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Album Homo historicus
 

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Homo historicus
 
 
 
 
Mémoires d'Hadrien
 
 

 

Homo historicus

Contes et légendes

Je ne saurais dire quand exactement, mais très tôt l’histoire est devenue une passion dont j’ai voulu faire mon métier. Je n’ai jamais été un fan du Club des cinq ou du Clan des sept : j’ai sauté directement de Oui-Oui et Fantômette aux Contes et légendes, puis j’ai dévoré les dix Pardaillan de Zévaco, ces formidables romans pleins du bruit et de la fureur des guerres de religion, des amours impossibles et un rien sado-maso du beau et généreux Pardaillan avec la vénéneuse et cruelle Fausta ; Les Trois Mousquetaires et Monte-Cristo ont suivi de peu.

La littérature aura donc joué un rôle fondamental dans mon attrait pour l’histoire. L’école aussi – j’ai toujours eu le plus grand mal à comprendre qu’on puisse s’y ennuyer. Ce ne fut jamais mon cas, dans aucune matière mais, dès la primaire, j’attendais chaque cours d’histoire comme une gâterie. Et puis il y avait les vacances italiennes, les dimanches d’hiver, après la sortie en forêt, où je tannais ma grand-mère pour faire une partie de « Jeu des sept familles de l’histoire de France », dont je pourrais encore décrire la carte de Michel de l’Hospital comme celle de Louis XV, et les samedis soirs d’été, au camping de Meursault où, de guerre lasse, mes parents et ma sœur acceptaient de jouer au « Panthéon de l’Europe », dans lequel on déplaçait son pion, de Rome à Amsterdam, avant d’acheter aux enchères Michel-Ange ou Érasme.

Il n’y a pas eu de télé à la maison jusqu’à ce que j’atteigne les quatorze ou quinze ans, mais nous allions la voir, parfois, chez l’un ou l’autre de mes grands-parents et, très vite, je me suis aperçu que, si les émissions qui passionnaient la plupart des garçons de mon âge me laissaient de marbre, si Au Nom de la loi ou Les Mystères de l’Ouest m’intéressaient surtout par le regard et les avant-bras de Steeve McQueen, les pectoraux et les pantalons moulants de Robert Conrad, je restais scotché, à chacun de leurs passages, devant Sissi, Angélique ou Si Versailles m’était conté de Guitry. Je ne sais d’ailleurs toujours pas y résister, même si aujourd’hui c’est plutôt à cause de répliques comme celle de Sacha-Louis XIV vieillissant, levant les yeux au ciel dans la galerie des glaces, tandis que Mme de Maintenon le pousse dans son fauteuil roulant : « Vous implorez le ciel ? – Non, j’admire le plafond ». Et puis il y avait les séries et les feuilletons, Le Chevalier de Maison Rouge, Les Compagnons de Jehu ou Vidocq – sans oublier, bien sûr, à tout seigneur tout honneur, Thierry la Fronde : combien de gamins de ma génération, Jean-Claude Drouot et ses collants auront-ils éveillé à l’intérêt pour la guerre de Cent ans… en même temps qu’à leurs désirs.

À mes yeux, Robespierre et Saint-Just auront toujours le visage de Jean Négroni et Denis Manuel dans La Terreur et la Vertu, une de ces Caméra explore le temps de Stellio Lorenzi, qui dit tout sur les ambitions qu’avait la télévision d’alors, et sur l’ignoble entreprise de décervelage qu’elle est devenue depuis la privatisation et l’attribution de TF1 en fonction du… « mieux-disant culturel ». C’est avec cette caméra-là, en regardant L’Affaire Calas, dix ans avant d’étudier Candide en classe, que j’ai commencé à aimer Voltaire et à détester l’intolérance religieuse, ou compris qu’Henri III n’était pas la caricature d’un roi à bilboquets et mignons, mais qu’en faisant exécuter Guise, il s’était élevé, avec Philippe-Auguste, la Pucelle d’Orléans, Louis XI, Richelieu et Mazarin, Carnot, Clemenceau ou de Gaulle, au rang de ceux qui ont permis à la France de se construire en dominant les crises qui faillirent la tuer.

Ensuite, bien sûr, cette passion de l’histoire est devenue plus sérieuse ; elle s’est faite apprentissage de méthodes, acquisition de connaissances, prise de conscience qu’épopées, rois et batailles ne la résument pas, qu’elle est aussi histoire des humbles, des mentalités, des peurs et des croyances, des coutumes, des échanges, des modes de vie.

Livres Grèce

Marrou, Braudel, Duby, Le Goff, Delumeau et tant d’autres m’ont guidé dans le découverte de ce nouveau continent. En histoire grecque – la passion à l’intérieur de ma passion –, j’ai dévoré Gernet, Frazer, Finley, et puis bien entendu Vidal-Naquet, Vernant, Claude Mossé, Maurice Sartre, Nicole Loraux, mais sans renier l’approche plus classique de Flacelière, Chamoux ou Jacqueline de Romilly. Pas plus que cette histoire savante ne m’empêchait de toujours me passionner pour l’histoire mise en roman (je n’aime pas l’expression de roman historique), des Mémoires d’Hadrien de Yourcenar au Nom de la rose d’Eco ou à Cités à la dérive de Stratis Tsirkas.

En rien, je ne suis dogmatique. Je n’ai jamais été ni marxiste ni tenté par l’engagement communiste ou gauchiste, à une époque où, dans le corps professoral qui m’enseignait comme parmi mes condisciples, il était hérétique de ne pas au moins pencher de ce côté-là. Cela m’aura évité le zèle de l’historien-dévot qui consiste à tordre les faits afin qu’ils ne contredisent pas sa foi, puis, quelques années plus tard, celui de l’historien-converti qui, pour racheter ses péchés marxistes d’hier, se croit obligé de brûler, avec la même ardeur, ce qu’il a adoré. J’ai toujours vu dans la pensée de Marx une grille d’analyse parmi d’autres – utile, même si elle est assez peu efficiente pour la période qui me passionnait d’abord, l’Antiquité.

Si je crois au rôle fondamental des forces profondes, des imaginaires collectifs, des intérêts économiques comme des antagonismes sociaux, si le concept de lutte des classes ne m’effarouche pas et que, sans être soboulien, je rejette l’anathème fulminé contre la Terreur dans la foulée des travaux de Furet, si je pense que les Annales ont profondément renouvelé, enrichi l’histoire, j’ai toujours cru aussi au rôle déterminant du « héros », de l’équation personnelle, du destin individuel, capable d’agir comme un catalyseur dans une réaction chimique, c’est-à-dire d’opérer, par son caractère et sa volonté, un changement de nature de la matière historique dans laquelle il interfère.

Et si je crois à la rigueur de l’historien, je pense aussi qu’aucun d’entre eux ne nous a donné autant de clés que Marguerite Yourcenar pour comprendre ce qui, dans le IIe ou le XVIe siècle, peut nous aider à vivre en honnête homme du XXIe.

 
La Grèce Mon mec à moi