Voilà plus de vingt ans qu'on nous pompe l'air avec la libéralisation des échanges, la mondialisation heureuse et les déréglementations tous azimuts - conditions du bonheur universel. Et voilà trois jours qu'on commence à verser des larmes de crocodile sur le retour des émeutes de la faim, sur les menaces de famine... mais sans, naturellement, faire le moindre rapport entre les deux.

Et pourtant, ouvrir les marchés, faire tomber les barrières douanières, mettre en concurrence les agricultures industrielles et les petits producteurs vivriers, le faible et le fort qui dispose de tous les moyens de l'écraser, donner le pouvoir au Marché et aux spéculateurs ne pouvait qu'aboutir à ce résultat-là. Comme le gel des terres et les politiques de quota mises en oeuvre par l'Europe ne pouvaient aboutir, chez nous, qu'à la hausse vertigineuse des prix alimentaires qui est en train de conduire de plus en plus d'humbles travailleurs et retraités au bord de la misère.

Mais non ! le Marché s'autorégule, le Marché est omniscient, le Marché est infaillible... la preuve ! en quelques semaines, la crise financière des subprime, Kerviel, le retour du spectre de la famine, l'appauvrissement alarmant des salariés et des retraités dans les pays développés...

Le Marché ne s'autorégule jamais. Si la famine a été éradiquée, c'est que dans les années 60-70, des politiques volontaristes qui s'appellent la révolution verte appuyées sur des protections douanières ont été menées par les Etats. La suppression des systèmes de subvention, de prix garantis, la condamnation de tout interventionnisme étatique et le libre-échange généralisé rendent naturellement non viables les agricultures locales vivrières, mettent des peuples entiers entre les mains anonymes de spéculateurs qui sont responsables de 80% de la hausse récente des prix de l'énergie comme des matières premières alimentaires.

Attention, le libéralisme tue !

Le Marché ne s'autorégule jamais ! La crise de 29 qui a conduit à la seconde guerre mondiale l'a amplement montré. Et c'est pour l'avoir oublié, pour avoir privatisé tout et n'importe quoi, fait de secteurs d'utilité publique des sources de profit, dérégulé et dérégulé encore, jusqu'à revenir sur les règles édictées après 1929 justement, qu'on a engendré un Frankenstein financier totalement coupé de toute véritable création de richesse, d'une perversité telle qu'elle conduit aujourd'hui à la crise bancaire et aux exploits d'un Kerviel qui ne sont que des symptômes. Mais remarquez bien que si le scandale du Lyonais a pour jamais déconsidéré l'Etat patron décidément incapable de gérer correctement quoi que ce soit, les actuels scandales en chaîne ne semblent nullement déconsidérer le système... Forcément les banquiers ont empoché les profits pendant vingt ans et ce seront les contribuables qui épongeront les pertes.

Attention, le libéralisme rend amnésique !

Le Marché ne s'autorégule jamais ! La concurrence idéologique avec le communisme de 1917 à 1990 avait contraint le capitalisme à se soucier des humbles, à ne plus les écraser de manière cynique, à protéger le bien-être minimal du plus grand nombre. L'Etat providence en est né. Son démantèlement, à partir des années 90 n'est nullement dû au fait qu'il coûte désormais trop cher pour des économies qui ne pourraient plus le supporter. La richesse globale a augmenté de manière considérable. C'est qu'il n'est plus nécessaire aux yeux de ceux qui profitent du système, alors que la concurrence idéologique a disparu et qu'il limite donc, désormais inutilement, leurs profits. L'Etat providence ne coûte pas trop cher pour l'état de l'économie, il doit être démantelé pour permettre la poursuite d'un mouvement, maintenant vieux d'un quart de siècle, qui conduit à une redistribution massive des profits au profit du capital, à la baisse continue de la part des profits qui revient, directement ou non, aux salariés. La taxation des malades chroniques, autrement appelées franchises médicales, n'était à cet égard qu'un coup de sonde, ainsi que viennent de le montrer les dernières déclaration de Mme Bachelot qui annoncent désormais la privatisation progressive de l'assurance maladie.

Attention le libéralisme rend sourd et aveugle !... et la Sécu ne remboursera bientôt plus les lunettes... ni les dents, ce qui importe moins, finalement, puisque les assiettes seront vides de ceux qui n'auront pas les moyens de s'en payer de nouvelles.

L'Europe a été, chez nous, l'alibi et l'agent le plus efficace de cette politique d'appauvrissement des humbles, comme l'OMC a construit les famines qui s'annoncent aujourd'hui. Ainsi du sieur Trichet et des irresponsables de Francfort qui appellent aujourd'hui à la modération salariale contre l'inflation. Et de nos hommes politiques, jamais en retard d'un hypocrisie, appellant à la réduction des déficits qui viennent alimenter la dette que devront payer nos pauvres enfants !

Foutaise !

Un Etat n'est pas un ménage. L'économie n'est pas une science exacte et n'est régie par aucune loi naturelle ou révélée.

Interdire l'endettement, renoncer aux barrières douanières et imposer un euro fort, c'est ce qui permet de faire des salaires la seule variable d'ajustement de l'économie, de ne laisser aux salariés que le choix entre la misère ou le chômage : nous devons rester compétitif, l'euro fort est un handicap à nos exportations ; si vous voulez que nous maintenions vos emplois, vous devez consentir des sacrifices.

Quant à l'inflation, elle n'est que le moyen de rembourser la dette de nos pôvres enfants à qui nous laisserons les conséquences de notre irresponsabilité en faisant payer le capital et la rente, plutôt que les salariés. Elle n'est pas un mal en soi ; elle est même, à mon avis, aujourd'hui historiquement nécessaire, comme il est nécessaire de rétablir aujourd'hui des barrières douanières autour de l'espace européen pour compenser les déséquilibres dûs à des concurrences déloyales, comme il est nécessaire aujourd'hui de dévaluer l'euro et d'exercer les pressions nécessaires sur les Etats-Unis pour obtenir, enfin depuis 1974, une négociation sérieuse sur la reconstruction d'un système monétaire international stable .

L'échec de la gauche européenne tient avant tout à son ralliement, avec arme et bagage à la vulgate libérale et au libre-échange généralisé, dont DSK est sans doute le symbole le plus abouti. Sa défaite c'est d'avoir renoncé à agir sur le système pour se contenter par des mesures charitables d'en limiter les conséquences les plus douloureuses - le syndrome Martin Hirsch en somme. Les défaites des Royal et des Prodi face aux Berluskozy et autres Sarconi ne sont pas seulement contingentes, elles sont avant tout la conséquence de l'abdication idéologique des socialistes européens dont le point nodal est sans aucun doute à mes yeux la signature du traité de Maastricht et la définition des pouvoirs et missions de la Banque centrale.