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vendredi 12 décembre 2008

Quand la télé rend moins con...

En attendant que le hold-up en cours sur la télévision publique arrive à son terme :

1 - Sous prétexte de supprimer le publicité parasite de la télévision publique (sur le principe, je suis pour ; qui ne le serait pas ?), on la prive de ses ressources, sans lui assurer la pérennité de celles qui lui permettront, je ne dis même pas d'avoir des ambitions culturelles, mais de fonctionner correctement, et on en profite au passage pour s'arroger le droit de nommer et révoquer le président (mais on fera usage de ce droit de manière irréprochable, on vous l'assure, comme lorsqu'on nomme la femme du ministre des Affaires étrangères à la tête de l'audiovisuel extérieur par exemple...) afin d'être bien sûr que toute trace d'impertinence disparaîtra des écrans et qu'on n'y parlera plus que de bébés enlevés retrouvés, de chiens écrasés, de fous qui donnent des coups de poignard dans la rue, de complots d'ultra-gauche...

2 - On permet aux chaînes privées d'entrelarder davantage leurs programmes décerveleurs de pub décerveleuses, afin d'enrichir un peu plus les copains Bouygues et Bolloré-qui-me-prête-son-yacht-mais-sans-aucune-contrepartie-bien-entendu-ça-n'a-rien-à-voir-avec-du-trafic-d'influences ;

3 - Lorsque, pour cause de déficit excessif ou quelque autre foutaise du genre, on réduira les ressources des chaînes publiques, on se rendra compte qu'il faut "réduire le périmètre" de la télé publique ;

4 - On pourra enfin donner au copain Lagardère la chaîne qu'il n'a pas encore pu se payer.

En attendant donc, la conclusion de ce hold-up, la télévision publique m'a donné ces temps-ci quelques moments de bonheur, dans deux genres très différents, et c'est assez rare pour... justifier un billet.

D'abord, il y a eu, sur France 2, la série Clara Sheller. Je n'avais pas vu la première saison. J'étais dubitatif, vu mon aversion pour les séries françaises généralement mal écrites par de mauvais scénaristes, mal tournées par des réalisateurs sans imagination et mal jouées par des acteurs qui, même lorsqu'ils sont bons ailleurs, jouent faux.

Et puis, ce soir-là, il n'y avait rien d'autre. La chaîne Histoire elle-même devait diffuser un nanar anglo-saxon quelconque, du genre Les Mystères de la Bible, ou bien un énième docu sur la Shoah et je n'avais pas le moral en béron pour ça. Et puis j'avais du repassage à faire. Or donc, je me suis laissé aller à tenter Chara Sheller...

Surprise !

Bonne pour une fois. Rien d'extraordinaire, du léger, une foldingue avec un très beau mec et des histoires de couple un peu concon. Mais, exception à la télévision française, bien écrit, proprement réalisé, plutôt bien joué.

Et puis, à 20h30, dans la France de Sarkozy et Boutin, celle où les curés et les pasteurs seront toujours mieux que les instits pour enseigner le bien et le mal, un petit pédé sympathique, pas malade, pas dépressif, pas caricatural ; qui travaille, qui picole, qui a des malheurs comme tout le monde mais pas plus, qui est plutôt mignon et qui baise à droite à gauche tout en cherchant l'amour !!!

Un petit pédé qui est le personnage positif de la série et qui finit même en piquant son très beau mec à sa copine !

Réjouissant !!! et on se dit que, par exception, la télé publique a rempli son rôle : divertir en rendant un peu moins conne la France profonde, en lui imposant, en début de soirée, une image de l'homosexualité aux antipodes des stéréotypes homophobes qui font encore tant de ravages, de malheurs, de violences, de suicides.

Salubrité publique !!!!

Et puis dans un genre très différent, Arte diffuse le mercredi et le samedi, l'excellentissime Apocalypse de Gérard Mordillat et Jérôme Prieur. Du plaisir intellectuel à l'état pur, du miel pour l'esprit, du nanan !!!

Après Corpus Christi et Les Origines du christianisme, nous voilà plongés dans la fabrique de la grande pathologie monothéiste dont l'humanité est malade depuis 2000 ans. En compagnie de savants qui parlent des textes, les font parler, en relèvent et en révèlent les tenants et les aboutissants.

C'est magistral. C'est passionnant. C'est la preuve que la télévision peut éduquer sans emmerder, avec un livre et des gens qui parlent, sanstralala, sans mise en scène, sans faux Jésus et costume d'époque, sans spectacle. Juste avec du verbe, de l'intelligence, de l'humour. Si, si, je vous assure, il y en a ! UN REGAL !!!!

Un seul reproche : pour Clara comme pour L'Apocalypse : pourquoi nous enfiler deux épisodes à la suite ? comme on gave des oies ou des canards. C'est bien aussi de faire durer le plaisir, de nous laisser le temps de digérer, comprendre, méditer ce qu'on vient d'entendre - pour L'Apocalypse plus encore que pour Clara... Nous assener un deuxième numéro, Les Gnostiques après Marcion, mercredi dernier, c'est trop. C'est nous empêcher de profiter du baba aux fruits exotiques en nous forçant, sitôt finie notre assiette, à avaler un vacherin !

mardi 2 décembre 2008

Commotion

Il y a dix jours, j'étais au salon du livre de Colmar. Et un salon placé sous le patronage de la chouette d'Athéna ne pouvait que bien se passer pour L'Or d'Alexandre, qui a failli s'appeler L'Or d'Athéna.

Et tout s'est effectivement très bien passé. D'abord grâce au libraire qui m'accueillait, Gilles Million (et Marie son épouse, et toute l'équipe présente sur le stand) de la librairie L'Usage du monde à Strasbourg, avec qui j'avais sympathisé au printemps dernier, pendant le salon de Saint-Louis, et qui, du coup, m'avait invité à Colmar : c'est toujours un des grands plaisirs, pour un auteur, et un des grands intérêts des salons, que de faire la connaissance d'un vrai libraire. Gilles en est un.

Ensuite parce que j'ai rencontré Christophe, qui m'avait contacté sur Facebook pour me dire qu'il avait dévoré mes quatre romans actuellement disponibles : c'est un incroyable stimulant, pour un auteur, de savoir qu'on a su captiver, émouvoir, faire rire ou réfléchir quelqu'un qui vous était inconnu, qui vient vous dire ce que vos bouquins ont déclenché chez lui. Et quand l'échange se poursuit par une rencontre immédiatement chaleureuse, c'est un vrai bonheur.

Aussi parce qu'on sent vite, dans un salon, si celui-ci est un prétexte pour une collectivité locale de montrer qu'elle peut dépenser un peu de sous pour la culture, un faux-nez, un trompe-l'oeil, ou bien si, derrière, il y a une vraie politique de la lecture, de promotion du livre. A Colmar, il saute tout de suite aux yeux qu'il s'agit du deuxième cas. Le vendredi soir, j'ai dîné avec des instits qui venaient de tenir des rencontres entre élèves et des auteurs-jeunesse, qui pendant toute la durée du salon ont tenu un stand génial où ils familiarisaient par des activités malines en diable (fabrication de petits livres, de pièges à rêve, travail sur le braille...) les petits avec les livres. Et très vite, j'ai vu que les gens ne venaient pas pour voir des faiseurs de livres estampillés "vu à la télé", mais l'esprit aux aguets, curieux, prêts à découvrir ; j'ai senti qu'à Colmar, depuis dix-neuf ans, la manière dont a été organisé ce salon a vraiment formé des lecteurs.

Enfin parce que le samedi soir, après le dîner, nous avons eu droit à un moment de pure magie. Déjà, à notre arrivée, l'ancien conservateur en chef de la bibliothèque nous avait montré quelques trésors : un manuscrit de 1486, je crois, sur la vie de Vlad l'empaleur, des incunables... Mais le samedi soir, après la croûte aux morilles, on nous emmena au musée Unterlinden.

Dehors, la neige sur le décor de cette ville que je ne connaissais pas et qui est le charme même ; dedans, nous attendait Mme Pantxika De Paepe, conservatrice en chef, pour nous "raconter" le retable d'Issenheim, cet incroyable ensemble de peintures de Matthias Grünewald (autour de 1475-1528), peint pour l'église du couvent des Antonins d'Issenheim où les victimes du terrible mal des ardents (en fait dû à l'ergot de seigle) faisaient pèlerinage pour tenter de trouver apaisement et guérison.

Stupéfiant ! Au coeur d'une nuit noire, froide, dans cette chapelle, guidée par la voix chaude, érudite et passionnante de Mme de Paepe, cette petite troupe de gendelettres plus ou moins en représentation, plus ou moins éreintés, rassasiés et un peu gris, soudain confrontés avec le génie qui vous éclate à la gueule : le visage de la Vierge dans les bras de saint-Jean est proprement hallucinant, comme un crâne tendu de peau et passé au blanc d'Espagne... Un génie terrifiant.

Un génie pathétique, d'une incroyable violence - tellement caractéristique de cette pathologique fascination chrétienne pour la souffrance et la mort. Il faudrait aussi pouvoir faire un gros plan sur les incroyables mains de ce Christ, et surtout sur la fascinante mise au tombeau qui se trouve sous la crucifixion. La composition en soi est déjà peu commune : le vide d'un côté, le trop-plein de l'autre ; mais le traitement du cadavre est, lui, totalement singulier, comme couvert de pustules. Et les pieds !... déformés, éclatés, bousillés.

Quasi-expressionnisme de la crucifixion et de la mise au tombeau ; quasi-symbolisme de la résurrection et quasi-maniérisme de l'annonciation...

...hermétisme du concert des anges avec sa mystérieuse créature emplumée qui résiste à toute analyse...

...cauchemar de la tentation de saint Antoine aussi pré-surréaliste que Jérôme Bosch ; conversation d'Antoine et Paul d'un réalisme naturaliste qui évoque la plus "classique" des Renaissances...

tant d'inspirations différentes, tant d'explorations, d'intuitions de ce qu'est et va devenir l'art occidental ; tant de manières et pourtant un même style, un même souffle : il y a là, à coup sûr, une oeuvre - une oeuvre multiple et une, ce qui rajoute à son caractère d'hapax absolu - absolument exceptionnelle devant laquelle on reste stupéfait, qui retient par mille détails, par mille correspondances entre les différentes scènes : la main de Jean le Baptiste sur la crucifixion, celles de Gabriel dans l'annonciation et de Paul dans la conversation...

Depuis que je suis rentré de Colmar, je tente de retrouver ce que j'ai lu de Malraux sur ce retable. Il me semblait me rappeler un passage l'analysant comme l'une des oeuvres majeures, une des oeuvres clés de l'art occidental. Je n'ai rien retrouvé (c'est pour cela que ce billet a un peu tardé). A moins qu'il ne s'agisse d'un souvenir de télé - du temps où il y avait une télé -, d'une de ces fulgurances d'un Dédé en grande forme vaticinant avec son génie habituel dans un des treize numéros de l'inoubliable "Journal de voyages avec André Malraux" tourné autrefois pas Jean-Marie Drot, avec ce générique qui m'a fait acheter le coffret (en 33 tours, eh oui ce n'était pas hier ! la preuve, il y avait une télé) de l'Orfeo de Monteverdi...

Bref, j'ai seulement pu retrouver, sur le Net, que Malraux a raconté (mais où ?), au temps où, colonel Berger (son nom de Résistance), il commandait la Brigade Alsace-Lorraine devant la poche de Colmar, avoir "libéré" le retable, emprisonné par les nazis au Haut-Koenigsburg. Vérité ou légende ? Je m'en fous chez Malraux - un génie a tous les droits, à commencer par celui de transformer la légende en vérité, et vice-versa. On imagine Dédé, épuisé après une journée de combat dans la neige, la cigarette au bec, faisant sortir le chef-d'oeuvre des caisses...

Commotion. C'est le mot qu'il semble avoir employé pour qualifier cette rencontre avec Grünewald. Et là, légende ou pas, maintenant que j'ai vu ce retable, je suis sûr qu'il faut le prendre au mot.