Mon homme n'ayant plus une chemise à se mettre, j'ai entamé avant-hier soir un grand cycle repassage. Et hier soir, en repassant, j'ai regardé Arte, qui diffusait un étonnamment juste et politiquement incorrect téléfilm, La Journée de la jupe qui, semble-t-il a battu tous les records d'audience de la chaîne et réuni 2,2 millions de téléspectateurs.

Naturellement, la si rare et si exceptionnelle Isabelle Adjani était plus que parfaite. Quant au suspense, il était plutôt bien construit et conduit, malgré quelques moments de patinage.

Mais ce qui est exceptionnel, par rapport à la production télévisuelle et d'ailleurs littéraire française, c'est bien le sujet - servi de manière si convaincante par cette prof qui pète les plombs à force d'avoir été humiliée, malmenée, insultée dans ce qu'elle est : une femme qui a droit à sa liberté, à sa dignité, à sa... jupe ; dans ce à quoi elle croit : la littérature, le savoir émancipateur, la valeur de l'enseignement, la laïcité, l'humanisme.

Face à elle, ce que M. Chevènement appelait naguère avec tant de raison des sauvageons, qui entre-temps ont eu tendance à virer aux sauvages sans on. C'est-à-dire des êtres humains dont l'école de la République, de capitulation en capitulation, de lâcheté en lâcheté, a fait de méchants imbéciles qui ne voient pas plus loin que le bout de leur religion, de leurs préjugés, de leurs instincts de domination, de leur violence et de leur connerie.

Défaite des Lumières, défaite de l'école, défaite de la République.

Ce téléfilm est une pépite parce qu'il montre ce qui est ; ce que j'ai vu moi-même, il y a déjà presque dix ans au collège Maurice Utrillo dans le XVIIIe arrondissement de Paris - la différence entre Adjani et moi, c'est que je n'ai pas tenu le choc, mon corps m'a jeté dans la maladie et presque dans la mort pour éviter d'avoir à affronter chaque jour un cauchemar face auquel les enseignants sont devenus impuissants.

Ce que montre parfaitement ce téléfilm, c'est le drame humain de ces profs-là qui n'ont que deux solutions - quand leur corps refuse de leur donner la possibilité d'échapper dans la maladie comme l'a fait le mien :

- s'accrocher à ce qu'ils croient de tout leur être et défendre bec et ongle la culture qui libère, lutter jusqu'à perdre leur santé mentale contre la barbarie, contre le ré-asservissement de la femme, contre l'homophobie (car, comme d'habitude et, naturellement, ces deux combats-là vont ensemble, car comme d'habitude la volonté de chosifier la femme s'accompagne de la haine du "gros pédé", de "l'enculé" qu'on a laissé fleurir dans les cours d'école !) ;

- ou bien tolérer l'intolérable. Pire : composer avec, chercher à le justifier au nom du relativisme, au nom du respect de soi-disant identités ; oublier que la tolérance et le respect réclamés par la barbarie conduisent la liberté au tombeau. Oublier cette phrase fondamentale de Louis Veuillot, grand polémiste catholique du XIXe siècle, que j'ai placée en épigraphe de la troisième partie de ma Quatrième Révélation : "Quand je suis le plus faible, je vous demande la liberté parce que tel est votre principe. Mais quand je suis le plus fort, je vous l'ôte parce que tel est le mien". Collaborer avec la barbarie.

Ce que montre aussi ce film, avec une vérité stupéfiante, c'est la lâcheté de la hiérarchie, celle du principal qui étouffe tout, parce que sa carrière dépend de l'absence de vagues, de sa capacité à étouffer pour que, surtout, ni au rectorat ni au ministère on n'entende jamais parler de son collège.

Une seule faute de goût dans ce téléfilm : au lieu de faire un cours sur Molière, en tenant ses sauvage-ons en respect avec son calibre, Adjani aurait dû faire un cours sur La Princesse de Clèves. Car l'état catastrophique actuel de l'école a pour cause, à mes yeux, l'alliance de deux forces :

- la démagogie du relativisme, la veulerie de tant de professeurs qui ont accepté au fil des années, par conviction ou par contrainte du consensus ambiant, de substituer l'étude des bandes dessinées à celle de la littérature, la soi-disant pédagogie aux savoirs, le contenant au contenu, le jeu et la facilité à la discipline et à l'effort ;

- le libéralisme économique qui n'a nul besoin de citoyens éduqués connaissant Molière ou La Princesse de Clèves, mais de consommateurs et de travailleurs qui ne pensent pas, qui ne lisent pas, qui se contentent de regarder TF1 et de satisfaire leurs besoins, leurs instincts.

Dans ce monde-là, la loi, la règle, n'est plus librement consentie et intégrée par tous comme la condition d'une vie en société, la garantie du faible contre la violence du fort, celle du rouge-gorge contre l'épervier écrivait Hésiode huit siècles avant notre ère. La loi, la règle, c'est le dernier garde-fou, la punition, la prison, ce qui doit maintenir - de force - les sauvage-ons qu'on a consciemment refusé d'éduquer, dans le rôle de producteur précaire réclamé par Mme Parizot et de consommateur sans conscience politique exigé par les télés Coca-Cola.

C'est pourquoi le mépris du président de la République pour La Princesse de Clèves ou les chercheurs, la vulgarité d'expression et la fascination des Rolex qu'il partage précisément avec ces sauvage-ons, la démagogie des syndicats enseignants, le tout-répressif de Melle Dati et de son patron, l'absence totale de réflexion sur ce que devrait être la réforme radicale du système d'éducation dont sont redevables les sauvage-ons (car il ne s'agit pas de ne pas réduire les postes : le système actuel c'est le tonneau des Danaïdes ; il faut concevoir un système d'éducation spécifique pour répondre sérieusement au problème spécifique de barbarisation que ce téléfilm dépeint parfaitement), sont les différentes facettes d'un même problème.