Ecrivain
|
|
|
|
|
|
|
|
Album apprenti archéologue
 

Repères biographiques

 
 

Retour album général

 
 
 
 

Navigation : Pour tourner les pages de l'album, cliquer sur les flèches jaunes en bas à gauche ou à droite de chaque page.
Pour revenir à la page générale présentant l'ensemble des photos, cliquer sur l'album ci-dessus

 
 
Apprenti archéologue
 
 
Cassius
 
 
Palmyre
 
 
Maîtrise
 

 

Apprenti archéologue

Après le bac et une hypokhâgne à Henri-IV, c’est donc tout naturellement en fac d’histoire que je m’inscrivis. À Paris-IV, c’est-à-dire dans le bastion sorbonagre de l’histoire « traditionnelle ». Au vrai, ce n’était pas un choix politique conscient ; il m’a parfaitement convenu : Tréheux, Chaunu, Lemarignier n’étaient pas des révolutionnaires ; ils m’ont permis d’acquérir des structures et de solides connaissances.

Outre l’histoire grecque, je choisis alors de me spécialiser en numismatique et en archéologie : à l’automne de 1980, je soutins mon mémoire de maîtrise sur la datation d’un décret athénien du Ve siècle avant notre ère, imposant aux cités de la Ligue de Délos, en principe souveraines, d’apporter à Athènes leurs monnaies et de les changer… à un taux léonin, outrageusement avantageux pour les Athéniens. J’avais voulu travailler sur les monnaies grecques en partie parce qu’elles sont d’admirables œuvres d’art ; je découvrais les ressorts de la première entreprise d’impérialisme monétaire.

Au printemps de la même année, j’étais parti deux mois en Syrie, dans la mission française dirigée par Paul Courbin qui fouillait un comptoir grec à Ras-el-Bassit, tout près de la frontière du sandjak d’Alexandrette, indûment donné par la France à la Turquie en 1939. Je n’oublierai jamais l’incroyable spectacle que nous y réservait chaque matin le lever du soleil sur le mont Cassius, qu’Hadrien et Antinoüs avaient gravi pour y sacrifier à Zeus et admirer « ce phénomène de l’aurore, prodige journalier que je n’ai jamais contemplé sans un secret cri de joie », au sommet duquel, à leur arrivée, un éclair avait tué le faon qu’ils devaient sacrifier et le prêtre qui devait accomplir le rite.(Lire un extrait des Mémoires d'Hadrien de Marguerite Yourcenar)

 

Hôtel  Zénobie

Tout le début de mes Ombres du levant [lien avec la page de présentation du roman] garde une trace de cette découverte émerveillée de la Syrie, d’une Palmyre déserte, de ses bains soufrés et de son antique hôtel Zénobie (le seul, à cette époque). Comme la Grèce, ce fut donc par son histoire longue que j’abordais le Proche-Orient, où je revins à plusieurs reprises (en Égypte, Jordanie, Irak, Israël, Syrie de nouveau), avant d’enseigner aujourd’hui aux étudiants de Science po son histoire contemporaine.

 

En attendant, je passai l’agrégation d’histoire : troisième collé en 1981, reçu en 1982. Pour me permettre de partir dans une des institutions françaises de recherche archéologique à l’étranger, l’État français avait exigé que je me soumisse à cette épreuve initiatique qui ne prépare en rien à la recherche mais supposait que je fusse incollable sur le Bas-Empire romain, la Réforme et la Contre-Réforme, ou les structures rurales de l’Italie du Xe au XIIe siècles. Violant les règles qu’il a lui-même édictées et qui stipulent que les agrégés sont destinés au lycée ou à la fac, cet État-là me confia alors, sans la moindre préparation ni la moindre aide pédagogiques, des classes de collège, dans une campagne déshéritée de Picardie, où une poignée d’élèves lisait presque couramment en 3e – quant à écrire, c’était une autre paire de manches !

L’aventure me rappela la vieille plaisanterie sur le service militaire :
– Qui parle anglais ?
– Moi.
– Vous serez de corvée de pluches.
Elle m’a laissé un intense sentiment d’amertume dont on retrouvera la trace dans plus d’un de mes romans.

En tout cas, je n’avais pas passé ce concours pour enseigner – encore moins en collège et à des analphabètes ; je l’avais passé pour faire de la recherche. À l’échéance de mon sursis militaire, je devais partir en coopération à l’Institut d’Études anatoliennes d’Istanbul, pour y faire ma thèse sur un trésor de monnaies grecques d’Asie Mineure. Mais l’Éducation nationale, en plus de me coller des boutons, m’avait, en deux ans, affligé d’une hypertension chronique (qui disparut comme par magie lorsque je la quittai…) : j’étais assez bon pour le Vimeu, mais pas pour le service.

Sur le coup, je m’en réjouis. À tort. Car le tournant de la rigueur socialiste sabra dans les postes auxquels, civil, je pouvais postuler. Quelle rentabilité économique peut bien avoir l’archéologie ?! Il faudrait, un jour, tenter d’expliquer aux responsables de tout bord de ce pays que le rayonnement d’une nation comme la France, le nombre de locuteurs francophones et, par conséquent, les relais politiques et économiques dont elle disposera à l’étranger dans trente ans ne sont pas corrélés aux statistiques mensuelles du commerce extérieur, qu’en Grèce et en Orient nos institutions culturelles – notamment archéologiques – jouent un rôle qui dépasse largement leur spécialité. Mais comment faire comprendre pareille complexité à une « classe politique » aussi intellectuellement médiocre que la nôtre ? à une classe politique qui liquide de bon cœur un réseau des Instituts français en Grèce qui assurait depuis des décennies une présence linguistique et culturelle de la France aux quatre coins de ce pays, qui avait tant contribué à ce que ses élites culturelles, économiques et politiques parlassent français… ceci dans le même temps où cette même classe politique se gargarise de francophonie et construit un machin bureaucratique supplémentaire, pompe à fric mâtinée d’usine à gaz, dont la seule utilité est de distribuer des prébendes et d’organiser des sommets aussi fastueux que vains.

 

Bref, réformé et victime de la rigueur Delors, j’aurais peut-être réussi à décrocher un poste si je m’étais battu comme je l’aurais dû. Mais ma peu gratifiante participation forcée à l’alphabétisation des masses du Vimeu, conjuguée au fait d’être largué par celui qui avait été le premier amour de ma vie, me conduisit plutôt à la délectation morose de ce double échec et à une déprime qui m’empêcha de réagir.

Je ne deviendrais donc jamais archéologue.