Je n’imaginais pas, il y a trois jours, en écrivant le billet sur le Liban, que Caligula me donnerait si vite raison. Incroyable gribouille : voilà moins d’un an, on dit qu’on ne parlera plus à la Syrie, à ce régime d’assassins, qu’il faut traduire ses responsables en justice.

Et puis hop ! maintenant, on invite Bachar sur les Champs-Élysées le 14 juillet ! Mais quelle incohérence !! et comment, entre ces perpétuelles volte-face, la parole de la France peut-elle avoir la moindre crédibilité ? Le piteux Kouchner adopte un profil bas et avale la couleuvre, le lamentable Lang encense Caligula et ses imprévissibles sautes d’humeur… Tout est donc en ordre, pour produire quoi ? une diplomatie ???

Refuser de parler avec la Syrie il y a un an était irresponsable ; inviter Assad aujourd’hui est indigne. Décidément, il manque à Caligula au moins trois choses pour faire un président de la République française, ce que, je le crains, il ne sera jamais : la culture qui permet de former le jugement et de déterminer une politique, le sens de la mesure et la persévérance.

Je voulais par ailleurs dire ma joie du non irlandais au référendum sur le traité de Lisbonne, et dire merci au peuple Irlandais qui a ainsi vengé le peuple français de l’outrage que lui a infligé sa nomenklatura politique.

Voici trois ans, au terme du débat politique le plus exemplaire de ces dernières années, au terme d’un exercice démocratique remarquable qui a agité le peuple dans ses profondeurs, qui a conduit à des records de vente de livres sur l’Europe et le texte qui était proposé à nos suffrages, le peuple français, souverain, avec un taux de participation remarquable, avait dit non au projet que défendait la quasi totalité de ces nomenklaturas (qui contrairement au vocabulaire commun ne sont pas des élites) politique, médiatique et économique.

Or, moins de trois ans après, ce que le peuple souverain a refusé d’avaler, on le lui a administré par lavement parlementaire. Car le traité de Lisbonne ne change rien à l’esprit du texte que nous avions massivement repoussé. La ratification parlementaire était légale. Elle est illégitime : ce que le peuple a dénoué, seul le peuple aurait dû pouvoir le renouer. Cette forfaiture légale n’a été possible que par la lâcheté des parlementaires socialistes qui, pour ou contre le texte, auraient dû s’opposer comme un seul homme à ce déni de démocratie qui consistait à contourner la décision du peuple souverain. Ils ne l’ont pas fait et se sont déshonorés. Il est déjà arrivé dans l’histoire, en 1940 par exemple, que des assemblées ne soient pas à la hauteur de leurs responsabilités.

Eh bien ce que nos parlementaires n’ont pas eu le courage de faire, le peuple irlandais l’a fait. Merci !

Un fait est incontournable dans tout ceci, c’est que ce qu’il est convenu d’appeler la construction européenne se fait depuis au moins une décennie contre la volonté des peuples. Ceux que l’on consulte répondent régulièrement non. Les autres sont requis de se taire.

Pourquoi ? pour de multiples raisons et je ne suis pas forcément d’accord avec certaines de celles qui ont conduit les Irlandais à dire non avant-hier. Mais la vraie raison, la plus profonde c’est que l’actuelle construction européenne, depuis Schuman et Jean Monnet, est une construction de nature oligarchique qui vise à vider de leur contenu les démocraties nationales sans créer de démocratie européenne, parce qu’il ne peut y avoir, aujourd’hui (dans cent ans on verra) de nation européenne et que la nation est le seul cadre qui permet le projet et le débat politiques, l'exercice véritable de la démocratie.

Toute l’histoire de la construction européenne, et la BCE créée par le catastrophique traité de Maastricht en est la caricature, vise à imposer, par un appareil technocratique et le niveau supranational, ce que les gouvernements nationaux ne pourraient faire avaler à leur peuple. Parce que les oligarchies européennes sont persuadées de savoir, mieux que les peuples, ce qui est bon pour eux. Là est toute la philosophie de l’entreprise la plus antidémocratique du XXe siècle… après les totalitarismes fascisto-nazi et communiste.

Ainsi l’Europe aura-t-elle été le cheval de Troie de la déréglémentation et du libre-échange généralisés qui contiennent en eux les déficits des comptes sociaux, la précarisation de couches de plus en plus larges de la société, le démantèlement des États providence et les famines de demain. Au lieu de concevoir la politique de transports ferroviaires à l’échelle continentale dont nous avons besoin, elle a imposé le tout routier, organisé la privatisation des compagnies nationales. Il est vrai que l’exemple britannique était tellement concluant !

Au lieu de préparer un monde de l’après-pétrole, elle a imposé la privatisation des monopoles nationaux de l’énergie qui donnaient aux États la possibilité de mettre en place des politiques énergétiques déterminées par l’intérêt général plutôt que par le profit à court terme. Au lieu de s’occuper de tenter d’élever le niveau de la protection sociale partout en Europe, elle a privilégié la libre circulation des capitaux et généralisé une concurrence qui poussent les salaires à la baisse et exerce des pressions de plus en plus insupportables sur les systèmes de Sécurité sociale et de retraite par répartition. Afin de pouvoir, à terme, ouvrir au privé ces deux champs de profits potentiels énormes pour les sociétés d’assurance.

Aujourd’hui, elle empêche de faire du déficit si cela est nécessaire pour soutenir la croissance, de dévaluer la monnaie, comme les Etats-Unis le font, si la conjoncture le rend souhaitable ou nécessaire, elle met à mort des secteurs entiers de l’économie, et jette dans le malheur des milliers de personnes, pour faire respecter les dogmes d’une théorie économique et monétaire révélée par on ne sait quel dieu, elle empêche de diminuer la TVA sur tel ou tel secteur pour répondre vite et fort à telle ou telle conjoncture. Elle paralyse les gouvernements, fragilise les humbles, décide de son empyrée, contre la volonté des peuples, ce qui est bon pour eux.

Aujourd’hui, alors que le spectre de la pauvreté menace de plus en plus d’Européens, sa priorité est d’obtenir la déréglementation… du secteur des jeux, afin que les pauvres surendettés, puissent perdre l’argent qu’ils n’ont pas sur Internet !!!

Aujourd’hui, les peuples estiment que l’intégration européenne leur a fait assez de mal. Nous n’avons pas besoin d’institutions parasites qui confisquent un peu plus la souveraineté populaire. D’un président et d’un ministre des Affaires étrangères alors qu’il n’y a rien à présider puisqu’il n’y a ni nation ni État européen, et qu’il ne peut pas y avoir de politique étrangère européenne. Nous n’avons pas besoin d’une Yougoslavie ou d’une Belgique étendues aux dimensions du continent. Nous avons besoin de plus de coopération entre des gouvernements démocratiques, souverains et responsables devant leur peuple.

C’est ce qu’ont dit avant-hier les Irlandais comme, avant eux, les Français, les Néerlandais ou les Danois.

Je n’ai aucune illusion. On ne les écoutera pas. On contournera leur décision comme on a contourné celle des Français, des Néerlandais et des Danois. Parce que nous ne vivons déjà plus en démocratie. Mais il étaient important, pour l’histoire, qu’une fois de plus ils le disent : Nous, le peuple, nous ne sommes pas d’accord avec l’avenir que d’autres ont décidé de nous imposer.