Parmi les choses (nombreuses) qui m'énervent intensément ces temps-ci, il y a la manière dont, à propos d'un film à gros budget dont le héros est un scientologue décoré par Caligula, on parle du comte von Stauffenberg comme d'un "résistant allemand".

Que le comte von Stauffenberg ait tenté de tuer Hitler et qu'il ait fait preuve en cette occurrence d'un courage certain n'est pas discutable.

Mais les mots ont un sens et parler à propos d'un officier allemand qui, entré dans l'armée en 1926, a prêté serment à Hitler, envahi à la tête de ses troupes les Sudètes tchécoslovaques en 1938, puis la Pologne, qui a reçu la croix de fer de 1re classe en 40, qui s'est battu sans sourciller sur le front de l'est, est une insulte à tous les résistants d'Europe. Surtout quand on sait ce qu'a commis la Wehrmacht, à laquelle appartenait Stauffenberg, en Pologne ou en Russie...

Stauffenberg est en fait parfaitement représentatif de son milieu social, d'une aristocratie catholique bavaroise pleine de morgue, qui méprisait Hitler et a cru l'utiliser pour maintenir le statu-quo social. Il est parfaitement représentatif de l'attitude de l'écrasante majorité du catholicisme allemand qui a accueilli et suivi Hitler, souvent dans l'enthousiasme, et en espérant que plus elle serait fidèle et enthousiaste plus diminuerait le poids des antichrétiens nazis dans le régime.

Conformément à l'attitude pro-allemande et compréhensive du Vatican, de Pie XI et surtout de Pie XII, car l'encyclique Mit brennende Sorge, rédigée en allemand pour bien montrer son caractère non universel, ne fut qu'une condamnation a minima, du bout de la crosse, floue, impersonnelle, sans aucun point sur aucun i ; d'une diffusion homéopathique, elle fut surtout un cache-sexe à usage externe, destiné à dédouaner le Vatican, aux yeux des démocraties occidentales, d'une collusion trop voyante - celle du Concordat aux conséquences, elles, très directes, très matérielles et très précieuses pour les nazis, celle de la quasi-totalité des évêques, à l'exception d'un seul et encore très partielle, qui firent sonner les cloches pour l'Anschluss ou appelèrent les chrétiens à la mobilisation sans état d'ême dans la croisade contre le bolchévisme.

Stauffenberg n'a réagi ni aux guerres de conquête, ni aux crimes de guerre, ni aux traitements inhumains infligés pendant quatre ans par son armée sur le front de l'est, ni à ce qu'il a vu, forcément, en Pologne et en Russie, du sort réservé aux prisonniers de guerre, aux slaves traités en esclave - aux juifs massacrés bien avant d'être voués à l'extermination industrielle. Il n'a ni déserté, ni refusé d'obéir. Il faut lire là-dessus ''Les Bourreaux volontaires d'Hitler'', de Daniel Jonah Goldhagen.

Stauffenberg n'est pas un résistant parce que, lorsqu'il a agi, après avoir pris le temps de la réflexion - plus de dix ans ! -, il ne l'a pas fait par révolte contre ce qu'il avait vu depuis 1933, ce à quoi il avait participé activement depuis 1938. Il a agi parce que les Russes arrivaient, et qu'en bon catholique ultraconservateur et nationaliste, il s'est dit que les choix qu'il avait faits depuis 1933 de participer aux entreprises criminelles des nazis allaient conduire les bolchéviques à Berlin, que ce à quoi il avait participé aboutissait à un désastre.

Cela n'a rien à voir, mais rien du tout, rien de rien avec les résistants qui, partout à travers l'Europe ont risqué leur vie pour combattre la barbarie et l'inacceptable. Stauffenberg a pactisé dix ans avec la Barbarie, c'est grâce à des gens comme lui que la barbarie a pu mettre l'Europe à feu et à sang et tuer partout des résistants.

Son réveil tardif ne rachète rien et ne lui donne en tout cas aucun droit à ce nom de résistant.

D'ailleurs, face aux fusils de ses assassins, il n'a pas crié "Vive la liberté !", ou "Vive l'Allemagne libre !" Il a crié "Vive l'Allemagne... sacrée !"

D'ailleurs, il n'y a jamais eu de résistance allemande. La résistance allemande est une fable, à partir du moment où le Zentrum chrétien a accepté, avec la bénédiction du Vatican, de servir de marchepied à Hitler, où les églises, protestante et catholique, ont béni le Führer, en ignorant les prêtres et les fidèles qui, grâce à la passivité des Stauffenberg, ont été mis en camp dès 1933-34. A partir du moment où les chamailleries entre communistes et sociaux-démocrates ayant permis l'accession au pouvoir d'Hitler, ces puissants partis sont décapités et où leur clientèle se rallie massivement au nouveau régime. La Résistance, elle est à Dachau dès 1933 et elle n'en sortira plus.

Ce qui reste de résistance, dehors, est dérisoire en nombre, même si son courage est héroïque et ne bénéficie d'aucun soutien, aucun, d'aucun réseau dans la société. La résistance allemande, c'est la Rose blanche, Hans et Sophie Scholl, des étudiants et des enseignants, humanistes, qui tentent d'aider les déportés, qui inscrivent des slogans antifascistes et pacifistes sur les murs, qui distribuent des tracts pour expliquer aux Allemands que Stalingrad va les libérer de la Barbarie à laquelle ils se sont donnés. Guillotinés parce qu'ils sont totalement isolés dans un pays qui est entièrement nazifié ; contrairement à ce que prétend le pape Panzer élevé dans les Hitlerjugend. La Résistance allemande, ce n'est pas un officier qui a pactisé dix ans avec la Barbarie et qui tente un putsch avec ses semblables parce qu'ils ont la trouille des soviets et de devoir leur rendre des comptes pour leurs crimes. La seule vraie résistance, c'est l'Orchestre rouge qui travaille pour Moscou.

La vérité c'est que le nazisme a bénéficié d'un écrasant consensus social en Allemagne et que la classe à laquelle appartenait Stauffenberg y a participé activement, que sans le ralliement de tous les semblables de Stauffenberg, le nazisme n'aurait jamais pu ni installer sa dictature en Allemagne, ni assassiner partout en Europe, ni exterminer les juifs.

Alors de grâce, qu'on nous foute la paix avec Stauffenberg !!! Il n'a même pas été foutu de réussir son coup...