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Si vos personnages ne parlent pas politique
 

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Si vous personnages ne parlent pas de politique

« Si vos personnages ne parlent pas politique, ce ne sont plus les Français de 1830, et votre livre n’est plus un miroir, comme vous en avez la prétention », écrit Stendhal dans Le Rouge et le noir (II, chap. 22), après avoir fait mine de défendre le point de vue contraire et en mettant cette phrase dans la bouche de son éditeur, une phrase qui lui permet ensuite, contre les partis pris esthétiques en vigueur, de ne cesser de parler politique.

Régine Foucault (qui a entièrement bâti ce site : merci encore, Régine !) et moi nous sommes connus grâce à la critique du Château du silence qu’elle avait mise en ligne sur son site de passionnée de littérature. Et c’est en échangeant avec elle, par courriel, à propos de son compte rendu de ma Quatrième Révélation, que j’ai réalisé ce qui, inconsciemment jusque-là, a constitué et constitue encore une de mes plus puissantes motivations à écrire : « Olivier prête ses mots à ceux qui n’ont pas toujours les moyens de parler… d’exprimer. Il donne son héros à ceux qui ont subi dans le silence et l’ignorance, les pires sévices. »

 

Oui, c’est bien de cela qu’il s’agit, d’abord. À la source de chacun de mes livres, il y a la volonté de redonner la parole à des hommes qui en ont été privés par un enchaînement tragique de causalités. À des hommes dont la dignité a été bafouée. Pas sous la forme d’un manifeste (même si j’écrirais autrement, aujourd’hui, certains passages des Ombres du levant qui s’y apparentent de trop près), à travers des personnages de chair et de sang, d’une histoire qui captive et égare le lecteur pour le mener là où je voudrais le conduire.

Dans Les Ombres, Éléni et Pavlos parlent pour ces victimes de l’Histoire que furent les résistants grecs. Comme notre littérature actuelle, il m’a toujours semblé que nos débats sur la Résistance souffraient de nombrilisme aigu. Si Alexandre Granier d’Hautefort, mon narrateur, est un Français libre, j’ai voulu qu’il soit témoin et acteur (1) de l’histoire d’un pays où la Résistance fut une des plus spontanées et des plus massives d’Europe. Mais où, dès la Libération, les Anglais puis les Américains s’appuyèrent sur les collabos d’hier contre ceux qui avaient tout risqué pour combattre le nazisme. Parce qu’en Grèce la monarchie s’était confondue avant-guerre avec la variante locale du fascisme et que tous les résistants étaient antimonarchistes, parce que les Anglais puis les Américains considérèrent cette monarchie comme le rempart contre le communisme et que les communistes avaient structuré autour d’eux le principal mouvement de Résistance. Et parce que le Parti communiste se laissa entraîner à l’épreuve de force pour n’avoir su analyser ni la résolution de ses adversaires ni le machiavélisme de Moscou, les résistants grecs se retrouvèrent tous suspects, traités en ennemis de l’intérieur quand ils n’étaient pas emprisonnés ou massacrés. [lire l'extrait]

Dans Le Plongeon, c’est aux victimes de la dictature des Colonels et de la guerre civile grecque dont elle est née que j’ai voulu rendre la parole. Le combat des Républicains espagnols contre la variante catholico-franquiste du fascisme est bien connu en France, en raison de la proximité géographique comme du rôle de champ d’expérimentation de la guerre mondiale que joua la guerre d’Espagne. Mais on ignore presque tout de la guerre civile grecque. Parce qu’elle était un peu loin pour notre ethnocentrisme, qu’en 1945 on avait plus envie d’effacer les mauvais souvenirs que de se laisser empoisonner l’existence et troubler la conscience par de nouveaux cauchemars, et parce qu’elle était le prélude à une guerre froide dans laquelle le leader du « camp de la Liberté » joua durant trente ans, sur les bords de l’Égée, avec autant de talent que de conviction, un rôle de salaud qu’on préfère occulter. [lire l'extrait]

Dans Le Château du silence, il y a deux héros : le narrateur qui enquête sur le sort d’un des 1619 Chypriotes grecs disparus (http://www.missing-cy.org/) lors de l’invasion de leur île, en 1974, par la Turquie. Et puis Polykarpos, ce disparu, qui, entre les chapitres bâtis sur un mode narratif traditionnel, hurle son désespoir du fond du cul-de-basse-fosse turc où il est enterré vivant. [lire l'extrait] Car la Turquie, admise à négocier son entrée dans une Union européenne qui s’extasie sur les progrès turcs dans le domaine des Droits de l’homme, occupe et colonise impunément depuis plus d’un quart de siècle 38 % du territoire d’un État membre de cette Union dans laquelle elle aspire à rentrer, violant de surcroît, tous les quatre matins, l’espace aérien de la Grèce, autre membre de la même Union qu’à l’occasion elle menace volontiers de guerre. En tout cas, cette Turquie si performante dans le domaine des Droits de l’homme refuse toujours de donner la moindre explication sur le sort de 1619 disparus (ce qui, rapporté à la population de notre pays, équivaudrait à 150.000 : autant que de Français déportés entre 1940 et 1944 !) qu’elle a assassinés ou détenus pendant des lustres (dont elle détient peut-être encore certains : qui peut savoir ?) et dans des conditions dont on peut avoir une idée en revoyant Midnight Express… Qui en tout cas ne rentreront jamais, sans que jamais leurs familles aient droit au moindre renseignement sur leur sort ! Tout ceci dans l’indifférence européenne et mondiale. Parce que l’alliance turque reste plus que jamais capitale pour les États-Unis d’Amérique.

Le mobile des auteurs de l’assassinat de La Quatrième Révélation n’est pas l’homophobie. Pourtant, face à leur victime, leur meurtre devient homophobe. Et si j’ai écrit ce livre c’est pour que cette victime-là puisse dire ce que la mort de tant d’autres les a empêchés de hurler : pourquoi la sauvagerie, la volonté d’humilier, de faire souffrir, de nier l’humanité caractérisent presque toujours les meurtres d’homosexuels. Même lorsque la haine du pédé n’est que l’adjuvant d’un mobile crapuleux – ou politique dans mon roman. Pourquoi l’assassinat d’un pédé reste si souvent impuni – à cause de la complaisance de la police et des juges, encore trop souvent. Pourquoi le calvaire du pédé demeure presque toujours enveloppé d’un épais silence médiatique – quand le venin de la suspicion ne vient pas parachever le travail des bourreaux. Pourquoi un pédé victime d’une agression n’est jamais considéré comme tout à fait innocent, toujours un peu coupable de ce qui lui est arrivé, responsable de son sort, non en raison de ce qu’il a fait ou pas, mais en raison de ce qu’il est – comme les Juifs l’étaient aux yeux des nazis. [lire l'extrait]

L’Or d’Alexandre enfin, ainsi que la plupart de mes livres, est né d’une rencontre. Celle d’un lecteur qui, à la Fnac de Reims où j’étais venu présenter Le Château du silence, a eu l’air de trouver exceptionnel que j’aie le temps de parler avec quelqu’un qui circule en fauteuil. Que je m’accroupisse pour faciliter l’échange à cause du brouhaha ambiant. De cette première discussion est née une amitié et, chez moi, un désir de dire des choses que je n’avais pas entendues jusque-là, ou auxquelles je n’avais jamais prêté attention. Ce livre n’aurait pas existé sans la confiance de Michel Robert, la manière dont il a répondu à mes interrogations les plus indiscrètes. La vie de mon héros n’a rien à voir avec la sienne, mais grâce à lui j’ai pu faire entendre la voix d’un tétraplégique sur son quotidien, ses souffrances, ses désirs et ses frustrations. J’ai pu lui faire dire que se retrouver cloué sur un fauteuil ne vous transforme pas en être asexué, sans autres droits (d’ailleurs bafoués par l’État qui les a édictés) que ceux d’accéder aux ascenseurs et de travailler plus pour gagner moins.[lire l'extrait]

 

J’aime beaucoup Gide. Les Caves du Vatican est un de mes livres culte. Corydon a marqué une des étapes de ma libération intime. Pour moi qui n’ai jamais été tenté par le communisme ni par aucune de ses variantes ou hérésies, tous aussi liberticides que les monothéismes dont ils sont issus, Retour d’URSS est un acte de courage et de lucidité admirable. Comme l’est aussi et autant Voyage au Congo, pour moi qui ai toujours considéré la colonisation comme une faute, dont les crimes ne sont pas contingents, à peser au trébuchet avec ses bénéfices sur l’autre plateau. Car elle ne fut jamais, ainsi que le proclamait un de ses plus ardents adversaires, Clemenceau, le 30 juillet 1885 à la Chambre des députés, que l’expression de « la puissance de la force sur le droit ». Bref, j’admire Gide, et je suis d’accord avec lui qu’on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments, parce que cela signifie que la littérature n’a pas à illustrer l’idéologie dominante de l’époque où l’on écrit – les bons sentiments bourgeois à celle de Gide. Cela ne signifie pas que toute littérature engagée dans la défense d’une certaine idée de l’homme et de sa liberté soit à proscrire. La plupart des livres que j’aime passionnément sont des livres d’engagement, de Monte Cristo à L’Île des pingouins, de L’Espoir aux Mémoires d’Hadrien, et de L’Immoraliste aux Faux-Monnayeurs.

C’est ce genre-là de romans que j’aime écrire, des romans qui procurent du plaisir au lecteur, qui le tiennent en haleine, le fassent sourire, frissonner ou grincer des dents, qui lui donnent – j’espère – le plaisir de plonger dans mon univers et le regret de s’en extraire, qui ne lui disent pas ce qu’il convient de penser, mais qui éveillent des curiosités, suscitent des réflexions, en lui faisant entendre des voix qu’on a étouffées et qui, pourtant, ont quelque chose à lui dire.

 

Or donc, je continuerai à défendre, dans mes livres, que la transcendance n’est pas plus indispensable à la morale que la vertu n’est incompatible avec la débauche. Je continuerai à défendre une morale laïque contre la révolution néoconservatrice prônée par certain chanoine de Saint-Jean-de-Latran, grand zélateur de la morale catholique parti baiser les mules du pape dans la foulée de son deuxième divorce – que cette même morale catholique condamne : vive la cohérence ! –, déplorer la fin des patronages comme une des causes du déclin français et se lamenter sur les persécutions infligées au clergé – la bonne blague !! – par la loi de séparation des Églises et de l’État. En oubliant les innombrables victimes – non imaginaires, celles-là, qu’a faites depuis deux mille ans la religion d’amour détentrice de l’unique Vérité : des bûchers de l’Inquisition à ceux des sodomites et à la lutte contre le préservatif, en passant par Calas et le chevalier de La Barre, exécuté à Abbeville le 1er juillet 1766 pour blasphème, après avoir eu la langue et le poing coupés, parce qu’il ne s’était ni découvert ni agenouillé au passage d’une procession catholique !!! Comme dirait le chanoine promoteur de politique de civilisation : il est temps que les grandes religions prennent une place plus importante dans le débat public… alors que tout les progrès de l’humanité depuis la Renaissance ont justement consisté à les en refouler.
Je continuerai à professer que la charité n’est qu’une forme dégradée de la justice à laquelle tout homme a droit, et que l’amour universel est une foutaise, parce que je crois, comme le Nikos de La Quatrième Révélation (p. 301) qu’il « n’y a pas plus de pardon que d’amour du prochain (…) ; il y a l’amour de ceux qui lui sont aimables, la haine de ceux qui lui sont haïssables – le droit à la dignité, pas la charité, pour les autres. »

Je continuerai à nier que le libéralisme économique qui veut réduire l’homme au travail qui asservit le corps, et à la consommation qui enchaîne l’esprit, soit la seule voie de salut pour l’humanité. Parce que je crois, comme Hésiode, qu’il n’y a pas de liberté pour le rossignol livré aux serres de l’épervier. C’est la métaphore qu’il avait trouvée, en Béotie, huit siècles avant notre ère, pour dénoncer les lois d’un libre Marché aux mains des riches – libres de réduire les pauvres en esclavage. Alors que Solon, au VIe siècle, interdisait la prison pour dettes, annulait celles que le libre Marché avait contraint les plus faibles à contracter auprès des puissants, et tentait pour la première fois, afin d’éviter la guerre civile, une régulation étatique d’un Marché libre et non faussé dont la pente naturelle est l’accroissement exponentiel des inégalités – jusqu’à ce que l’intolérable devienne insupportable [lire l'extrait]. Je crois, avec Félicité Lammenais (une de ces belles âmes d’un catholicisme si généreux en paroles, mais toujours du côté du manche dans les faits) que : « entre le riche et le pauvre, le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ».

Je continuerai à écrire mon obsession et mon horreur de la torture – une terreur qui m’habite depuis l’enfance et qui revient, comme à mon insu, dans chacun de mes romans.

Je continuerai à ferrailler pour la liberté de l’esprit, contre les monothéismes – religieux ou partisans qui prétendent tous – ouvertement ou non – l’étouffer. C’est Gide qui écrivait en 1936 dans Les Nouvelles Pages de journal : « Ce qui m’effraie, c’est que cette religion communiste comporte, elle aussi, un dogme, une orthodoxie, les textes auxquels on se réfère, une abdication de la critique » ; il en va de même, à mes yeux, du libéralisme néoconservateur qui a imposé son orthodoxie et ses prêtres aux médias, ses chiens de garde au pouvoir [lire l'extrait]. Parce que pour moi la peste absolue, c’est l’abdication du libre examen,[lire l'extrait] parce que c’est de là que découlent tous les malheurs de l’humanité au moins depuis saint Paul : la foi ; la conviction de détenir LA Vérité, par révélation exclusive d’un Dieu unique, de Marx ou d’Adam Smith. Parce que le responsable, ce n’est pas tel ou tel intégrisme mais le système qui l’a engendré.

Il n’y pas un message indemne de toute souillure et des Églises, des logiques d’appareil, des partis, des hommes qui sont responsables de ses dérives criminelles. Il y a, dès l’origine, un ver dans le fruit : qui dit croyance en une Vérité unique, dit soumission au pouvoir qui en procède, la communion en place de la réflexion, l’acceptation de se plier à des desseins qui vous dépassent – de s’en remettre. Peu importe à qui ou à quoi, et quelles que soient les contorsions chrétiennes pour concilier le libre-arbitre avec l’existence d’un Dieu tout-puissant et infiniment bon qui laisse prospérer le Mal, l’injustice et la souffrance. Quelles que soient les contorsions des thomistes de tout poil, de ces esprits éclairés chrétiens, juifs ou musulmans, communistes à visage humain et libéraux à préoccupations sociales, pour concilier la logique de fer de leur croyance avec ce que nous a légué la Grèce : la raison, le relativisme, la pensée libre et le débat politique comme garants de l’intérêt général face aux intérêts particuliers. [lire l'extrait]

Je continuerai à me battre avec ma plume, pour la démocratie. Même si aujourd’hui elle est en voie d’être vidée de tout sens par une oligarchie d’argent qui monopolise une part de plus en plus grande de la richesse collective, impose le démantèlement de la protection sociale (et la taxation des malades chroniques par les franchises médicales avant d'imposer demain des assurances privées), la privatisation des bénéfices et la socialisation des pertes ; par des médias qui lui appartiennent et établissent leur conformisme révèrent pour l’Ordre comme une vérité d’évidence ; par une nomenklatura politique qui, au lieu d’assurer pour un temps limité une fonction de « représentation », cumule les mandats sans limite de durée, tout en vivant sur la bête dont elle exige toujours plus de sacrifices sans jamais s’en appliquer aucun, à la fois mandataire et obligée (point de largesses sans contreparties, explicites ou non) des nomenklaturas d’argent et de médias – ainsi que le manifeste l’actuel président, jusqu’à l’obscénité, depuis le soir de son élection à la magistrature suprême.


(1) Parmi mes vanités de romancier, je range en bonne place la réaction d’André Kédros, résistant, exilé, auteur d’un des premiers livres en français sur le sujet, La Résistance grecque 1940-1944, Paris, Robert Laffont, 1966, qui s’étonna, après avoir lu mon manuscrit, qu’un Français de mon âge ait pu décrire la vie d’un maquis grec comme « de l’intérieur ». Et la déception de Christophe Chiclet [lire l'article], l’auteur de la magistrale synthèse Les Communistes grecs dans la guerre, Paris, L’Harmattan, 1987, devenu depuis un ami. Il avait trouvé trace, dans les archives, d’un émissaire de la France libre auprès de la Résistance grecque qui avait suivi à peu près l’itinéraire de mon héros, rencontré à peu près les mêmes interlocuteurs. Il croyait que mon roman était le vrai journal de mon vrai grand-père, qu’il allait enfin lever le mystère de l’identité de cet émissaire qu’il n’avait pu percer. Il a eu du mal à croire que j’avais tout imaginé à partir de ce que je pensais plausible ; et moi j’ai su, à ce moment-là, qu’un romancier peut dire sur l’histoire des choses aussi vraies que si elles avaient existé.