simplement pas. En ce qui me concerne, lorsque j'ai été confronté, il y a bientôt quinze ans, à une mort que j'ai cru imminente pendant deux ou trois jours, la première chose que j'ai dite à mes proches, c'est : surtout pas de mascarade à l'église, pas de vol de corbeaux au-dessus de mon cadavre. Et je me suis empressé, sitôt sorti de l'hosto, à coucher cette volonté-là sur le papier de mes ultimes désirs.