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vendredi 21 mars 2008

Bienfaiteur de l'humanité

Jean-Claude Malgloire est de ces précurseurs, un de ces artistes qui ont fait plus pour rendre la vie plus belle que la plupart des fausses gloires (artistiques, littéraires, politiques...) plus ou moins faisandées qui monopolisent de nos jours l'intérêt des médias.

Jean-Claude Malgloire a créé la Grande Écurie de la Chambre du Roy en 1966, dit le programme de l'Orlando de Haendel que je suis allé écouter (en version de concert) avec une de mes amies les plus chères, avant-hier soir au Théâtre des Champs-Élysées.

Jean-Claude Malgloire est de ceux qui, en France et dans le monde, ont ressuscité la musique baroque tuée par le goût bourgeois, de ceux qui ont fait ensemble un travail extraordinaire de chercheurs et d'artistes pour exhumer les partitions oubliées, redonner à cette musique des instruments qui n'existaient plus, former des musiciens, des chanteurs, des danseurs...

L'aventure de la redécouverte et de la renaissance de la musique baroque après la deuxième guerre mondiale est probablement l'une des plus belles entreprises culturelles du siècle passé, conduite par des passionnés, des chefs comme Malgloire, Harnoncourt, Gardiner, Pinnock, Herreweghe et William Christie bien sûr ; des voix extraordinaires comme Lesne, Jacobs ou Bowman - mon préféré, sans conteste.

Cette aventure-là aura apporté à quelques-uns dont je suis un supplément de bonheur, de jouissance, de sérénité, dont Malgloire a sa part : M. Malgloire, je vous le dis comme je le pense, vous êtes un bienfaiteur de l'humanité !

Bon, à part cela, la soirée d'avant-hier n'était pas inoubliable. L'Orlando n'est pas l'opéra de Haendel que je préfère. Même si la partition est pleine de beautés, elle ne me transporte pas comme le Giulio Cesare in Egitto, mon Haendel préféré. Il y a, à mon goût, trop de tunnels et de langueur entre les coups d'éclat et les vertiges de sensualité ou de virtuosité qui font de Haendel, à mes oreilles, un des dix plus grands musiciens de tous les temps.

Restait l'incroyable magie de la voix des contre-ténors (on rêve toujours de savoir quelle serait la différence si l'angélique monstruosité de l'institution des castrats avait survécu). Malheureusement, Christophe Dumaux, qui tenait le rôle titre... On l'a senti tout de suite : le timbre est exceptionnel, la richesse des nuances prometteuse, la prestance en scène et la... beauté doivent faire miracle dans une version mise en scène, mais il lui manquait cruellement la puissance.

C'était la première fois que j'entendais ce chanteur dont la carrière est fulgurante. Je ne peux dire qu'une chose : il m'a séduit mais il ne m'a pas convaincu. Sans doute n'était-il pas en forme ce soir-là. Cela arrive à tout le monde, mais on avait mal pour lui à tendre l'oreille dès que l'orchestre prenait le relai des clavecins. La version concert ne pardonne rien : l'orchestre n'est pas dans la fosse mais sur la scène, derrière les chanteurs, si bien que... plus d'une fois, on a eu envie de demander à M. Malgloire de baisser le son.

Et la faiblesse de M. Dumaux était d'autant plus flagrante et cruelle que le reste de la distribution était impeccable : très belle basse d'Alain Buet, deux sopranos de grande classe, Mmes Eléna de La Merced et Yvette Bonner qui nous a gratifiés de moments de grâce pure, avec une mention spéciale à l'autre contre-ténor, Jean-Michel Fumas, dont la voix a sans doute moins de velouté, de raffinement, mais qui, lui, est audible sans effort depuis le poulailler, ce qui, tout de même, est la première des qualités au concert.

samedi 1 mars 2008

Deux excellentes soirées (Acte I : Athéna, Thésée et Lully)

La première, mercredi, c’était au Théâtre des Champs Élysées, pour un très réussi Thésée de Lully (la musique) et Philippe Quinault (le livret).

Je suis un baroqueux depuis longtemps déjà – depuis que, à 16 ou 17 ans, j’ai découvert que le Te Deum de Marc-Antoine Charpentier n’était pas que le générique de l’Eurovision. J’aime le Grand Siècle, Racine, Saint-Simon, La Bruyère et les lettres de la princesse Palatine (pleines d’esprit, d’art du portrait, du cruauté sur la cour et les éternelles petitesses des grands hommes). Je considère Versailles comme une des dix merveilles du monde (malgré les aberrations du récent règne de la sinistre dame Albanel, ci-devant liquidatrice des politiques culturelles de ce pays ).

J’aime chez Louis XIV le jeune roi libertin, épris de danse, de lumière et de grandeur – le protecteur des arts et des plaisirs, le roi qui a fait lire, parler, rêver toute l’Europe en français. Sa volonté acharnée de domestiquer l’aristocratie. J’aime le roi qui fait passer la compétence avant le nom, qui s’appuie sur Colbert et Louvois, qui impose l’intérêt national aux féodaux.

C’est avec Louis XV et Louis XVI que la monarchie rompt le pacte qui unit le peuple et ses couches montantes au souverain. C’est la réaction aristocratique qu’ils ne savent empêcher ou que, par faiblesse, ils encouragent, qui engendre la révolution. Toutes choses que devrait méditer notre roi.

Je déteste chez Louis XIV l’époux de cette cul-serré de Maintenon (« la vieille ordure », « la vieille guenon » ou la « vieille ratatinée » sous la plume de la Palatine) qui assure le triomphe des cagots, la révocation de l’Édit de Nantes, les dragonnades et les horreurs des persécutions anti-protestantes, la cécité politique et la glaciation culturelle qui s’emparent de la France à partir du moment où le roi préfère aller à la messe qu’au théâtre, à confesse plutôt qu’au lit des belles :

« La cour devient si ennuyeuse qu’on n’y tient plus, car le roi s’imagine qu’il est pieux s’il fait en sorte qu’on s’y ennuie bien. C’est une misère quand on ne veut plus suivre sa propre raison et qu’on ne se guide que d’après des prêtres intéressés et de vieilles courtisanes ; cela rend la vie bien pénible aux gens honnêtes et sincères. » (Lettre de la Palatine du 1er octobre 1687).

Toutes choses que devrait aussi méditer notre pieux souverain.

Ce Thésée, lui, date de 1675 ; la période solaire du Grand Roi, alors qu’il n’est pas encore tombé dans les pattes des curés et de la vieille ratatinée. Solaire, comme la production du Théâtre des Champs Élysées et de l’Opéra de Lille où il sera monté en mars.

La partition est superbe, pleine de moments de grâce et de vitalité grandiose : tout ce que j’aime dans le baroque ! Et puis, pour l’auteur de L’Or d’Alexandre, que j’aurais pu intituler L’Or d’Athéna, la présence dans cette œuvre de « Minerve savante, guerrière Pallas », à qui est notamment dédié l’air sublime qui clôt le premier acte, fut en quelque sorte une divine surprise.

Rien à dire de la mise en scène due à Jean-Louis Martinoty : impeccable, classique, avec utilisation désormais rituelle de la vidéo (projections un peu longuettes et répétitives, malgré tout, de personnages venus des tableaux de Jérôme Bosch pour évoquer les tourments du Tartare déchaînés par la magicienne Médée). Mais rien non plus du choc (mon plus grand, au théâtre, toutes catégories confondues) que fut, il y a vingt ans l’Atys de l’Opéra comique dans la mise en scène de Jean-Marie Villégier – spectacle à jamais inoubliable, génial, j’ose le mot sans le galvauder, et que j’ai dû voir au moins trois fois.

La distribution elle aussi est impeccable : Jean-Philippe Lafont un peu déroutant au début, s’en tire très bien, Sophie Karthäuser est superbe, Paul Agnew... souverain. Nathan Berg, en Arcas, est mieux qu'irréprochable. Quant à Anne Sofie von Otter, à propos de qui, semble-t-il, il est de bon ton d’avancer qu’elle n’est plus ce qu’elle était, ce qu’elle est suffit en tout cas à mon oreille et à mon bonheur.

Encore faut-il dire quelques mots d’Emmanuelle Haïm, de l’orchestre et du chœur du Concert d’Astrée qu’elle dirige : on approche là de la perfection ! Elle et eux savent nous faire goûter tout des plaisirs ineffables que peuvent procurer les notes du divin Jean-Baptiste – des nuances les plus subtiles aux éclats les plus triomphants.