Dimanche dernier, deux événements, en Grèce et en France ont apporté deux signaux inquiétants de plus sur la fin de toute démocratie réelle dans notre Europe mondialisée.

Ce dimanche, les Grecs étaient convoqués aux urnes pour des élections municipales et régionales, un peu plus d'un an après avoir porté au pouvoir une majorité socialiste élue sur un programme "de gauche", de relance de l'économie par la consommation et de protection sociale.

On sait par quoi s'est traduit ce choix : l'imposition de la pire politique de droite jamais appliquée dans ce pays, sous le haut-patronage du FMI et de la Frau Merkel. M. Papandréou, Premier ministre grec et président de l'Internationale socialiste, élevé aux Etats-Unis et qui pense américain tout en parlant un grec qui fait sourire nombre de ses compatriotes, n'a guère manifesté d'esprit de résistance, face aux Diktats venus de Bruxelles, de Washington et de Berlin.

Avait-il le choix ? C'est là toute la question. Les déficits grecs, comme partout en Europe, n'ont nullement pour raison les délices de Capoue dans lesquels se seraient vautrés les Grecs depuis trop longtemps.

L'histoire de la Grèce contemporaine est en partie celle d'élites économiques précocément mondialisées, qui échappent à l'impôt (parfois d'ailleurs en contribuant à la vie de la nation au travers d'un évergétisme inspiré de la tradition antique : c'est le millionnaire Averoff qui, au début du XXe siècle "offre" son premier cuirassé ultra-moderne à l'Etat grec, lui permettant de gagner, sur mer, les guerres balkaniques de 1912-1913 ; Onassis lègue à l'Etat l'Olympic Airways...).

Mais les Grecs, parce que l'Angleterre, l'Allemagne, les Etats-Unis leur ont imposé, jusqu'en 1975, des régimes dictatoriaux et réactionnaires n'ont qu'un Etat-providence extrêmement faible. Ce qu'on a appelé, à Washington, Paris, Bruxelles ou Berlin, corruption, laxisme ou gonflement scandaleux de la Fonction publique, n'est que le résultat de la faiblesse de l'Etat-providence grec, le résultat de stratégies sociales de contournement des régimes politiques imposés de Londres, Berlin ou Washington. On avait un emploi (d'appoint) dans la Fonction publique, à côté de son vrai métier, parce que le vrai métier ne paye pas assez et que les revenus de redistribution sont faibles ou inexistants (absence totale d'allocations familiales par exemple).

On peut le regretter, on peut mettre en place des processus de moyen terme pour corriger cet état de chose. On n'obtiendra rien en violentant la société, en jetant des millions de gens dans la précarité ou la pauvreté. Et pourtant c'est ce que fait, obéissant, le gouvernement socialiste grec.

Or, si les déficits ont explosé, en Grèce comme ailleurs, c'est avant tout à cause de la déréglementation imposée de Londres et de Washington depuis les années 1980, sous le nom de mondialisation, imposées aux peuples européens à travers l'Union européenne par des oligarchies financières qui ont récemment mené le monde au bord du gouffre et réalisé sur ces mêmes peuples le plus grand hold-up de l'histoire de l'humanité.

Les politiques désormais dictées par ces oligarchies aux Etats qu'elles ont dévalisés ne conduiront à rien, tout le monde le sait, sinon à plus de misère, plus de malheur. La crise de 1929, déjà provoquée par des dérèglements du capitalisme américain, a montré que la déflation, rebaptisée austérité, aujourd'hui imposée à la Grèce, demain à l'Irlande, au Portugal, à l'Espagne, cette déflation dont la réforme des retraites est une des premières pierres en France, n'a jamais conduit qu'à l'appauvrissement... et à l'explosion des déficits puisque la chute des recettes fiscales qu'elle provoque en assommant les classes moyennes est toujours plus rapide que la contraction des dépenses. Tous le monde le sait et même les économistes commencent à le dire.

Tout le monde sait aussi qu'il n'y a qu'un seul moyen de sortir de cette crise et que ce moyen s'appelle l'inflation, c'est-à-dire faire payer les pots cassés par ceux qui les ont fracassés - les détenteurs du capital -, non par les citoyens qui n'ont aucune responsabilité, ni dans les politiques suivies ni dans les catastrophes qu'elles ont provoquées.

Au lieu de cela, nous nous laissons étrangler par un euro absurde : historiquement, les Mitterrand, Delors, Attali, Guigou auront joué un rôle déterminant dans l'assassinat monétaire de la démocratie en acceptant de construire un euro qui ne correspondait qu'aux intérêts allemands et qui, en nous privant des armes de la dévaluation et de l'inflation, faisaient des salaires la seule variable d'ajustement.

Au lieu de cela, nous suivons la politique suicidaire de l'Allemagne, ce pays de vieux qui nous impose son malthusianisme économique de pays de vieux, qui bâtit sa prospérité en étouffant ses voisins. Car si ces voisins suivaient demain la politique de l'Allemagne, celle-ci crèverait la gueule ouverte de ne plus pouvoir rien leur vendre.

Dimanche dernier, le peuple grec a donc dit non à cette logique - massivement. Certes, le parti socialiste PASOK a, en apparence, remporté ce scrutin, mais, dans un pays où le vote est obligatoire, avec 55% d'abstention auxquels il faut ajouter 12% de bulletins blancs et nuls (le Parti communiste ayant obtenu 11% des exprimés au premier tour et la crise du Syriza empêchant de mesurer les forces de cette gauche alternative). C'est-à-dire que le peuple a clairement et massivement signifié aux oligarchies gouvernantes qu'elles étaient totalement illégitimes.

Avec quelles conséquences ? Aucune. le gouvernement "de gauche" va aggraver encore, sous la pression de Berlin et de Bruxelles, l'actuelle politique. C'est, il est vrai, devenu une habitude, en Europe occidentale, de s'asseoir sur le suffrage populaire, c'est-à-dire sur la démocratie. Ainsi le rejet par les peuples irlandais, néerlandais et français du dernier traité européen a-t-il été infirmé, avec la complicité des socialistes, par les oligarchies qui l'ont imposé au terme de ce qui constitue un coup d'Etat parlementaire.

Et la seconde leçon de ce dernier dimanche, c'est que le président de la République française, lui aussi, a décidé de s'asseoir, une fois de plus, sur le suffrage universel.

Massivement désavoué, lui aussi, par le scrutin régional du dernier printemps, il avait promis de remanier son gouvernement afin de répondre aux attentes ainsi manifestées. Or, outre l'absurdité totale qui consiste à annoncer un remaniement six mois avant de le faire, afin de paralyser l'exécutif et focaliser l'énergie des acteurs dans des positionnements tactiques à courte vue, aussi dérisoires que ravageurs pour la crédibilité du politique, ce remaniement n'est qu'un bras d'honneur supplémentaire aux électeurs de la part d'un homme qui s'est trompé sur tous ses choix de politique intérieure, de sécurité, étrangère, fiscale, j'en passe et des meilleures, d'un homme qui, dans sa campagne électorale, répondait à une femme qui n'avait pas les moyens de louer un appartement décent, que, bientôt, grâce à la formule magique des subprimes qu'il allait importer en France, elle pourrait s'endetter afin d'en acheter un...

En quoi, ce remaniement tient-il compte du scrutin régional : par l'entrée à la Défense d'un repris de justice naguère condamné pour prise illégale d'intérêts, massivement battu par le suffrage universel comme Premier ministre, puis comme député dans une circonscription pourtant génétiquement de droite ? par la sortie d'un ministre compromis jusqu'au cou dans des mélanges douteux entre privé et public dont le président donne l'exemple en privatisant la sécurité sociale au profit des assurances privé dont son frère est l'un des patrons ? En nommant à la Santé une personne qui a travaillé pour 4 laboratoires pharmaceutiques et qui s'empresse de déclarer qu'il n'y a pas de lien démontré entre un médicament qui tue et les morts qu'il a causés ? en organisant un dérisoire jeu de chaises musicales entre les membres d'une oligarchie privée de tout contact avec les réalités du pays ?

Tout cela serait pathétique si ce n'était tragique. S'il ne s'agissait pas d'un indice supplémentaire de la fin de la démocratie.